Les NFT et le vin, une révolution annoncée


Je sais, je sais, je n’écris plus…

Mais bon, Instagram est passé par là, plus personne ne voyage (ah, mes périples au Japon ou en Chine…), mon quotidien de laboureur s’est fracassé sur des années de sujets répétitifs. Je vieillis tel Bilbo Baggins, heureux dans son village de cul-de-sac dont le nom correspond tant à la situation de Vingrau. Bien qu’un long chemin me sépare encore de la fin (les fans savent qu’il est mort à 131 ans, un record pour un Hobbit), voilà que le Domaine est désormais une sorte de «référence». Hier, j’étais «espoir de l’année» ou «jeune talent» ou «futur grand» et me voilà bizarrement vu comme un domaine établi, limite bourgeois. Ca pique, parce qu’à l’intérieur, j’ai vingt ans et je n’ai encore rien prouvé. Ah, la nature humaine.

Pourquoi un article sur les NFT ? Eh bien pour vous annoncer la fin d’un monde. Depuis six mois, je suis harcelé par des demandes de transformer certaines de mes cuvées en NFT, en «Jeton Non Fongible», en français, de garantir les jetons ainsi créés dans une «blockchain». Mais j’y pense depuis bien plus longtemps que ça, dès qu’il m’est apparu, quelque temps après avoir compris le concept, que le vin était le sujet parfait pour la chose.

Si vous n’avez aucune idée de la nature d’un NFT, je vous laisse lire ICI l’excellent article de base de wikipédia.

Les jetons représentent des actifs (en tout cas dans le cas du vin…), ils peuvent être échangés hors de tout contrôle et, si il y en a un, il est aux mains de l’utilisateur, pas du développeur. Tout est décentralisé, mondialisé, numérique, digital mais surtout pas… virtuel, ne nous méprenons pas.

Pourquoi cet appétence des NFT pour le vin ? Parce que la spéculation incroyable que nous vivons depuis une dizaine d’années sur certaines cuvées est un jardin d’éden pour les spéculateurs, amateurs ou professionnels.

Entre le moment ou le vin est vendu par le vigneron et celui où il termine dans la cave d’un «amateur» qui l’a souvent arraché suite à un combat épique dans une vente aux enchères, parfois des années plus tard, il y a des ventes et des reventes, des déplacements. Un vin bu à Singapour a pu d’abord partir pour Londres, faire un saut par les USA, revenir on ne sait où, revenir à Londres, passer par Honk-Kong.

Si l’on y réfléchit, ce que j’ai fait il y a des mois et je ne suis pas le seul, on peut séparer la bouteille «physique» du «droit à l’acheter et à la revendre» et du «droit à la détruire donc à la boire». On est alors frappé par une évidence : toute la spéculation peut se faire sur ces droits, la bouteille ne quittant pas le domaine. Vous achetez un NFT, vous le revendez (ou pas), au moment souhaité, vous exercez votre droit et vous recevez la bouteille «ex cellar». Or, pour un amateur, le vrai, le buveur, une bouteille «ex cellar», c’est le graal. La garantie de la qualité (en tout cas de la conformité…) et, surtout, l’impression d’être «proche» du vigneron qu’il vénère, l’impression d’être «en lien», même si ce lien n’est que crypto-monétaire. Et ça, pour ceux qui peuvent tout acheter, c’est la dernière chose qui n’était pas à vendre. Ca, c’était avant.

Car voilà les NFT bientôt en piste. Les plates forme US, israéliennes, chinoises font le tour des vignerons désirés, en particulier bien sûr en Bourgogne, et leur font miroiter un nouvel océan de pognon, océan sur lesquels beaucoup naviguent déjà, très paisiblement mais en se lamentant sans cesse sur les odieux spéculateurs (qui ont fait leur fortune). Il n’y a qu’a voir la liste des communes françaises avec les plus gros contribuables pour se rendre compte que Vosne-Romanée et quelques autres de la Côtes d’Or sont au top. Et sans même parler valeur patrimoniale. Mais l’avidité humaine n’a pas de limite et, comme le dit mon pote Schopenhauer, «la richesse est comme l’eau de mer, plus on en boit, plus on a soif».

Mais bon, tous les vignerons ne sont pas greedy, ni philosophes d’ailleurs, mais tous ou presque détestent non pas que leurs vins soient spéculés, mais qu’ils ne touchent rien sur la valeur ajoutée produite. Ou pire que les spéculateurs gagnent plus qu’eux, les producteurs. Quand ta bouteille est vendue trois ou quatre fois plus qu’au départ, certains s’agacent. C’est humain. En plus, comme disait Audiard «quand on parle pognon, au dessus d’un certain chiffre, tout le monde écoute…». En jouant là-dessus, les opérateurs de plate-forme NFT sont en train d’appâter les vignerons en leur montrant le progrès absolu : à chaque vente, une partie de la transaction en crypto monnaie leur sera reversé. Par exemple 4 %, comme dans l’art NFT, même quand ce sont des singes grimaçants. Yes !

A l’amateur, qui ne pouvait plus jouer, voilà que la valeur d’une bouteille va pouvoir être «splittée», divisée, comme une action. Pas les moyens de spéculer sur une Romanée-Conti à 15 000 € départ ? Pas de souci, tu peux acheter un ou plusieurs NFT parmi les 2 000 fraichement générés à 10 euros (la différence, c’est bien sûr pour la plate-forme). Et cerise sur le gâteau, ces NFT peuvent être amalgamés dans des fonds contenants tout et n’importe quoi, un peu comme dans certains produits dérivés dont même le concepteur du panier ne sait plus vraiment ce qu’il y a dedans, pourvu que ça monte… Enfin, la porte est ouverte à l’entrée du vin dans le Métaver où les lieux dit bourguignon auront leur place, virtualisés, cette fois ci, dans des NFT Wine club, comme celui crée par Bret Hudson. Un malin…

Voilà, on en est là. Qui ira, qui n’ira pas ? Comment réagira le marché ? Comment régirons les amateurs de vin ? Cautionneront-ils le système comme un moyen de répartir la valeur ajoutée ? Le capitalisme et la loi de l’offre et de la demande doivent-ils intégrer des limites morales dans le vin, monde idiosyncratique par excellence ? Va t’on trouver ça normal et juste pour les vignerons ou les premiers à entrer dans la combine vont ils se faire lapider ? Et les jeunes, au fait ? Un truc moderne et trop cool ?

Bien malin qui peut le dire. Bon article ICI pour approfondir.

Mais vous expliquer que nous sommes au bord du gué m’a fait plaisir ce matin.

3 commentaires

  • Patrice BONNET
    30/03/2022 at 2:15 pm

    Quand j’achète une bouteille de vin, du Clos des fées par exemple, je la mets dans ma cave à vin… mais pas pour longtemps : j’aime partager une bouteille avec des amis.
    Ce que je veux dire, c’est que j’achète une bouteille pour la boire. C’est ma manière d’être 🙂
    Patrice B.

  • Denis Hebinger
    11/04/2022 at 12:09 pm

    On m’a aussi proposé… Mais le vin est un produit de la terre toute sa virtualité devrait rester dans l’univers gustatif et culturel qu’il véhicule. J’espère (mais ce ne sera pas le cas) que ces trucs là seront taxés à fond.
    Sans parler impact carbone ni blanchiment évidement.

  • julien boidard
    10/08/2022 at 1:58 pm

    Si le marché se développe, et c’est vrai que le caractère « cellar » est très attrayant, se posera la question du stockage…

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