Le brillat-savarin comme l’aurait aimé Jean-Anthelme


MAJJ Jean-Anthelme.

Ça c’est du prénom. Pas vraiment à la mode, j’en conviens. Mais chargé d’histoire. Dommage que plus personne ne la connaisse, l’histoire, celle du brave Jean-Anthelme Brillat-Savarin en particulier. Bon, je vous fais grâce de sa biographie, il y a Wikipédia pour ça. Elle est quand même assez incroyable et on se demande comment, en une seule vie, en pleine Révolution, cet homme a eu le temps de devenir le symbole de l’épicurisme à la Française, tout en faisant de sacrés jobs, tout en jouant du Stradiviarus. Quand on lit ça le jour de ses cinquante cinq ans, on se dit qu’on n’a encore rien fait… Et toujours pas de Rolex… Et surtout que ce monde qui permet tant occupe peut-être trop en même temps et empêche de faire les choses vraiment importantes.

Bon, Jean-Anthelme est considéré par beaucoup comme le premier écrivain à «intellectualiser» la gastronomie. Sa «physiologie du goût» a bien sûr beaucoup vieillie, mais certaines choses sont éternelles et il est bon de la lire pour pouvoir le citer. On la trouve en ligne, ICI, sur Gallica.

Notre bureau et notre cave sont désormais : 1, rue Brillat-Savarin. Le hasard n’y est pour rien. C’est moi qui ai choisi le nom de la rue. Ils voulaient le nom d’un grand homme catalan, au départ. Ils ont beaucoup cherché, et puis ils m’ont demandé une idée… Bon, c’est clair, le nom est peu connu et il me faut souvent l’épeler. J’aurai pu choisir rue « M. Pokora », c’est sûr que ça m’aurait simplifié la vie. Ca m’aurait moins plu, en même temps. Moins que l’idée en tout cas d’un homme qui pensa un jour à une « société gastronome ». On ne se refait pas. J’aime la musique. Mais je préfère manger.

Cet homme n’a en revanche jamais inventé de fromage, ni bien sûr celui qui porte son nom. C’est Pierre Androuët qui trouva le nom dans les années 30 en hommage au fameux gastronome du XVIIIème. C’est un fromage blanc, d’environ 13 cm de diamètre et 4 cm d’épaisseur quand il est affiné, à croûte fleurie et blanche, avec des reflets roux quand on le pousse un peu dans ses retranchements. Il fait environ 400 g, et il y a de quoi manger à 10, sauf à adorer ça et n’avoir rien mangé avant. Parce que c’est franchement gras… C’est le concept du triple crème, en fait. Dans du lait entier (de Normandie) on rajoute beaucoup de crème en plus, histoire d’enrichir un peu la préparation. Et puis encore quelques louches. Du coup, c’est d’un onctueux… On dirait du beurre déguisé en fromage, il faut bien le dire. Et comme le gras, c’est un support aromatique extra, le fromage se prête bien à être fourré de truffes.

Les truffes, Jean-Anthelme, il en fourrait partout, en fait, en particulier dans les volailles qu’il bourrait après les avoir vidées. De lui, au fait, vous connaissez peut-être sa recette de pâté, «l’oreiller de la belle Aurore», qu’il avait créée pour sa mère. Là, il aurait aimé, je pense, qu’on enrichisse un peu ce fromage. C’est les fêtes, on peut se lâcher.

Alors, voilà la recette, rien de plus simple. Comme je l’ai fait il y a un mois, alors qu’il n’y avait pas de truffes fraîches, j’ai utilisé des brisures en verrines, première cuisson, c’était pas mal, mais rien ne vaut le frais. Comptez 60 g de truffes, pour 10 personnes c’est raisonnable. Bon, bien sûr, si vous voulez qu’on bénisse votre nom, 80 g, c’est mieux. A 100 g, vous entrez dans la légende. Au delà, c’est du gaspillage et ça pourrait avoir l’effet inverse : écœurer.

Il faut commencer par fendre le fromage en deux ou en trois si on est doué et délicat, du genre habile de ses mains. C’est pas simple, car la texture est vraiment molle. Au début, je vous propose de juste le faire en deux. Mais quand il y a deux étages de truffes, c’est indiscutablement meilleur. Et puis, pour un homme, tout le monde sera d’accord, la plus grande qualité, c’est la générosité, les femmes intelligentes le savent bien. Donc, soyons généreux et habiles de nos mains (pour couper en trois) et… et voilà que ce blog dérive encore. Désolé.

Bon, on tranche, donc, un fromage TRES froid, sinon, c’est raté et on peut en acheter un autre tout de suite car l’autre s’est vautré dans votre main comme un sein dont la prothèse PIP vient de lâcher… Ca plisse, ça perd toute forme, c’est la galère. On peut en acheter deux, comme les melons quand on reçoit, afin d’en avoir toujours un parfait. C’est JPC qui m’a appris ça, le coup des melons, et je l’en remercie souvent car le melons parfait est rare et l’on passe ainsi facilement pour sélectionneur hors pair, personne ne se disant : cet homme est assez fou, assez attentif au plaisir des ses hôtes pour ouvrir un melon jusqu’à qu’il en trouve un parfait. Coffe, oui. Moi, aussi. Donc, le Brillat, on l’ouvre un peu comme ça :

MAJ : il est encore plus intelligent d’utiliser un fil à couper le fromage, c’est plus facile et bien plus net

Là, comme les truffes en conserve c’est pas le pied au niveau du goût (les congelées, en revanche, c’est parfait à condition de les avoir émincées avant la congélation), on aide un peu l’affaire avec un peu de lubrifiant aromatisé, j’ai nommé de l’huile de truffes. Elle ne vient ici que renforcer un peu la faiblesse des truffes en conserve et il ne fait pas en mettre si on utilise des truffes fraîches.

On aura pris soin de mettre déja le plastique sous la chose, afin de ne pas le manipuler ensuite : de la douceur avant tout. On hache la truffe, tout simplement, et on la répartit uniformément. Je crois que là, ça me semble simple et aucun sous entendu possible.

Bon, ben désolé, c’est déjà fini. On remet le chapeau en place, ou on met un deuxième étage de fromage et de truffes et le chapeau en place ensuite. Ca donne un truc comme ça, black & White. Mais le black, là, c’est le top et comme disait mon vieil ami Jacques B., sans doute mort aujourd’hui, à propos du caviar et des truffes : when you taste black, you’re never back. Un fin connaisseur.

Voilà, il n’y a plus qu’à attendre. Quatre jours au moins, sept, c’est mieux. C’est difficile. Le fromage aux truffes, c’est un peu comme l’amour : le meilleur moment est parait-il l’attente, «quand on monte l’escalier», disait Clemenceau. Et là, il faut attendre. En mettant le fromage dans son film au réfrigérateur, bien sûr, au cas où certains de mes lecteurs ne comprennent VRAIMENT rien au fromage…

Comme l’imagination sublime la relation amoureuse, quand votre Brillat-Savarin gorgé de truffes est au frais, et bien vous êtes un autre homme, un révérend père Gaucher en puissance, tant l’idée de la joie et du plaisir que vous allez donner à vos invités, quelques jours plus tard, est grande. Enfin, moi, je suis comme ça. Je force personne à avoir la même conception de la cuisine : un acte d’amour.

Bon, après, je vais pas vous apprendre comment on met la chose en température, au moins deux heures avant, et comment on ouvre une petite Sibérie pour comprendre combien le bonheur est une chose simple et qui se mange. D’autres vins rouges vont bien, sans doute, mais moi, c’est assez simple à comprendre, j’aime servir ça avec une petite Sibérie. Si vous trouvez un bon accord, ce blog est open à vos suggestions et résumés d’expériences. Ne soyons pas sectaires

Franchement, avec un bon pain grillé à la minute, c’est une tuerie…

Il me reste à remercier Christophe Fournier, de l’excellente Maison Gouin, dans le Luberon, de m’avoir fait découvrir cette recette formidable, dont j’aime l’absolue simplicité et qui rentre immédiatement dans le livre de cuisine du Clos des Fées.

Ceux qui m’aiment la feront pour Noël, ou juste après, lorsque les truffes seront moins chères et meilleures et penseront à moi en mettant, sur un mordeau de pain grillé, un peu de fromage mais aussi tout un pan de culture française en bouche.

Merci Jean-Anthelme. On trouvera ici une excellent sélection des ses aphorismes commentés, l’un de mes préférés étant : « Le plaisir de la table est de tous les âges, de toutes les conditions, de tous les pays et de tous les jours ; il peut s’associer à tous les autres plaisirs, et reste le dernier pour nous consoler de leur perte.»

5 commentaires

  • julien
    21/12/2014 at 7:24 pm

    Hervé, un grand merci pour cette recette, car après avoir testé le brie au mascarpone truffé l’an passé, qui fut exceptionnel, mon brillant de la maison Delin attend sagement les truffes du ventoux et demain, il finira farci tel que conté dans ce beau billet. Je suis chaud pour la double coupe 😉 !
    Les truffes, cette année, ne sont pas extraordinaires dans le coin mais j’espère qu’elles seront a la hauteur !

    Très bon Noël et merci encore,

  • monier jc
    22/12/2014 at 9:45 am

    un régal ! et le brie de meaux truffé egalement ! le caviste du coin les prépare pour les fetes

  • Jean-jacques Salvat
    22/12/2014 at 10:53 am

    « J’ai les goûts les plus simples du monde, je me contente du meilleur »
    Oscar Wilde
    Choix difficile pour le vin…vin de voile Jura ou Roussillon?

  • Pascal
    03/01/2015 at 9:33 am

    Ce blog dérive, en effet, et c’est bien pour çà qu’on l’aime. Il n’est donc pas choquant d’y trouver un paragraphe consacré aux melons, aux prothèses PIP et aux spécialistes hors pairs.
    Quant au meilleur moment dans l’amour, notre prof de français de Première nous expliquait que c’était avant, parce qu’après c’est pendant. Avec çà, on était paré pour le bac.
    Enfin, bravo pour avoir donné ce nom à votre rue. MPokora n’aurait pas vraiment été un hommage à la musique, peut-être même au contraire.
    En tout cas, bonne année à vous, et bravo pour ce blog.

  • Agnès C
    16/01/2015 at 9:47 pm

    Bonsoir Mr Bizeul
    Voilà 3 semaines que vous avez écrit ceci, et 3 semaines que je me dis: « faut que je fasse un brillat savarin truffé ». J’ai dépêché un copain pour me ramener 50g de brisures de Sarlat (il s’est ramené 200g de truffes fraîches, le pourri!!). Et je vais en faire 1/2 pour essayer parce que vous m’avez donné envie. Merci. Je n’ai pas de Petite Sibérie dans ma « cave » (et je le regrette, ni de Clos des Fées d’ailleurs) , vous me conseillez quoi comme appellation ou caractéristiques s’il vous plaît? Merci à vous. Agnès

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