Acidulé


Samedi, à Grand Frais, j’ai trouvé une superbe rhubarbe. Ca m’a rappelé la recette d’Alain Passard, sur insta, pour la fête des mères et j’ai voulu essayer sa «tarte serpent» qui me semblait géniale par sa facilité, son look et son raffinement.

L’après-midi, j’ai fait la recette et je me suis dit qu’elle était vraiment digne de rentrer dans ce blog.

La barre est haute.

Faut que ça soit d’une simplicité biblique. Et comme dit l’autre « c’est compliqué la simplicité biblique.. ». Un peu comme cette ratatouille qui désormais, fait office de mot de passe avec mes fans. Ce n’est pas « comment est votre blanquette » mais « surtout, jamais de courgette !». Un destin…

En pâtissant, je me suis rappelé l’époque où je passais mes journées à enquêter sur les produits alimentaires. La fraise, un jour. L’andouillette, le lendemain. Le maquereau, le vendredi. Mon époque Jean-Pierre Coffe. J’ai ressorti un vieux texte des tréfonds de mon mac et je me suis dit qu’avant la recette, j’allais mettre sur la table tout ce que je sais de la Rhubarbe. De toute façon faut que je reprenne la plume, parce que dans deux mois, on vendange. Dingue.

Si vous ne voulez pas vous cultiver, allez direct à la photo. Mais renoncez du coup à briller en societé…

Comme vous ne manquerez pas de le rappeler au moment de servir votre tarte, (et bien que tout le monde le sache…), la Rhubarbe appartient à la famille des Polygonacées,  qui, à part l’oseille, fait surtout des mauvaises herbes, plus ou moins fleuries.

Elle est connue depuis 5 000 ans (comment les savants savent ça, je me le suis toujours demandé…) et serait originaire des grandes plaines d’Ukraine. Longtemps, elle n’a été considérée que comme une plante médicinale. Seule sa racine était convoyée, depuis la Mongolie par les caravanes arabes qui en avaient le monopole. En 1750, le célèbre botaniste, Linné, fait la description du premier plan occidental dans un jardin de Saint-Pétersbourg. Son introduction en France est mystérieuse. Certains pensent qu’elle est arrivée par l’Angleterre où elle prospère depuis le 16ème siècle. D’autres évoquent un consul français, en poste en Chine, qui aurait envoyé en 1867 une caisse de pieds de rhubarbe dont quelques miraculés auraient été acclimatés en France. De toute façon, c’est aux Anglais que l’on doit, vers le milieu du XVIIIème siècle, l’introduction de la rhubarbe dans notre cuisine et notre pâtisserie à travers des recettes de tourtes, de tartes et de compote. Ce sont eux qui, en l’hybridant sans cesse, sont à l’origine de la majorité de nos variétés actuelles. Ils l’aiment toujours beaucoup (aux USA, elle est surnommée «pie fruit» que nous traduirons librement par «fruit à tourte»,  puisqu’ils restent les premiers producteurs européens devant les Pays-Bas et la R.F.A.. Ils en produisent 25 000 tonnes par an en moyenne, alors que nous n’en commercialisons que 500 à 600 malheureuses tonnes. Chez nous, c’est le plus souvent une culture potagère. Peu exigeante, la rhubarbe est en effet un légume facile à cultiver, qui se plaît dans tous les jardins et sous tous les climats, même à l’ombre, et ne demande que peu de soins. 

C’est donc une plante parfaite pour le jardinier amateur. Il lui faut simplement une terre meuble et épaisse. Très exigeante en engrais, elle demande un bon amendement de base (fumier) et des apports réguliers d’engrais pendant la période végétative. Elle se multiplie par division des touffes. Il est facile de se procurer un plan chez un pépiniériste et de le planter en automne.  On peut aussi trancher à la fin de l’été quelques éclats (attention, il faut qu’ils possèdent au moins un bourgeon) qu’on fera soigneusement sécher avant de les mettre en terre en les recouvrant juste de terre. Il est recommandé de ne récolter que quelques pétioles les premières années. Le plan rentre en pleine production au bout de quatre à cinq ans, produit pendant plus de 40 ans sans problème. Il est recommandé de ne récolter que quelques pétioles la première année, un peu comme les pivoines dont il faut sacrifier les bourgeons au départ, ce qui est toujours difficile. Le plan dure 6 à 8 ans mais j’ai rencontré un jour un passionné qui avait un pied de plus de cent ans, hérité de son grand père. La rhubarbe n’en était pas meilleure, mais l’émotion, bien sûr, était formidable.

On ne récolte que les pétioles (les tiges), les feuilles n’étant pas consommables car trop chargées en acide oxalique. Les pétioles jeunes sont les meilleures. En vieillissant, elles se chargent en acidité et deviennent âcres. Il faut casser les pétioles et non les arracher. Attention à ne pas en couper trop pour ne pas fatiguer le pied. La récolte se fait du printemps à l’automne car les pousses se renouvellent régulièrement.

En cuisine, on peut se poser l’éternelle question de savoir si la rhubarbe est-elle un fruit ou un légume ? S’il on s’en tient à l’aspect purement botanique, il s’agit certainement d’un légume puisqu’on ne consomme que les pétioles charnus des feuilles. Mais ses usages culinaires sont sans conteste ceux d’un fruit. La règle veut d’ailleurs que, dans le langage courant, ce soit l’usage culinaire qui détermine qui est fruit et qui est légume.

La rhubarbe de printemps est indiscutablement la meilleure. A partir de début mars (sous tunnel) ou de début avril, le cycle végétatif reprend et de petites feuilles délicates sortent de terre. Elles sont tendres, pleines de goût, craquantes. On peut même les goûter crues pour savourer leur jus sucré et acidulé. Le pied est tout neuf, pas encore usé. En fin d’été et en automne, elle aura été arrosée souvent, le pied aura fournie trois, quatre, voire cinq coupes, la qualité ne sera pas la même, les pétioles devenant filandreuses.

C’est la fraîcheur de la rhubarbe qui fait toute sa qualité. Comme c’est un légume qui se conserve très bien en chambre froide humide (15/20 jours), les abus sont nombreux. Une belle rhubarbe jeune a le pied blanc/rosé, puis d’un beau rouge qui tire sur le vert au fur et à mesure que l’on monte.

Elle est vendue sans les feuilles qui sont toxiques, nous l’avons vu. Un petit truc pour voir la fraîcheur : avec l’ongle, on essaie de rentrer dans la chair. Si l’ongle rentre et vous tâche un peu le dessous de l’ongle, la rhubarbe est tendre et fraîche.  Elle casse alors comme du verre et a une délicieuse odeur légèrement citronnée.

Pas question d’acheter une rhubarbe molle, jaunasse, flétrie, terne, granuleuse ou filandreuse ni de grosses tiges, dont certaines font près d’un kilo. On la trouve en vrac ou bottelée.

Son acidité a la propriété de faire paraître les desserts dans lesquels elle rentre assez peu sucrés. On en fait des confitures et des marmelades (en général en la mélangeant avec d’autres fruits), des compotes, des clafoutis mais surtout des tartes, aussi délicieuses que faciles à faire. On ne pèle que la vieille rhubarbe (celle qu’on n’aurait pas dû acheter, hein) et, pour cela, il faut casser les tiges comme le céleri en enlevant les fils. Entre deux et quatre euros le kilo selon la qualité, la fraîcheur et la saison. 2.65 chez Grand Frais. I love Grand Frais..

Ah, la rhubarbe peut aussi être incorporée aux salades composées, juste taillée en fines tranches, pour une délicieuse et délicate saveur piquante et rafraîchissante. En compote, c’est une tuerie, en sorbet, aussi.

Si j’avais le temps, je referais de la confiture fraise/rhubarbe ou rhubarbe /romarin. Mais il n’y a vraiment que sur l’abricot que j’arrive à apporter un « supplément d’âme » à mes pots, alors… 

Bon, alors cette tarte…

On préchauffe le four à 160°

On déroule la pâte feuilletée (pur beurre s’il vous plait) sur sa grille., directement sur le papier cuisson.

On lave la rhubarbe, on coupe 5 mm à chaque bout, en général secs.

On entaille avec un couteau d’office toutes les tiges, côté arrondi, tous les centimètres environ.

On la plie, du coup, facilement, sans la casser et on l’enroule sur elle-même sur la tarte, en partant du centre, sans oublier quelques petits bouts au milieu pour remplir le centre. 

On fait une jolie couronne avec le reste de pâte en la pliant sur elle-même. On dore à l’œuf, on saupoudre avec 80 à 100 g de cassonade ou de sucre, copeaux de beurre généreux.

Au four une heure. Et voilà le résultat, succulent. Merci Monsieur Passard.

J’aurais dû faire un blog culinaire, je sais, j’aurais des centaines de followers et je serais invité au jury de « je fais le meilleur cassoulet de France » ou je mettrais la pagaille avec Vincent Pousson. 

Mais j’ai choisi mon champ, camarade !

5 commentaires

  • Catherine
    15/06/2021 at 9:46 am

    Merci je vais essayer… et pour le vin, on lui propose quoi a ce serpent ?

    • Hervé Bizeul
      25/06/2021 at 8:49 am

      Aucune idée en toute honnêteté…

  • jacques+rambaud
    25/06/2021 at 8:35 am

    Essayé et approuvé, aussi simple que délicieux, je recommence très vite, c’est vraiment exceptionnel de facilité et de gourmandise.
    Photo disponible
    merci encore et bonne journée

  • Henri Robet
    01/07/2021 at 1:26 pm

    Holà Hervé, faut pas jeter les polygonacées aux orties, sinon comment fait-on les crèpes de sarrasin ?
    Le blé noir est une polygonacée qui pousse sur les sols pauvres et acides. Les Bretons d’avant lui doivent la survie.
    Les Bretons de maintenant le vénèrent sous forme de galette.

  • Botuin
    04/07/2021 at 2:51 pm

    Validé ! Merci !

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