Shanghai week-end


Quand faut y aller, faut y aller. Le salon va ouvrir…

Nuit finalement assez bonne. En réalité, je ne sais déjà plus vraiment « quand » je suis… Faut-il tenter de s’acclimater au rythme de la ville ? Au contraire tenter de rester sur un timing européen, vu le peu de temps que je vais passer ici ? Ai-je simplement le pouvoir de décider ? Le fait que ce soit le week-end aide, pas vraiment besoin de rester en contact avec le domaine, qui vit sa vie. Laissons la France dans sa bulle et ne regardons pas l’info. Je me lève en pleine nuit pour écrire, puis me recouche, ne me posant même plus la question si je vais dormir ou pas. On verra. La chambre, tournée vers la ville qui s’immerge peu à  peu dans une brume qui ne semble avoir rien de naturel, ressemble de plus en plus à un habitat futuriste. Un peu comme dans le cinquième élément, la sensation qu’un taxi volant va venir me prendre sur ma fenêtre me fait sourire. Ah, ou qu’une jonque anti-gravifique va venir me proposer du canard laqué, à la Blade Runner… L’envie de jouer à être sur une autre planète me semble, un instant, une bonne idée… Le jeu serait aisé, une bande d’amis complices, des tenues déjantées, des maquilleurs de cinéma talentueux, quelques accessoires, il n’en faudrait pas beaucoup pour s’amuser dans cet hôtel improbable dont les détails d’aménagement intérieur sont toujours aussi fascinants de précision et de signifiance. Bizarre que je sois le seul à le remarquer…

Mais revenons à la dure réalité, allons servir du vin. Allons installer le stand.

Installation salon

Une bonne centaine de domaines, au moins, pour un Grand Tasting Shanghai qui s’impose peu à peu dans le rythme de la ville, au fil des années. On y croise cette année beaucoup d’Espagnols, d’Italiens, d’Autrichiens et d’Allemands, voire des domaines chinois, en plein boom. B&D s’internationalisent et ont désormais une filiale chinoise.

Inutile cependant espérer croiser derrière ces stands chinois le vigneron en personne. Ce sont tous des milliardaires qui ont autre chose à faire, si vous voyez ce que je veux dire. L’un d’entre eux, me dit-on, de Taiwan, a investi cent millions de dollars dans deux domaines et n’y est allé que deux fois. Pas d’avis sur la chose, nous portons le même nom, vigneron, mais, en réalité, notre métier n’a rien à voir. Pour d’autres, sans doute, suis je légitime d’usurper ce nom, vu que je ne sais pas conduire un tracteur ? Vaste sujet. En tout cas, j’ai l’impression de mettre au monde mon vin, et de l’assumer, jusqu’au bout. Pas mal comme idée. Va falloir le défendre, au passage, le vin, parce que je suis pas vraiment à la mode, ici, plaire au « goût chinois » étant le cadet de mes soucis. Il n’y autant de « goûts chinois » que de provinces dans ce charmant pays, d’ailleurs, comme il y a de multiples langues, ethnies, passe droits, particularités. Avant de vendre du vin en Chine, faudrait déjà lire un peu Wikipédia pour se rendre compte combien les cuisines divergent et la politique est compliquée dans un si grand pays qui, même au plus profond du rouleur compresseur Maoiste a dû ménager la chèvre et le chou. En substance, le vin qui marche, ici, c’est finalement un peu comme aux USA : sucré, vanillé, boisé, tannique, noir et… cher. La dégustation de pas mal de domaines me le confirme, avec la palme à une plutôt bonne syrah du domaine Canaan, photo ci après, que j’aurais beaucoup aimé goûter avant le passage en barrique, et du Marselan le plus cher du Monde, 200 euros, du Domaine franco chinois, qui va faire tousser un paquet de vignerons du Languedoc qui n’ont jamais cru à ce cépage qu’ils ont pourtant « inventé ». Après tout, le Marselan, c’est Monsieur Cabernet qui a fauté avec Madame Grenache et qui ont eu un fils, alors, ça m’évoque des trucs, bien sûr… Et ne suis je pas d’ailleurs comme le chinois de base ? Si ce n’était pas cher, l’aurais je gouté pareil. Compliqué, d’autant plus pour moi, qui vous le savez, au niveau prix du Grenache, ai certaines convictions… Tiens, bu un très bon « pure », un Chateauneuf du Pape, au restau de l’hôtel, avec l’équipe Bettane-Desseauve, hier, de mon ami du Domaine de la Barroche. Ce billet part dans tous les sens…

China Syrah

China Marselan

Honnêtement, certains vins sont bons, mais tout se ressemble, comme formaté  à la sortie d’une usine à vin où le même pied à coulisse sert d’arbitre des élégances, le tout manquant cruellement d’énergie et de conviction, de couilles, quoi. Faire ce qu’on aime et ce à quoi on croit, au lieu de vouloir plaire à tout prix… On montre avec fierté ses cailloux, un peu de verdure quand il y a en a, mais bon, on est loin, et pour toujours, de la beauté des paysages viticoles de la France. On sent que trouver des coins sauvages est compliqué et que, souvent, on a plus à faire avec l’égo d’un homme qu’avec l’émergence d’un nouveau grand terroir. Mais quels progrès ! Ca montre bien qu’avec beaucoup d’argent et beaucoup d’énergie, on peut faire du vin plus que correct partout. Tout ça manque d’âme, vivement qu’il y ait quelques vignerons « nature » en Chine 😉

En attendant, le moindre vin chinois qui ne se la pète pas trop est entre 35 et 70 euros public. « Moins cher, on est pas crédible et rien ne se vend » m’avoue un commercial. Avec mon Modeste à 8,50, j’avais l’air d’un con, madame, j’avais l’air d’un con. Pas grave, j’assume. Et puis on a des frais, me raconte t’on. Ah ? « Il y a dix ans, un salarié agricole gagnait 10 % de ce qu’il gagne aujourd’hui ». Bon, on est encore à 500 euros par mois, mais le delta n’est plus ce qu’il était (d’autant qu’à mon avis, à ce prix, ça bosse mollement, j’aimerais bien mettre mon équipe de guerriers au milieu qu’on rigole un peu) et cela va poser des problème à la planète, on le sait, et pas que dans le vin. Pensif, je m’accorde un interlude, un peu de révolution culturelle, en mangeant un sandwich que la SNCF n’aura pas renié, à 8 euros quand même. Le service est pire, c’est dire. Les temps changent, ma bonne dame, dommage que Sempé n’est jamais croqué la Chine…

Photo révolution

Le temps passe, la journée coule, le soleil se couche mollement, masqué par la pollution. Les Chinoises sont avinées, plus vite que les Chinois, enfin je crois. Sur leurs petits talons, leur sac Chanel plus ou moins vrais à l’épaule, elles commencent à tituber, le regard se voilant d’une manière très caractéristique. Les hommes eux, transpirent et rient de plus en plus fort. Je regarde le ciel et dans ma tête chantonne « Ribbon in the Sky » de Steve Wonder, sans pouvoir expliquer pourquoi cette chanson me vient à l’esprit. Fatigue.

Allons diner.

Dans la queue pour l’ascenseur qui va me faire descendre de 100 étages en dix secondes et m’obliger à souffler dans mon nez pour compenser la pression, mon voisin explique qu’on lui  a dit qu’il y a vingt ans, il n’y avait pas de feu de croisement à Shanghai.

Bizarre, mais j’y crois.

Un commentaire

  • Pascal
    12/03/2016 at 9:03 am

    Libéralisons, libéralisons, qu’ils disent. En matière viticole, cela donne : supprimons toutes ces règles pesantes et archaïques qui brident notre créativité. Certes, nous avons, nous Européens, des règles parfois pesantes voire aberrantes. Et pas seulement en France, les Allemands, Italiens et Espagnols ont aussi leurs aberrations. Mais quand on goûte les vins, on constate beaucoup plus de diversité dans une seule région européenne que dans l’ensemble des pays du Nouveau Monde. La quasi absence de règles conduit finalement non pas à créer de la diversité, mais au contraire, elle permet d’utiliser sans limites des techniques de production dont le seul but est de produire à moindre coût un produit standard et superficiel, souvent vendu très cher, un produit marketing, habillé et maquillé pour « faire la pute » sur les marchés, et plaire, ou plutôt flatter le plus grand nombre de consommateurs possible. Et pour certains vins, le but est aussi de flatter l’ego de l’industriel – pardon, du vigneron.

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