Vendanges 2019 * Jour J-3 * Et dans toi, qu’y mettrais-je de moi ?


L’attente. L’avant vendange. Un moment magique. Angoissant et joyeux, même si ces deux adjectifs n’ont rien à faire l’un à côté de l’autre. Je piaffe, pressé de commencer. Une torture, d’autant que l’impatience est sans doute mon plus grand défaut. Mais il m’a permis tant de choses, alors, je l’aime aussi.

La cave est prête, l’équipe arrive, la météo est bonne. Cette année encore, le Roussillon, formidable terroir, me permet de choisir les dates de maturité.

J’ai mis longtemps à comprendre l’importance de ce paramètre. Ailleurs, le climat décide souvent. Ou la pression des maladies. Ou l’arrivée de l’équinoxe. Ou les traditions. Ou le marché, le goût d’un journaliste, la compétition entre propriétés, l’ego de l’un ou de l’autre, son voisin. Ici, pas de pression, rien de tout ça. Je décide, en conscience, en totale liberté, du moment précis où chaque parcelle va être vendangée. C’est magique. Puissant. La responsabilité est grande car, bien sûr, je ne peux accuser personne si je rate.

Ceux qui sont venus un jour goûter à Vingrau le savent, j’aime faire trois sortes de vins. Les vins de fruits, les vins de lieux, les vins rock’n’roll. J’ai emprunté les deux premiers termes à mon ami Jean-Michel Deiss. Il n’ont pas, chez moi, tout à fait la même signification.

Dans les «vins de fruits», j’interviens, souvent beaucoup – dès la plantation, les terroirs sont ici tous disponibles, en quantité, en qualité, en diversité, ce qui est unique en France – et j’injecte autant de «moi» que je l’estime nécessaire. Quand je pense qu’on a reproché un jour à un immense vigneron bourguignon qu’il y ait trop de «lui», dans ses vins et pas assez de «terroir»…. RIP, mon ami. Enfin, vu qu’à la cave, il n’y a aucun intrant à part du SO2 et un peu d’azote bio certaines années, mon choix est limité. Mais quand même. Le «moi», entendons nous bien, c’est : le mode de culture donc les rendements, la date de vendange, le mode et la durée des vinification, les élevages, la date de la mise en bouteille. Ca semble rien, mais ça veut dire beaucoup… Et ça peut tout changer. Ailleurs, le vigneron, souvent, subit. Ici, il décide. Et c’est bon, si vous saviez…

Sur les «vins de lieux», c’est le contraire. Je m’efface, je disparais. J’essaie de ne mettre aucun filtre entre le terroir et vous. Ou le moins possible. Mon action consiste à accompagner, à accoucher de quelque chose sur laquelle je n’ai, en quelque sorte, qu’une obligation de soin. Les femmes comprendront. J’en revendique la paternité, et sans doute suis je légitime en cela, mais, au final je ne fais que créer des possibilités et les laisser naitre.

Sur les «vins Rock’n’roll», mon espace de liberté, je retrouve mes dix ans, dépasse mes limites, tente d’oublier mes «croyances infondées» et de surmonter mes «peurs limitantes» comme le dit si bien A. Robbins. Et certains vins naissent alors là où personne ne les attendaient. Justes ou pas. Le temps le dira. Mais j’aurai essayé. Pas de grand vin qui n’ait été rêvé avant (aurait dit Nietzsche s’il avait picolé…) mais pour rêver, encore faut il se l’autoriser. Et trop peu de vignerons se l’autorisent.

Chaque millésime est différent, on fait appel, pour l’expliquer à la raison. Climat essentiellement. Mais si il y avait autre chose ? Le vin ressemble souvent au vigneron qui l’a mis au monde, comme certains maîtres ressemblent étrangement aux chiens qu’ils choisissent pour vivre à leur côté. A quelques jours des vendanges, je me demandais si tout cela était conscient. Si j’avais vraiment une quelconque influence sur les vins que je façonne. Si donc, chaque année, ayant changé, ils allaient changer eux aussi. Suis je le même que l’année dernière ? Non, bien sûr. Ne suis je pas, en tant qu’homme, une variable d’ajustement qu’il faudrait donc prendre en compte ?

Que m’est il arrivé, cette année ? Amour, famille, emmerdes, problèmes, voyages, rencontres, émerveillements, douleurs, découvertes, renoncements, dégustations, trahisons, déceptions, les mots me manquent, tout cela va t’il se retrouver dans mes vins ? Même, qui sait, dans ceux que je rêve de ne pas influencer ?

Alors, et parce que cette année j’ai compris la force d’un «moodboard» auprès d’une immense créatrice de mode, je me suis dit que j’allais reprendre des moments de mon année, tenter de mettre, dans un patchwork des photos illustrant tout ce que j’ai vécu. Il a fallu faire des choix, parce qu’il y en a eu beaucoup. Chacune de ces photos est pour moi signifiante d’un moment qui m’a changé, d’un millimètre ou profondément, dont je sens, quelque part, l’influence, intégrée mais présente. D’autres, bien sûr, n’avaient pas leur place ici parce que trop intimes. Mais l’essentiel est là…

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La plupart de ces photos ne vous diront rien. Pour certaines personnes avec qui j’ai vécu certains de ces moments, elles auront une grande signification. Moments de qualité, amis, êtres chers, plaisir d’une douce nostalgie, tous sont désormais en moi et vont m’accompagner tout au long de ces vendanges. Et qui sait, passer dans les vins, leur donner un parfum particulier, de la profondeur. Les rendre vivants comme je l’ai été depuis douze mois.

Après tout, on est au Clos des Fées…

 

Un commentaire

  • Patrice Bonnet
    28/08/2019 at 11:57 am

    Heureux de vous retrouver dans ce blog, j’aime toujours autant vous lire. Les compte-rendus des vendanges sont un délice.
    Cordialement,
    Patrice Bonnet

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