Vendanges 2014 – Semaine 39 (sic) – Une année lente


Je sais vous vous posez la question, comme Henri Salvador, en son temps : et alors, et alors, et alors ?

Alors, rien. C’est une année lente, que voulez vous, c’est comme ça. On nous vend bien du café au goût « romantique », alors. La principale qualité, cette année, pour faire des grands vins, c’est la lenteur. La patience. La capacité à ne rien faire, à agir en n’agissant pas. Enfin, pour moi. Les autres pensent autrement. L’un a fini. L’autre termine. L’autre encore a rentré son matériel et commence à prétailler, pour gagner du temps. On en reparlera.

Moi, j’attends. Bon, j’attends au Clos des Fées, soyons clair, parce qu’en bas, à Rivesaltes, on a bien avancé. Sorcières délicieuses dans les tuyaux. C’est donc une question de terroir, et aussi de culture. Vingrau est tardif. Certains coins de Vingrau sont tardifs pour Vingrau. Alors, rien n’est, à mon sens, mûr. Trois cuves de Syrah mijotent toujours tranquillement dans la cave qui, sinon, est vide.

Ai-je toute ma raison ? Je l’espère. D’autres pensent autrement. On verra bien. Je reste intimement persuadé que pour faire du Clos des Fées, un raisin doit être mûr. Or, si les Carignan avancent bien, les Grenache sont loin du compte et les Mouvèdre encore plus. Sans doute pourrais je faire des analyses, interroger des experts, consulter le laboratoire. je préfère avancer dans les vignes, le nez au vent, les mains balayant les feuilles, sentant, dans les deux sens du terme, les choses. Je peux bien sûr alors me tromper, mon vin ne pas totalement «exploiter son potentiel», mais toutes ces compétitions, cette performance, cette domination de la technique sur la sensibilité, de l’industrie normée sur l’artisanat romantique m’ennuie. Un vin, avant d’être «grand» (sous entendu plus grand qu’un autre, fatalement, ou qu’une norme) doit être «vrai» dit Nicolas Joly. Donc fait par des hommes. L’analyse, tant de choses lui échappent… Comment analyse t’on l’amour ? Et la passion ?

Tiens le vent, par exemple. Le labo analyse t’il le vent ? Ou plutôt l’absence de vent cette année. Bien sûr que non. Pas de Tramontane ou presque, cet été, et deux jours, peut-être, en septembre. Du coup, aucun grain ne passerille, les baies sont gonflées, dodues, rebondies, gorgées de jus, magnifiques. Et la pluie, tient, la pluie. De simples statistiques, certes importantes, mais après ? La pluie ici pareil que là ? Non, bien sûr. La pluie sur les vignes a changé les feuilles et les feuilles, qui, moi, me disent : «attends, ne te presse pas, regarde nous, touche nous, vois comme nous sommes vertes, luisantes». Et le sol, si étrangement meuble, cette année, que de renseignements ne donne t’il pas à celui qui marche dessus ? Si meuble, cette année, contrairement à toutes celles que j’ai vécues auparavant. Et l’air, bien sûr. En vélo, en moto, à pied, on sent ses différences, au mètre près parfois, stable ou circulant, humide ou sec, froid ou chaud. Avançant, dans le vignes je pense souvent à mon ami Jean-Michel Comme, qui m’a encouragé à baguenauder dans les vignes, le plus souvent possible, les sens à l’air. Parfois, je me dis qu’il faudrait que je le fasse torse nu. On va s’arrêter là, si vous le voulez bien. Mais Jean-Michel, tu sais ce que je veux dire 😉

Donc les vignes sont belles, les raisins magnifiques, rien ne sèche (notre drame ici) bien aidé par un mois de septembre magnifique, doux, au soleil si beau, si sensuel, si caressant. Hier, j’ai pris mes deux garçons devant moi, leur proposant, vers 14 heures, de sentir cette chaleur douce, si particulière, si précisément attachée à ces quelques jours qui suivent l’équinoxe, qui sont si particuliers que l’on dirait que les rayons vous font un vêtement. Il y avait, enfin un peu de hautes pressions, un souffle de Tramontane, c’était comme un baiser, un effleurement, une caresse, une gourmandise. J’espère qu’ils ont savouré. Qu’ils s’en souviendront, un jour, des bizarreries de leur père.

Autrement, le temps de septembre aura été moite. Oui, moite, c’est bien le mot. D’habitude sec, si sec, le voilà un peu humide, presque tropical (Tchao, mon Chinois, se marre lui qui vit dans une ville maritime, Claudine aussi, habituée au tropical humide de la Réunion). Moi, j’ai trouvé ça humide, septembre. Les vignes, non, car il y a très peu de botrytis. Les vignes qui étaient saines le restent. Les autres, n’en parlons pas, les jeux sont faits depuis longtemps.

On a fini les blancs, enfin presque, il reste un bout de Grenache, lundi, juste avant la pluie qu’on m’annonce. Un grenache blanc le 29 septembre, ça c’est nouveau…

Je vous ai mis cette photo car on observe vraiment bien la force et la faiblesse du gobelet : les grappes à l’intérieur sont protégées de le brulure du soleil, ce qui en climat chaud ou en période de réchauffement climatique est un atout. En année «feuille» comme ici en 2014 où la végétation n’a pas connu de stress hydrique marqué pendant l’été, le décalage de maturité est criant. Et sur les rouges, c’est pareil sauf que ça ne se voit pas à l’œil. Du coup,je pense avoir goûté plus de raisins que jamais, laissant parler la grive qui est en moi, goûtant souvent tous les côtés de toutes les grappes de nombreuses souches dans une parcelle.

En vinification, les choses sont plus claires et je vois bien comment, cette année, je vais prendre les choses. Quand à savoir si c’était la bonne chose à faire, c’est une toute autre histoire.

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