Vendanges 2021 -Jour 16 – Décider de la fin


Longue, longue balade dans les vignes. Il faut se décider.

Le vigneron d’aujourd’hui a vraiment deux outils/armes qui font toute la différence avec ceux du passé : le froid (et le chaud) dans la cave, la météo fiable à 10 jours. Bien sûr, il y aussi la connaissance, l’oenologie moderne, finalement très récente, qu’on doit apprendre, essentiellement pour comprendre à mon avis ce qu’il faut faire pour s’en passer, pour éviter le besoin de «correction» sauf dans les cas externes. Le transport rapide. La qualité de l’égrappage, du pompage. L’hygiène. Beaucoup de progrès. Mais en fait, ce qui fait la différence, c’est la météo, le chaud, et le froid. Et là, la météo ne trompe pas, nous reprendrons de nouveaux orages mercredi et jeudi.

Je longe mes vignes, sens le sol qui a absorbé avec bonheur 60 mm la semaine dernière, l’argile gonflée. Je vois les plantiers qui recommencent à pousser.

Mais je vois aussi bien sûr, les feuilles qui changent de couleur…

La lune décroit, l’air est humide, les raisins ont vaillamment, eux aussi, intégré l’eau venue du ciel. On a sans doute, ne nous leurrons pas, gagné quelques litres de vin, aussi rare cette année que l’eau sur Arrakis (ou presque…). Et, en échange, perdu un voire deux degrés. Les raisins sont magnifiques. Le mieux est l’ennemi du bien, c’est un de mes mantras.

Pourtant, j’hésite. J’hésite toujours de toute façon. A ce moment là, si je trouvais une vieille lampe à huile dans la terre, si un génie apparaissait et me proposait un seul vœu, je prendrais sans doute : connaitre en toute certitude ce fameux «jour J», celui où tous les paramètres du raisin sont optimum pour faire un grand vin de garde. Dois je suivre le célèbre conseil d’Henri Jayer qui disait toujours «qu’il valait mieux toujours vendanger trois jours trop tôt que trois jours trop tard » ?

Je m’ébroue comme Jar Jar Binks pour retrouver mes esprits : cette année, Hervé, ce n’est pas toi qui vas décider. C’est la nature, la météo. Il est temps de te plier à ses décisions. Encore quelques pas, quelques vignes, quelques grains à goûter et voilà, je décide. En même temps, je sais que je dois désormais assumer les conséquences de ce choix. Les grenaches sont magnifiques, ils n’iront pas plus loin. Go Go Go !

Il ne nous restera plus que les Lladoner et les Mourvèdre de Tautavel, la Syrah de Lesquerde et bien sûr les Carignan les plus haut en altitude, loins d’être prêts. On le sait, ils sont sacrifiables dans ce type de millésime tardif et pluvieux. Mais ça devrait passer. De toute façon, à ce stade on ne peut rien en faire. Vendanger du raisin vert ne donne rien de bien.

Clairement, je ne suivrai pas cette année l’une de mes maximes préférées : «si tu veux faire du bon vin, vendange le dernier». Si Virgile avait eu la météo à deux jours, sans doute aurait il ajouté «si la météo le permet».

Aussitôt la décision prise et les Grenache rentrés, je tente de chasser de mon esprit la question fatale : ai-je bien fait ? Ai-je pris la «bonne décision» si tant est que la «bonne décision» existe dans ce métier… Je repense à 2002, seule année pluvieuse et froide que j’ai connue et me dit que ce fut longtemps mon millésime préféré. Inutile de s’angoisser pour ce que tu ne peux changer. Nuit de pleine lune au moment où j’écris ces lignes. Insomnies, cauchemars étrange où les zombies se battent pour des raisins, sécateurs à la main… Alors que la lune éclaire d’une stupéfiante intensité à travers les platanes, je repense à Tchouang Tseu dont j’ai si souvent parlé dans ce blog : «C’est pourquoi j’ai dit que le mieux était encore de revenir à l’intuition»…

Ce que j’écoute, au jour le jour, pendant les vendanges. Mais pas tous les jours.

2 commentaires

  • Roland Marchetti
    21/09/2021 at 1:38 pm

    Excellent Excellent Hervé,
    Tu as ta lanterne magique et c’est toi le génie!!

  • Catherine GEVEAUX
    22/09/2021 at 2:35 pm

    Toujours le même régal de vous lire comme de déguster vos vins !

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