Vendanges 2022 – Jour J+6 – Cogiter sereinement


Comment se fixe une date de vendange ? Ah, les amis, si je savais à coup sûr, si je connaissais la recette, je serais un consultant international réputé, un gourou, un mage… C’est un peu comme ce vieux sketch de Fernand Raynaud sur le fût du canon et le temps qu’il met à refroidir : ça dépend de tellement de paramètres…

Cette année, la décision va être très difficile à prendre. On peut, si l’on se trompe, passer totalement à côté du millésime. Trop tôt alors qu’il fallait attendre. Trop tard alors le raisin sera trop mûr, passant du fruit frais au fruit mûr puis au fruit cuit dont plus personne ne veut après de grandes années où tout lui fut permis… Que s’est-il vraiment passé pendant ces journées de canicule ? Comment la vigne les a t-elle interprétées ? Quelle réaction physiologique a déclenché son métabolisme ? Mystère, en tout ca pour moi.

Il y a bien des périodes stressantes dans la vie d’un vigneron, mais celui-là est sans doute la pire. La meilleure preuve en est que c’est le moment de l’année où, en général, on somatise, on exprime physiquement un stress ou un conflit. Au café du matin, on échangeait avec Jean-Yves sur la façon dont cela s’exprime chez chaque vigneron : des crampes affreuses, souvent au mollet; des migraines incompréhensibles; des lumbago; des inflammations subites (psoriasis congénital, eczéma divers et variés dans des endroits divers et variés, herpes) torticolis, sueurs… Bon, en général, on en parle pas. Mais vous saurez, hein. Chut… Ah le bon temps du Larousse médical, où, enfant, nous allions découvrir les monstruosité du monde… Sans Internet, c’était fun aussi…

Je suis touché, moi aussi, bien sûr, mais «cela ne nous regarde pas» aussi, je vous laisse extrapoler gentiment, me plaindre ou vous réjouir, car, ne nous leurrons pas, parmi les quelques lecteurs de ce blog, certains vont se réjouir, le le sais ;-). Je prends du magnésotube Robinet (un indice), et puis je commence mon traditionnel puzzle des vendanges. Un peu le soir, quelques minutes le matin, rien de tel pour se calmer, le reste du temps, laisser son cerveau chercher en arrière-plan des réponses, paisiblement.

Le passage de Jean-yves Bizot est toujours un plaisir. Que se racontent les vignerons quand ils sont entre eux ? Des histoires de vigneron, bien sûr. Dîner tranquille, après une journée de travail, alors qu’un minuscule mais bienfaiteur orage a changé la température. Leucate, sa cabane emblématique.

Chez l’ami Claude Giraud, toujours aux fourneaux, toujours en forme, Daurade pour lui, sole pour moi et nous voilà parti à refaire le monde. Importance de l’aromatique et de la bouche dans un grand vin de Pinot Noir, arrivée du SO2 à outrance dans les vins, dans les années 60, au fur et à mesure que la technologie commence à triturer les raisins dans tous les sens; importance du témoignage des anciens qui racontent finalement que nous ne faisons que refaire ce qu’ils faisaient : mettre en cuve et patienter. Le SO2 liquide était cher, l’hygiène approximative, les maladies fréquentes, les œnologues des médecins dignes de Molière, toute la dérive actuelle et l’aversion au risque poussée à un niveau stupide s’explique. Après, à chacun de prendre la bonne pilule, de rester dans la matrice ou pas.

Au matin, tour du nouveau plantier de Pinot, en pleine forme. On a ébourgeonné, attaché un sarment, puis coupé l’autre quand on a été certains qu’on ne l’avait pas abimé. L’année prochaine, taille à deux yeux et, peut-être que, sur certains pieds (c’est une massale de rêve), on montera les pieds; mais pas les baguettes ou les cordons, bien sur et on tombera les raisins les quatre premières années. Nous sommes d’accord, on cherche à mettre trop vite les vignes en production de nos jours. En attendant, on est heureux et ça se voit. Pas de commentaires sur les coiffures, s’il vous plait, c’est compliqué d’arriver à cette perfection du style «coiffé-décoiffé»…

On en profite pour goûter des Syrah. Nouvelle parcelle, achetée dans un lot. Un clone 100, sans doute, pas très expressif, même si les grappes ne sont pas très «Syrah» et pèsent chacune pas loin de 200g, et sont génétiquement sensibles – on le sait désormais – au dépérissement, ce qui explique les manquants. Mais il a bonne mine, ce raisin, non de Dieu, il croque, il a du jus, un fruit vraiment délicieux. On va attendre, on devrait faire un (petit, la parcelle est minuscule) quelque chose.

On est pas loin, on en profite pour monter à la Cresse, où sont plantées nos plus belles Syrah, au top, en échalas, à 7000 pieds/ha. Les paysages ne sont pas les mêmes et, pourtant, nous ne sommes qu’à moins d’un kilomètre à vol d’oiseau.

Totalement protégées du soleil jusqu’à maintenant, les grappes sont magnifiques, deux fois plus petites que la vigne précédente. Concentration au rendez-vous. Les anthocyanes commencent à s’extraire, les pépins à aoûter, on va pas tarder, sans doute avec deux semaines d’avance sur une année normale.

Sur le sarment, la première feuille n’est plus nourricière, c’est la première à roussir, à sécher, à tomber, provoquant un effeuillage naturel. Mais, dans l’ensemble, les vignes ne souffrent pas. Toujours un mystère. Quelle liane, quand même.

Nous rentrons à la cave, le sourire aux lèvres.

Ce que j’écoute, au jour le jour, pendant les vendanges. Mais pas tous les jours. Antonin Appaix me rend joyeux et léger. J’en ai bien besoin.

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