Vendanges 2020 – S’occuper des petits


J’ai, longtemps – en vérité pendant la plus grande partie de ma vie – été un amateur de vin pauvre. Ou un pauvre amateur de vin ? Enfin, désargenté, disons plutôt. La richesse, c’est autre chose. Ça n’a rien à voir avec l’argent. C’est plus intérieur. On ne peut pas vous l’enlever.

Le monde du vin reste une «idiosyncrasie», comme me l’a, un jour, magistralement démontré mon ami XR. Il a ses règles, elles sont particulières, elle ne valent que dans l’univers du vin, obéissent à une logique particulière, souvent assez proche de l’idée que je me fait du chaos. Ne pas vouloir les respecter ou s’imaginer les changer, lui en imposer d’autres, est une tâche que Héraclès lui-même aurait refusé. Beaucoup ont essayé. Essayent toujours. Mais, lorsqu’on est pris dans une baïne, il n’y a d’autre espoir que de suivre le courant.

Or donc, dans le milieu de vin, et c’est sans doute un des rares milieux qui le permet, il existe, pour le passionné de vin le plus démuni, pourvu qu’il poursuive une passion sincère et tenace, une multitude d’occasions de se faire le palais, de goûter, de découvrir : visites dans le vignoble bien sûr où certains vignerons, même les plus connus, restent généreux de leur temps et de leurs vins; salons régionaux, nationaux, internationaux; clubs de dégustations: journées portes ouvertes ; amateurs richissimes mais manquant d’amis ayant la même passion, j’en oublie. L’accès aux vins vraiment chers, bon, il est vrai, s’est refermé au fur et à mesure que leur prix augmentaient. Il est aujourd’hui plus difficile d’accéder au vins cultes mais ce n’est pas impossible. On boit bien avec nos clients une des huit barriques de Petite Sibérie par an, alors, rien n’est perdu.

Reste qu’on ne peut pas toujours goûter, parfois, il faut boire. Et là, quand on n’a pas beaucoup d’argent, et bien il n’y a pas tant que ça de ces bons vins artisans, aux mains calleuses, ayant la gueule de l’endroit où il sont nés, accessibles en volume, le tout au «juste prix». Nous en parlions souvent avec mon ami Coffe, au moment d’ouvrir la bouteille de trop, ce qui avec lui, arrivait toujours et que, bien sûr, nous allions regretter le lendemain. Dans les moments simples, il faut des vins simples. Point.

Alors, bien qu’étant parait-il désormais «reconnu», j’ai toujours voulu rester au contact de la réalité, ne pas me couper de ces amateurs là, ne pas oublier ma vie d’avant, simple et heureuse parce que jamais jalouse de rien ni de personne et continuer à faire des vins simples, mis en marché dans ce qu’on appelle des «circuits courts», à des prix à la portée de tous. C’est ainsi qu’il y a dix ans, je me suis mis le Domaine de la Chique sur le dos.

J’en parle peu, le vin suit son bonhomme de chemin en exclusivité chez Carrefour et Carrefour Market, en produit «Reflets de France». Oh, je sais, je suis moqué, critiqué, méprisé par certains de mes pairs. Mais seule la grande distribution permet la mise en marché d’un grand volume de vin rapidement. Le rapidement est important. C’est lui qui a sauvé la propriété. Et à vrai dire, l’opinion des autres je m’en fous un peu, pour peu que l’amateur, lui, se régale.

Je mets dans ce vin tout mon cœur, croyez moi, au point, certaines années, d’avoir failli mettre en danger les vendanges du Clos des Fées pour ne pas l’abandonner. Le petit vin, c’est très exigeant. C’est facile à faire, mais surtout facile à rater. Aller vendanger la Chique alors que le Clos des Fées pressait, c’est un peu comme la première chose qu’on vous apprend quand vous bossez dans une cave : si un de vos collègues, père ou fils tombe dans une cuve saturée de gaz carbonique, surtout, il ne faut jamais essayer de descendre pour le remonter. Au lieu d’un mort, il y en a deux. Et pourtant, chaque année, des paires de morts, il y en a. Le vin, chaque année, c’est aussi des vignerons écrasés sous leur tracteur, broyés par des machines, perdant un doigt, une main, une jambe, la vie. Fait chier.

Cette semaine, donc, c’est : vendanges à la Chique, en attendant que les vignobles d’en haut murissent. Rien ne presse, pour une fois. Vu les prix de vente, il faudrait vendanger à la machine si on voulait gagner de l’argent. Mais sur les vieux gobelets de 60 ans, macache bono. Mais où j’ai appris ce mot… Parfois, je me demande.

Voilà que ce soir, de mort en mort, je pense, à mon ami Franck, grâce à qui, à l’époque, ce vin avait été présenté à Carrefour et, grâce qui, donc, on a pu sauver ce plateau merveilleux de l’arrachage. Franck, mon ami Franck, il est mort cet été de la manière la plus stupide et atroce qui soit : en pique nique, avec sa famille, il n’a pas vu la guêpe qui était rentrée dans son sandwich. Il a mordu dedans comme il mordait dans la vie, avec courage et énergie. La guêpe l’a piqué, sur la langue. Il s’est étouffé. Du fin fond de la Toscane, je n’ai pas pu aller à son enterrement, mais croyez moi, ce vendredi là, j’ai pleuré.

Au Domaine de la Chique, nous allons te dédier, Franck, ce millésime 2020. Il s’annonce magnifique. Après les Cinsault, nous rentrons aujourd’hui des Grenaches noirs niveau concours, de beaux volumes, ce qui est rare sur ces terres caillouteuses balayées par le vent. 13,6°, 3,30 de pH. Le top. J’aurais aimé que tu le goûtes, je ne doute pas qu’il aura encore, comme chaque année, une avalanche de médailles dans tous les concours de la terre. Grâce te soit rendue.

Alors, ce soir, pris dans ce billet par une tournure que je n’avais pas prévu, la fatigue permettant peut-être plus facilement le débordement du cœur, je vais arrêter de vous parler de tension, de soucis, de vendangeurs qui se battent comme des chiffonniers, de tuyaux d’eau qui éclatent et autres problèmes sans aucune importance, pour vous rappeler, comme je vais le méditer avant de m’endormir, que la vie est courte, belle, que chaque minute blesse, que la dernière tue et que personne ne sait la distance qui nous sépare de celle-ci. Le chemin vers la conscience, la sagesse, le bonheur, comme vous voulez, disait Osho, est simple. Il commence, chaque matin, par s’asseoir sur le bord de son lit, respirer profondément, les yeux fermés et de se dire : «je suis vivant».

Ce que j’écoute, au jour le jour, pendant les vendanges. Mais pas tous les jours. Et oui, j’écoute des chanteurs populaires, comme je bois des petits vins. Les deux, quand ils sont bons. Même Louane, acoustique.

Un commentaire

  • Danièle Gérault
    03/10/2020 at 7:09 pm

    Salut Hervé J’aime ton texte IL SORT TOUT DROIT DE TON COEUR. Je t’embrasse Danièle

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