Vendanges 2022 – Jour J+2 – S’imaginer écrire


Un matin d’été, alors qu’ils roulaient vers Rocamadour, A. lui demanda :

– « Es-tu ville, campagne, mer ou montagne ?

– Comment ça ?

– On a chacun un environnement de vie où l’on se sent bien, mieux, où l’on se sent à sa place. »

Il avait longtemps songé, en silence, à ce qui lui convenait le mieux. Il avait beaucoup aimé la ville, passé des années extraordinaires dans la plus belle du monde, Paris et il rêvait de passer quelques mois à Rome, y vivre vraiment. Il adorait la montagne l’été, avait des souvenirs puissants de vallées et de sommets suisses, de délicieux lacs glacés, de myrtilles sauvages et de fraises des bois. Il aimait bien sûr la mer, avait adoré sa période Cotentin, mais il n’avait aucun fantasme de vivre sur un rivage; l’océan, par son immensité et sa force, lui faisait peur, même si, comme tout être sur terre, il en était sorti, quelques 375 millions d’années plus tôt, alors qu’il était Tiktaalik Roseae, ce poisson malin qui n’en pouvait plus d’avoir des branchies et de vivre dans la boue, ancêtre supposé de tous les mammifères, donc des hommes, donc des vignerons.

Par élimination, la réponse devint d’une évidence lumineuse : la campagne. Il aimait la diversité des paysages, le changement des saisons, la diversité des couleurs, l’alternance de bois, de champs, de cultures, de gorges et de monts. Il aimait vivre au milieu du vert, du vent, de la pluie et du soleil. Cause ou conséquence, il était devenu vigneron et s’était peu à peu enraciné dans sa vallée, au moins autant que ses vignes. La réponse était finalement logique, la question pertinente. Il la reposerait.

En passant de parcelle en parcelle ce matin-là, le souvenir d’A. dans l’ascenseur de Rocamadour s’étant estompé, il se demanda de la même façon, si il était «Syrah, Grenache, Mourvèdre ou Carignan» ?.

Syrah, bien sûr.

A moins d’un kilomètre à vol d’oiseau, en passant des schistes sablonneux d’Espira à l’argile du Crest de Rivesaltes, en passant d’un clone «100», au gros grains ronds, acheté avec la parcelle à un clone «A» qu’il avait planté, la diversité des goûts le fascinait. Tant de différences : port du feuillage, vigueur, taille et constitution des grappes, forme et grosseur des grains, maturité, fruité de la pulpe, qualité des tannins, aucun autre cépage n’avait autant d’expressions diverses.

Bon, c’était bien sûr méchant pour les autres, qu’il aimait tout autant comme on aime tous ses enfants, mais, clairement, la Syrah le fascinait : à 12° et à 80 hl/h, on en faisait de simples et délicieux rosés de table, certes souvent vendus en BIB mais qui jouaient leur rôle avec sérieux. Entre 12,5 et 13°, là où il l’aimait d’amour, elle donnait si on arrivait à atteindre les 40 ou 45 hl/ha des appellations protégées des vins fruités, aromatiques, gouleyant comme le veut le vocabulaire du vin, c’est à dire frais, agréable à boire, mêlant qualité de tannins , fruit et et acidité. Entre 14 et 15°, à rendement plus faible, à maturité phénolique, elle acceptait de se laisser concentrer, exprimait tout son potentiel tannique, le soyeux des tannins. Au delà, sur certains terroirs bénis, elle produisait quelques uns des plus grands vins rouges du monde, capable de s’épanouir 50 ans. L’amie merveilleuse.

Bon, il fallait arrêter de rêver et se remettre au travail : les prélèvements ne pouvaient pas attendre. Il fallait patiemment quadriller la parcelle ramasser des grains au hasard, sans les voir car sinon instinctivement son cerveau choisirait les plus mûrs – le chasseur cueilleur en lui n’était qu’à moins de 10 000 ans et la connexion était franchement plus facile qu’avec le poisson inuit – sans réfléchir, en haut en bas, afin d’avoir un prélèvement réellement représentatif de la parcelle. Puis on écrasait en les malaxant les grains dans un sac en plastique ou un petit Tupperware et hop, dans le réfractomètre. Par déviation de la lumière, en le portant à son œil, il verrait la richesse en sucre du jus et, par extrapolation, le degré alcoolique potentiel du vin fini, encore que cela dépendait bien sûr de la levure et de son envie de travailler.

Cher lecteur du matin, j’ai eu envie, dimanche, de faire comme si, «comme si» j’écrivais un jour ce livre, que, souvent on me demande et que bien sûr je n’écrirai jamais. J’ai trouvé, sur le tard, le format qui me convient, le blog. J’aime son mélange de faits et de fiction, la possibilité de faire long ou court, le mélange de média qui m’a, à l’époque, fasciné comme toute ma génération qui découvrait le «multimédia» qui semble si naturel aujourd’hui, comme si il avait toujours existé. Pourtant, mélanger texte, son, vidéo, le tout à l’aide d’un appareil qui tient dans la main, c’est tout simplement de la magie, une magie qui ne cesse de me fasciner. Et puis y mélanger mon travail et ma vie, mes élucubrations et mon humour, je l’avoue particulier, me convient.

Donc, et parce qu’en littérature comme en vin, le décalage, le «gap» entre l’acceptable et l’exceptionnel est gi-gan-tes-que. Je vais me limiter à ce blog. Et tenter l’exceptionnel dans le vin. Stop.

Inutile, la prochaine fois qu’on se voit, d’insister ;))

Allez demain, on revient au format normal…

Ce que j’écoute, au jour le jour, pendant les vendanges. Mais pas tous les jours.

2 commentaires

  • CharlesDS
    15/08/2022 at 9:47 am

    Quel plaisir, chaque été, de reprendre la lecture de ce blog et de vos billets.
    Belles vendanges à vous et votre équipe !

  • damien
    15/08/2022 at 4:42 pm

    Trés sympathique cet « avant-gout » d’un livre qui n’existera jamais.

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