Temps de chien


Faut que je recommence à écrire. C’est clair.

Pas comme le temps. De chien, cette année. Pourquoi dit-on « temps de chien » d’ailleurs ? Les chiens sont ils sensibles au temps ? Sont ils gris quand il est gris, à l’intérieur de leur petite tête poilue ? Pas l’impression. Pas l’impression qu’il soient mécontents de sortir quand il fait gris et froid, comme cette année. Leur queue remue, leur regard s’allume. Mais bon, c’est peut-être juste parce qu’ils ont un besoin pressant à assouvir. Va savoir. Les chevaux, la nature, les chiens, on peut pas tout comprendre même quand on lu et relu Clifford D. Simak.

Le gris, c’est beau. Ça se peindrait. Mais maintenant, ça suffit…

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On n’en peut plus de cet hiver qui n’en finit pas. De ce ciel plombé, gris, que même la tramontane n’arrive pas à décoller. On ébourgeonne en anorak, certains ont ressorti les bonnets. Encore que les bonnets n’avaient pas été rentrés, en fait.

12 °. En Mai. Avec 100 km/h de tram, qui casse déjà les sarments, pourtant solides, tant ils ne semblent pas se décider à dépasser les 15 cm. On va où, ma bonne dame ? On y va, en tout cas. Et on aura des vacances, cette année, pas comme l’année dernière.

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Mon ami Mathieu Semper, qui note mieux que moi les précipations à Lesquerde, m’annonce « déjà 160 mm depuis le début de l’année, soit autant que toute la pluie tombée là haut en 2016 ». Temps bordelais, quoi. Pourtant, pas de mildiou encore, peut-être pas assez chaud pour lui, qui sait. Tant mieux parce que le cuivre, plus nocif finalement pour l’environnement que le Roundup, peine à obtenir le renouvellement de ses autorisations d’utilisation. Le monde à l’envers, madame Michu. Que faut il croire, mon bon Monsieur ? Dans quelques jours, mon fils aîné aura 15 ans. En 2003, on était en canicule et les nuits, aussi chaudes que les jours, intenables. Là, ce matin, j’ai fait du feu et je sens peu à peu la chaleur qui remonte dans mon dos. Faut que je m’habitue à savourer des trucs de vieux. Les infrarouges sur les os. Les vieux os. Mes vieux os. Remarquez, ça me fait écrire. Radoter ? N’exagérons rien !

Dans ma tête, je suis resté jeune, moi, hein. La preuve, je plante, des vignes que je ne verrai (ni ne vinifierai) jamais quand elles seront adultes, à 40 ans. Je renonce pas, je veux du bleu, du grand, du musclé, du solide. Du soleil brûlant, de l’air comme enchanté, qui grésille d’énergie et de vie, l’odeur du genêt qui fleurit, des oiseaux s’enivrant de printemps, des abeilles affamées. Et non pas des cigales qui refusent de sortir de terre ou qui ont pris froid et ne peuvent chanter, un cache col autour de leur carapace chitineuse, comme dans une vieille gravure de Gustave Doré. Et surtout pas de ces bizarreries climatiques où la Normandie ruisselle de soleil et où le Roussillon grelotte. Un monde à l’endroit, pas à l’envers. Un monde où Air France vole, pas reste au sol…

En attendant, l’herbe pousse. Drue. Bien drue. Si certains devraient se poser quelques questions devant leurs vignes, nous, même pas peur, on est à jour. On termine gentiment les labours de printemps, en évitant quelques endroits où on pourrait bien se planter en tracteur, voire carrément s’embourber. Pas sur Vingrau, où les argile-calcaire de luxe permettent tout, mais sur Lesquerde, dans les arènes granitiques, on apprend les différences. En préparant une parcelle pour l’année prochaine, une ornière créée par une roue de tracteur s’est transformée dans la nuit en mare… Parfait terroir pour les années de sécheresse. Notre amie la laboureuse à cheval est passée elle aussi, faire les trois hectares qui résistent au tracteur, on en a pas fait un évènement, comme certains, ni une pub racoleuse, ni une leçon d’explication quantique ou de pseudo science. On le fait, juste. Vive le tracteur à chenilles, parce que des comme elle, il y en a peu.

La terre s’est bien décompactée avec les pluies de printemps, on a de l’eau pour passer l’été, en tout cas sur les vieilles vignes, profondément enracinées. On n’aura pas non plus à arroser les plantations de l’année, Vermentino et Pinot Noir, ou juste une fois, peut-être, mais pas le pinot, sur des argiles de compétition qui se sont gonflées à blog. C’étais l’année pour ça, mais il y avait peu de fenêtres de plantation, on les a toutes réussies. Un peu comme une stratégie de passage aux stands et de changement de pneu dans une course de F1. Le ruisseau de Vingrau recoule, régulier, alors qu’il était sec depuis trois ans. Quelle joie. Les sources connues ré-apparaissent, d’autres, nouvelles, sortent d’on ne sait où, les puits se re-remplissent, les citernes encore en état débordent. Pas d’escargot, en revanche, ou peu, car l’été trop chaud et sec de l’année dernière a compromis leur reproduction. C’est Michel, 90 ans, qui me l’a dit. Il ne sait rien du monde d’aujourd’hui. Mais du monde qui l’entoure, ce qu’il sait, il le sait…

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La nature est magnifique, propose d’infinies nuances de vert, du sombre vert de la feuille de palmier mouillé du jardin du voisin, presque noir, au vert pâle des jeûnes pousses et des bourgeons timides, au vert triomphant des amandiers, resplendissants cette année. On avait semé des couverts d’hiver un peu partout, des mélanges de graines, de fleurs, de pois (Merci Jean-Michel pour l’adresse) et du coup nos prairies ont un petit air joyeux d’alpage suisse. Les céréales sont en retard, c’est pas plus mal, les sangliers les mangeront pas tout de suite.

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Bon, sous la pluie, ce qui est moins drôle. Mais je l’avoue, très beau aussi. Acceptons ce que l’on ne peut changer, voyons tout le positif du printemps humide (il ne faut jamais parler sèchement à un Numide, ne l’oublions jamais ;-). Le soleil va bien finir par percer et alors, telle la chèvre de Monsieur Seguin,  j’aurai ces quelques jours d’ivresse, ceux que l’on ne peut pas acheter.

Le vrai luxe.

 

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