Vendanges 2020 – Jour 6 – Se perdre dans la brume


On est partis. Un peu comme dans un grand huit. Les jours qui viennent de s’écouler, c’est le moment où la voiture monte peu à peu vers le ciel. Puis il y a un plateau et, enfin, la descente que l’on redoute et que l’on désire en même temps. En soi, j’ai une «relation» avec mes vignes. Je l’avoue. Je l’assume. Aujourd’hui c’est avec une de mes parcelles préférées, une des plus importantes aussi. C’est la base de ce qui sera un jour la cuvée Clos des Fées 2020. C’est la première que j’ai plantée, en 2001. Elle est adulte, désormais.

Le brouillard est ce matin à couper au couteau. On ne voit rien à cinq mètres. Tout le monde a roulé doucement, en convoi, comme chaque matin.

7h30, chacun a son sécateur à la main, son seau dans l’autre, la meute s’égaille autour de Tomek qui place les coupeurs les uns après les autres. On s’ébroue, on s’échauffe un peu car la vigne est en pente et on va souffrir. Les porteurs, surtout.

En espérant que le brouillard se lève un peu, je photographie mon armée d’échalas, fièrement dressés, telle l’armée de l’empereur Qin Shin Huang. Sauf qu’ici, ça n’a rien d’un mausolée. Il y en a 13 ou 14 000, je ne sais plus, je ne les aime pas comme aujourd’hui toute l’année, tant ils sont compliqués et coûteux à garder dressés. J’en change 1000 chaque année, il faut une autre armée, humaine celle-là, pour attacher au moment juste. Mais aujourd’hui ils me transportent.

En même temps, dans des années comme celle-là, la supériorité du gobelet est sans appel. 90 % des raisins seront restés à l’ombre, à l’abri des chaleurs et des brûlures de l’été, alternant ombre et lumière au gré des humeurs du vent, l’idéal pour multiplier les précurseurs d’arômes.

L’état sanitaire est niveau «raisin de table», comme d’habitude. Je ne comprendrai décidément pas pourquoi tant de vignerons ne jurent que par les tables de trie et autres machines qui les éloignent de l’essentiel : que la nature fait souvent bien les choses.

Les porteurs vont souffrir donc. Pour bien porter, il faut être léger. Des physiques de grimpeur. Des muscles secs. Il y a cent mètres à monter, et même si, bien sûr, les coupeurs, en montant, remontent donc le raisin sur quelques mètres, la pente est rude. 14 °, du brouillard, des entrées maritimes, c’est le jour idéal. Mais impossible d’imaginer couper après 15 h, tout le monde sera HS. Pas Costica.

Costica, il mérite mon respect et le vôtre. Le blog d’aujourd’hui lui est dédié. Il a 57 ans. Il est Roumain et fier de l’être. Il a un peu de mal à se baisser, alors il a décidé de porter. Il va prendre sur lui, s’économiser, avancer, à son rythme, mais sans faiblir. Il est fier. Il a le mental. Avec les deux, il compensera les méfaits du temps, un temps où il ne s’est jamais économisé. L’ambiance est bonne, le raisin magnifique, le soleil perce. Costica nous donne une leçon, une leçon par l’exemple. Les plus fortes. J’espère que vous penserez à lui et à tous ceux qui engagent leur corps dans la naissance des grands vins en maintenant la dure tradition de la vendange manuelle.

Bon, la cave m’attend. Le brouillard ne veut pas se lever, mais au passage des vingt marches, je vole cette photo du cirque dans les nuages. Quand je pense qu’on me demande toujours et souvent pourquoi je vis ici…

Je prends quelques minutes pour m’ancrer dans le sol, en posture « tadassana« , la posture mère du yoga (merci D., vraiment, mais alors VRAIMENT pour m’avoir appris à m’enfoncer dans le sol…) et pense à ces quelques vers d’Edmond Rostang dans son hymne au soleil :

«Je t’adore, Soleil ! Tu mets dans l’air des roses, 
Des flammes dans la source, un dieu dans le buisson ! 
Tu prends un arbre obscur et tu l’apothéoses ! 
Ô Soleil ! toi sans qui les choses 
Ne seraient que ce qu’elles sont !
  »

Quel merveilleuse journée. Bon, on n’a pas chômé et il faudrait dix billets pour vous la raconter. Merci à tous ceux qui m’entourent, m’accompagnent me soutiennent et la rendent possible. Degré génial, pH idéal. Yep !

Ce que j’écoute, au jour le jour, pendant les vendanges. Mais pas tous les jours. There must have been an Angel by my side, Something heavenly came down from above…

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