Vendanges 2021 – Jour 1 – Avoir le feu aux miches


«Hervé, tu as vu, il y a le feu à la Chique » ! Un simple coup de fil et ta vie change. Tu accélères, ton taux d’adrénaline augmente brutalement, tu accélères encore, trotte rapidement vers ta voiture, cherche les clés et te force à ralentir tout en n’allant pas trop lentement car, à coup sûr, les pompiers vont bloquer l’accès.

Roule, roule, prend les chemins de terre à fond, approche toi du feu qui, parti de la route, enflamme les pins et vient vers tes vignes. Regarde d’où il vient, regarde où il va, et tremble. Tu vois la fumée, tu connais le terrain : celui là, c’est pour toi…

Tu t’approches et tu comprends que ça va se jouer à très peu. Un Canadair disponible ou pas. Un commandant de pompier qui sait que les oliviers ça brûle comme une torche. Un degré de vent vers la droite ou vers la gauche, un vent qui va durer ou tomber avec l’arrivée de la nuit.

Tu arrives à 100 m du feu, et là, tu commences à flipper. Et puis tu te calmes, parce que de toute façon, tu ne peux rien faire. Tu t’éloignes, un peu, tu prends la fumée comme un saumon dans son fumoir, et tu te dis, bien sûr, que si tes vignes en réchappent tu iras mettre un petit cierge dans une église, une petite offrande devant la maison du petit peuple invisible des fées ou quelques gouttes de vin dans ce puit mystérieux que seul toi connais. Même si au fond de toi, tu n’es pas polythéiste, que ta croyance profonde tu la connais, une sorte de spinozisme de comptoir, dont tu as retenu ce qui te vas : la nature, c’est Dieu et vice versa…

Arrivent les pompiers. Un camion, comme perdu. Qui lutte. Des pompiers un peu hagards qui tirent de lourds tuyaux. Tu leur parles, leur dis que les habitations sont loin, qu’il y a une potence et de l’eau. Ils te chassent, ils ont raison.

Le feu prend toute son ampleur et avance à 6 km/h. Marche rapide. Tu le vois, tu le sens, tu sais qu’ils ne pourront rien faire. Un hélico tourne, mais pas de piscine pour remplir. L’avion de commandement est là haut, tu sauras le lendemain, dans le journal, ce que pense la tête de l’opération : «regarde ces belles vignes, bien nettoyées, pas une herbe, on va s’appuyer dessus, ça bloquera le feu à gauche».

Alors tes vignes meurent, sur quelques rangs. Et sauvent. En même temps. Tu es partagé. C’est beau. C’est triste. Tu te dis que ce n’est pas grave, en fait. Que tu es utile. Que tu ne fais pas que du vin. Tu protèges aussi les autres. Et tu sèches tes larmes. Tu penses à Anne Dufourmetelle qui sauve le fils d’une amie et meurt. Tes vignes prennent un sens. Tu feras moins de vin. Tu relativises.

Le vent se renforce, envoie des brandons à 100 mètres en avant et crées des nouveaux foyers. Les flammes font 30 mètres de haut. Le vent marin se renforce, il pousse tellement le feu qu’il éteint en même temps certains arbres qui n’ont pas le temps de brûler. Tu comprends ce qu’à dû être le Var, la Grêce, la Sardaigne. Tu tentes une mauvaise vidéo, tu es fébrile, rien d’exploitable.

Le vent tombe, tourne. Miracle. Quatre Canadairs arrivent; tu découvres des dizaines de camions, des semi-remorques d’eau. Tu vis une de ces journées précieuses, celle où tu es content de vivre en France, d’y payer des impôts, d’être dans un système humaniste et solidaire. Tu penses à ce qui aurait pu se passer.

Tu redescends. Tu tentes de te calmer. Inutile de rester, tu ne ferais que gêner. Il faut rentrer. Tu avales un bout de reblochon, fais griller deux tranches de bon pain, refais du feu ton ami. Une douche, enlever la crasse, et l’odeur de fumée, savourer l’eau chaude.

Tu es vivant. Et tu dois vendanger. Rise Up !

Ce que j’écoute, au jour le jour, pendant les vendanges. Mais pas tous les jours.

2 commentaires

  • Cyril
    30/08/2021 at 12:39 pm

    Fichtre !
    Bon l’émotion là, vous êtes bien dedans…

    PS Et sinon
    « Les grands incendies sont une espèce en voie de disparition. Ils se propagent à la vitesse du vent et de la nuit. Leur souveraineté soumet l’espace. Pareils aux météorites et au désir, leur dangerosité, leur degré de combustion, leur trajectoire sont imprévisibles.Dévastation. Régénération.
    Nous sommes de même nature ; des feux. »
    Anne-Dufourmantelle

    • Hervé Bizeul
      30/08/2021 at 5:20 pm

      Magnifique, merci

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