Vendanges 2021, préliminaires, phase 2


Drôle d’année. C’est le moins qu’on puisse dire. Elle est ici très différente du reste de la France, qui a enchaîné les combats : gel un peu partout, météo exécrable, attaque de Mildiou centennale même dans des climats continentaux où il est rare, oidïum tardif, même après véraison, black-rot sur grain, botrytis précoce, l’année a été rude pour les vignerons en France et les vendanges vont être complexes.

Ici, tout le contraire. Pas de pluie ou presque depuis les dernières vendanges. 200 à 250 mm en tout, pour 600 à 700 mn une année normale. Quelques gouttes en juin, deux ondées en juillet, un 10 mm début août qui a fait un bien fou…

Du soufre poudre, un peu de mouillable (inefficace au nord à cause de l’absence de lumière et de chaleur…), un premier cuivre la semaine dernière pour garder les feuilles le plus longtemps possible, le Roussillon est privilégié et on a traité dix fois, vingt fois, trente fois moins que d’autres régions. Sauf que sans eau les grains sont minuscules et que la vendange s’annonce extrêmement réduite. Mais tout est sain, réjouissons-nous.

Chaque matin, au réveil, avant de démarer le tour journalier des parcelles, je me dis combien je suis chanceux, tout ce que je dois à ce terroir fabuleux où l’on produit chaque année, où les maladies sont rares, où la maturité arrive toujours, à un moment ou à un autre, où c’est moi qui décide de mes vendanges, de mes maturités et pas la pression des maladies. Ou l’espoir de la note d’un influenceur dont on subodore le goût…

Certes, à ce train là, nous voilà en zone pré-désertique. Sans eau, les sols sont en grande difficulté pour activer bactéries et donc renaissance. On sème, on paille, on fait ce qu’on peut mais entre l’herbe et la vigne, on doit choisir pendant l’été, quoi qu’en disent les nouveaux prophètes de la permaculture. On a gratouillé tout l’été, pour former une couche de terre et d’air, grand isolant devant l’éternel, et, au final, on s’en sort bien. Ou je veux croire qu’on s’en sort bien car l’esprit humain est ainsi fait qu’il distord souvent la réalité pour l’adapter à ce qu’il voudrait qu’elle soit. En même temps, si mes semis d’automne ont été un grand succès, ceux du printemps ont cru aux eaux de mars, qui ne sont pas venues. Mes deux tournesols sont misérables… On avait mis le paquet sur le semoir. On fera mieux l’année prochaine.

Mais les vignes sont vertes, au point qu’on se demande où elle prennent l’eau tant ici les cailloux sont la norme et la terre l’exception. Quand on fait des fosses pédologiques, je ne peux m’empêcher de penser à la vieille blague : «comment vous avez trouvé le steak ? Par hasard, sous une frite». Et la terre ? Par hasard, sous les pierres. Pourtant, ç’est vert, dans l’ensemble, grâce à l’argile, même si bien sûr, cette année, on n’a pas eu besoin de rogner. Dans les landes, c’était quand même ambiance «Savane»…

Chaque parcelle évolue à son rythme et, honnêtement, en faisant le tour, je suis partagé entre l’émotion de les voir toujours vertes, équilibrées, les grains en pleine forme, et la détresse de les voir si minuscules. Elle s’est adaptée, tout simplement, c’est beau. Quelques carences, dues au manque d’eau et à la non métabolisation de certains oligo-éléments, en particulier fer et zinc, mais dans l’ensemble, vignoble au top. Un peu d’oïdium sur une Syrah, j’avoue, mais encore le temps de passer pour faire tomber les grappes touchées. Dans l’ensemble, on est bénis.

Je me promène, sentant la souplesse des sols, la douceur des feuillages, m’étonne de la forme olympique de certaines vignes qui pourtant me semblaient en souffrance au début du mois, mais aussi du début d’une grande détresse dans d’autres parcelles plus sablonneuses qui devront sans doute être vendangées un peu plus tôt. Mais dans l’ensemble, l’année sera particulièrement tardive.

La cave est propre, le matériel nettoyé, on ressort les procédures HACCP pour voir si on fait ce que l’on dit et surtout ce que l’on croit faire, pour éviter les problèmes par la suite, comme par exemple de ne pas avoir la même vision de ce qu’est «le nettoyage d’une cuve»; l’hygiène, c’est très personnel, mais bon, vous le savez. La démarche est obligatoire dans toutes les industries agro-alimentaires et pourtant, dans le vin, presque personne ne respecte l’obligation. Pourtant, au milieu des centaines de paperasses et autres obligations que l’Administration, celle avec un grand A, celle qui dirige le monde et à laquelle je me soumets chaque année comme une pauvre afghane à un taliban, celle-ci est peut-être celle à laquelle j’adhèrerais spontanément si elle n’était pas obligatoire.

L’équipe revient peu à peu de quelques jours de vacances, j’ai du mal à me mettre dans ces vendanges, je l’avoue. Je tente de quitter mon «étage logique», qui m’a si bien servi toute l’année pour organiser la culture, pour entrer dans un étage plus émotionnel, plus empathique, qui, je l’espère, va me permettre de comprendre ce fameux «esprit du millésime» après lequel je cours chaque année. La Process-communication m’a vraiment aidé à me comprendre et à comprendre pourquoi et comment faire de meilleurs vins. Faudrait que je vous en parle. Mais est ce bien l’endroit ?

Comment je me sens, me demande P., toujours à l’écoute.

Comment vous dire, cette année, j’ai l’impression que la montagne qui m’attend est infranchissable. Bizarre, alors que rien n’a vraiment changé.

Il faut que je prenne de la hauteur. Que je trouve un angle plus large. Voir les montagnes de Corée, comme me le conseille Ours. J’aime bien Ours. On en reparlera. Pas facile d’être le fils de (c’est le deuxième fils de Souchon, oh, la Piche !). Pas facile de transmettre un domaine. Tiens, un billet en perspective.

J’aimerais bien aller en Corée, un jour. Faudrait que je trouve un importateur là-bas. 나를 도와줄 사람?

Ce que j’écoute, au jour le jour, pendant les vendanges. Mais pas tous les jours.

5 commentaires

  • Philippe
    28/08/2021 at 9:53 am

    Persévérant, rêveur et travaillomane ?
    En cas de désertion de l’Admin, l’écriture et ses lecteurs sont pour toi. Tes formules nous impriment des images et sensations.
    Ah j’oubliai, depuis ta battle, à propos de ratatouille, avec un autre épicurien lors de la soirée du 3 juillet, j’ai testé 3 fois ta préparation en couches humides. Carton plein. J’adore et les convives aussi.

  • Pierre Masson
    29/08/2021 at 5:24 pm

    Mon père m’a raconté la blague du steak. Il aurait 122 ans aujourd’hui !

    • Hervé Bizeul
      30/08/2021 at 6:34 am

      On est vieux, cher Pierre, que veux tu…

  • Pascal
    02/09/2021 at 8:05 am

    Bonjour,
    Dans un magasin « Paris-Baguette » de Seogwipo, à Jeju, île du sud de la Corée, j’ai vu une Sorcière en rayon.

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