Vendanges 2022 – Jour 8 – Suivre son instinct


100 phrases pour éventail.

Quelle histoire…

Contrairement à ce que l’on croit, ce que l’on dit, ce que l’on pense, je n’étais pas «destiné» à produire des vins chers, des vins cultes, si tant est qu’il y en ait. L’objectivité, c’est un travail, comme l’illustrait si bien Sempé… Je n’arrive pas à réaliser que…

Ce n’était pas le projet, pas le plan. Il n’y avait d’ailleurs ni plan, ni projet, juste l’envie de faire un peu de vin, avec les moyens du bord, pour comprendre. D’autres le sont, destinés, par la naissance. Une sorte de «noblesse», dont personne ne discute vraiment les privilèges de caste, de « charge » comme on l’entendait sous la royauté. Comment vivent , ceux, qui, dès le berceau, se sentent légitimes à vendre cher, à faire partie de l’élite, même si ce sont des crétins, colportant – non sans une forme de sincérité naïve – l’histoire du terroir qui, seul, ferait tout ?

Me voilà ce matin devant mon petit foudre de 15 hl où termine de fermenter 100 phrases pour éventails 2022, enfin s’il va au bout, ce qui n’est jamais certain pour un vin sans soufre. Que le vin fût bon, je n’en doutais point. Voilà bien, si j’y réfléchis, ce qui fait peut-être la différence entre un vigneron «de souche» et certains néo-vignerons : ils ont beaucoup goûté, beaucoup vu, beaucoup critiqué dans mon cas et, donc, en théorie, ils sont capables de savoir ce que vaut réellement leur vin, au delà des traditions, des coutumes, des classements, des avis et des critiques. La valeur d’un vin devrait, DOIT déterminer son prix. Et non le contraire, comme c’est si souvent le cas aujourd’hui quand ayant acheté une bouteille chère, on s’oblige à la trouver à son goût. Ainsi va le monde.

Mais pourquoi donc le monde s’est-il emparé de ce vin ? Pourquoi ai-je des appels tous les jours, des visites ? Comment un importateur moldave ou un caviste de Manosque ont-il entendu parler de ce vin, sans communication, sans presse, sans réseau, alors que la production est minuscule et le vin dépasse mille dollars sur wine-searcher, sans arrêter personne…

En écoulant mon petit foudre, ce matin, ragaillardi par les messages de soutien suite à mon coup de blues d’hier (faut pas que j’écrive entre cinq et six heures du matin, en plus je laisse passer des fautes…), je pensais à toute cette valeur, non pas que financière mais morale, à cette importance que pourrait prendre ce vin si je le laissais faire. Libre, comme un génie malfaisant sorti de sa lampe, de bénédiction il pourrait se transformer en malédiction, en virus, en poison, me remplissant à me bouffir d’égo… Confondant alors mon vin avec ma personne, l’utilisant comme un moyen de pouvoir tant certains sont prêts à se courber pour en avoir, mes chevilles enflées, j’aurais oublié que je ne fais que du vin, comme j’ai vu tant de vignerons l’oublier. Je n’envie pas, oh mon Dieu, les vignerons dans cette position, croyez-moi. Il y aurait une nouvelle à écrire, tiens, quand j’y pense. Ah, si j’avais le moindre talent (et surtout le courage) de le tenter. Une lettre de ma cave, comme il y a eu des lettres de mon moulin ? Un peu prétentieux, j’en conviens. Relire Sempé, toujours !

Le vin s’écoule, lentement, flic, flic, floc, rien de tout cela ne me touche, je ne fais que du vin; son prix, déjà faramineux , me semble, verre à la main, toujours juste lorsque je le compare aux F1 du secteur. Nous verrons bien si ce millésime est au niveau, je n’ai pas besoin de cet argent pour vivre. Non, vin, tu ne me changeras pas !

Pourquoi décuver ce matin ? La fermentation n’est pas tout à fait terminée, il doit rester quelques grammes de sucre et, pourtant, mon instinct me dit que c’est le moment. Jean-Yves est reparti, il commence les vendanges jeudi, et après une longue conversation, il me conseille de faire comme je le sens, comme lui l’a toujours fait, comme en ces temps pas si lointains . Peu se souviennent que le mémoire de Louis Pasteur sur la fermentation alcoolique, c’est 1857. Avant, tout était magie.

Comment faisaient les vignerons de l’époque ? Pas d’analyse, pas de compréhension même du phénomène. Ecoutaient-ils, comme moi, parfois, leur ventre, qui semble parler, décider, plus que le cerveau ou le cœur ? Le fameux système nerveux entérique et ses 500 millions de neurones (autant que dans le cerveau d’un macaque…) est-il à l’origine de mes décisions ? Est-ce lui qui fait du vin ? Pourquoi ai-je, dans ces moments ou je prends des décisions importantes, purement intuitives, ce geste de mes mains l’entourant, tendrement, puis se projetant vers l’autre ou vers la cuve ?

Alexandre dans ses œuvres. Je pense souvent à Charlou, son père, qui m’a vendu ma première vigne. Il serait fier de le voir ici.

Il faut que je trouve les deux chaises que j’ai promis à Jean-Yves, si importantes dans ce processus de vinification où la plus grande des épreuves se présente : ne pas intervenir. J’ai un prie-dieu, à la maison, qui me venait de mon père. Demain, je l’installerai.

Ce que j’écoute, au jour le jour, pendant les vendanges. Mais pas tous les jours.

4 commentaires

  • damien
    24/08/2022 at 9:29 am

    « Une lettre de ma cave » ça sonne bien comme nom! Pourquoi pas 😉

  • Dominique HALLOO
    24/08/2022 at 1:31 pm

    Mais qui êtes vous donc Monsieur Bizeul ? J’aime lire vos messages, et je prends plaisir à chaque fois à rentrer dans votre univers. Et pourtant les 2 rencontres avec vous me laissent un goût amer. La première, lors d’un salon en 2017 (ça devait être au Shangri-Lâ ) où je venais vous remercier avec mon fils de votre invitation, vous avez à peine daigné nous regarder sans même une parole, moi qui étais si fier de présenter Monsieur Hervé Bizeul à mon fils. La seconde, après une visite et une dégustation chez vous, au domaine, où nous avons été très bien accueillis, nous nous sommes retrouvés dans le même restaurant que vous (en compagnie de deux personnes dont la jeune femme qui nous avait fait la dégustation) , vous ne nous avez pas adressé un regard, ni un simple signe. Alors, aujourd’hui, quand je prends une de vos bouteilles (pour le clos des fées cela ne m’arrive pas régulièrement pour des questions de budget), je préfère la regarder en pensant à celui qui écrit ses états d’âme et qui nous fait partager un peu son quotidien avec talent. Merci, encore pour ces petits moments de rêve, facilité, peut être, par la distance… J’espère que vous excuserez ma franchise, au plaisir de vous lire,
    Très Cordialement.
    Un amateur.

    • Hervé Bizeul
      24/08/2022 at 5:54 pm

      Bonjour Monsieur,

      Je vous prie de m’excuser si je vous ai vexé. La manifestation dont vous parlez, au Shangri-la, j’en était l’organisateur, ce qui fut extrêmement compliqué. Désolé si je vous ai pas apporté l’attention qui vous était due.
      Quand au restaurant, pardon, mais je ne regarde en général pas ce qui se passe aux tables d’a côté. Donc, je ne vois pas vraiment comment j’aurai pu vous reconnaitre, n’ayant de plus pas fait la dégustation avec vous. Mais là encore, excusez moi. Je vous avoue aussi que je souffre (et c’est réellement une souffrance) de prosopagnosie et j’ai une grande difficulté, voire une incapacité à reconnaitre les personnes, y compris des personnes croisées plusieurs fois. Malgré tous mes efforts. Donc, n’hésitez pas si nous revoyons à aller vers moi en me rappelant ce message. Bonne soirée. Hervé Bizeul

  • LEVAVASSEUR
    24/08/2022 at 3:17 pm

    Goûter, laisser faire ou pas, suivre son instinct (enrichi par toutes ces dégustations)…J’ai eu le plaisir de goûter votre AOC cotes du Roussillon 2014 et 2015 cet été grâce à mon frère sur des plats de gibier (un en sauce et pas l’autre), ben j’y ai pris du plaisir. Je vous garde dans un coin de mon inconscient pour le jour ou je trouverai une de vos bouteilles, en fait j’ai très envie de goûter vos pinot noir, peut être qu’une commande groupée avec mon frangin!
    A demain!

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