Vendanges 2022 – Jour 14 – Chercher les nuances (de gris)


Ah, le Grenache gris… C’est Gérard qui me l’a fait aimer le premier. Dans le monde du vin du Roussillon, voire (du latin populaire verus, vrai, comme tout le monde le sait 😉 ) dans le monde du vin français, Gérard, c’est Gérard Gauby. Le prénom suffit. Dans le cinéma, c’est Depardieu. Dans le vin, c’est Gauby.

On ne dira jamais assez de bien de Gérard Gauby et bien sûr de Ghislaine sans-qui-tout-ça-ne-serait-pas-arrivé. Une région qui se redresse, fièrement, des journées sans fin à vendre sur les marchés, au début, en essayant de faire comprendre que oui, on faisait grand et donc rare, difficile et donc plus cher que les autres. La première année de Muntada, égrappée à la main (j’ai encore l’image des mains de Ghis, détruites, début 96). Des milliers d’amateurs, de professionnels, reçus, comme dans la famille, nourris divinement, à qui ils ont fait visiter sans jamais se lasser tous les recoins de leur territoire de Calce. Tous ces stagiaires, formés, qui sont devenus plus tard de parfaits vignerons au point que l’on parle d’une école «calcienne», tous attentifs désormais à la recherche des maturités justes, des vins aiguisés, à la tension. Le prix, bien sur, qui lui value à l’époque, déjà, les foudres de «l’intelligentsia» du vin de l’époque : «un côtes du Roussillon ? à 70 francs ? Mais pour qui ils se prennent !».

Que dire de plus. On lui doit TOUS tant. Sans parler de cette jovialité permanente, qui vous prend aux tripes, qui vous emporte au ciel quand Gérard, chaque année, vous raconte comme si c’était un secret ce qu’il a découvert et qui va… tout changer. C’est Gérard qui m’a labouré ma première parcelle, c’est lui qui m’a vinifié ma première syrah (malo sur sucre, la seule cuve qu’il a foiré cette année là, qu’on a dû décuver «sur sucre») et qui m’a obligé à m’intéresser à l’élevage sur lies. Gérard, Ghis, je vous aime depuis ce matin là, il y a bientôt trente ans, où je suis passé à Calce suite à une Saint-Bacchus que vous aviez remporté de la tête et des épaules, que le courant est passé, que je vous ai fait sur mon Mac votre premier logo, vos premières cartes de visite et que nous ne nous sommes plus quittés.

Ce matin sans doute enivré par un lever de soleil digne de l’Olympe, j’avais envie de vous le dire.

Revenons à nos moutons, ou plutôt à nos Grenache. Je vous ai dit que j’aimais bien Dakota Jonhson ? Bon, j’arrête sinon on y arrivera pas. Une photo, déjà. Du grenache, pas de Dakota… En même temps, avec des photos de Dakota et sa cravache, je ferais de l’audience, hein.

Comme le pinot, le grenache a trois couleurs. Pour le pinot, le blanc existe aussi en bourgogne, pas qu’en Alsace, et il faut d’ailleurs que je monte chercher un peu d’Aloxe blanc chez Comte Senard. Philippe n’est plus là, son souvenir demeure, celui de fantastiques déjeuners servis par Didier Bureau au Clos Longchamp, qui, lui aussi, m’a tant appris. J’en planterais bien, au fait, un peu de Pinot Blanc, un jour. Aie, c’est vrai, j’ai dit que j’avais assez de cuvées…

Le Grenache Gris, c’est LE cépage du Roussillon. Sur les 2000 hectares plantés, on en a l’essentiel, avec un chouia dans l’Aude. A ma connaissance, ailleurs dans le monde, il n’y en a que des traces. Vers 2002, je crois, j’ai marché dans une parcelle de 30 hectares, d’un seul tenant, 100 % gris, des vignes de 40 ans, sans un manquant, sur des coteaux vallonnés d’une beauté à faire pleurer le roi des Aulnes. Pas un sou pour l’acheter, pas de cave, même pas pu faire une offre. Arrachage avec prime, au bull, sur Opoul. J’en ai pleuré, de rage et d’impuissance.

Il nous a toujours manqué, en Roussillon, l’arrivée d’un fou de blanc. Un Deiss, un Sélosse, un Coche-Dury, un Guffens, un gars sévèrement burné qui amène des idées et un savoir faire, sans doutes existentiels ou lamentations journalières à saint Rudolph, qui monte un vrai projet «blancs», une cave faite pour les blancs, qui ne fasse QUE des blancs. Dans une cave de rouge, bien sûr, on y arrive, mais on a pas vraiment la technologie, l’itinéraire qui convient, ni sans doute le savoir faire, la précision, la patience que demandent le pressurage fin.

Le grenache gris, on l’a en général planté en foule, dans ces vignes que nos amis du Roc des Anges appellent «métissées» et qu’ils récoltent ensemble. Nous, on musarde, on tournicote, on se perd parfois pour ramasser les gris avant les blancs, les presser séparément, d’une autre façon, car le cépage est très tannique. Comment vous dire ? C’est plus un noir qui s’est éclairci qu’un blanc qui s’est foncé. Voilà. En fait, LE sujet, c’est qu’au soleil, au fur et à mesure qu’il avance en maturité, il se rapproche de plus en plus du noir, il fonce, et de la peau sort des tannins de fous.

Sauf… Cette année où il y en a si peu – sans que je puisse expliquer pourquoi – on va le presser ensemble, parce que sinon, autant ne pas le ramasser, il nous coûterait de l’argent, clairement. Pour une fois, les grappes sont mélangées, j’en profite pour immortaliser l’instant.

Bon, c’est pas du tout ce que je voulais écrire sur le grenache gris, mais c’est venu comme ça. Fait râler d’avoir raté la photo du lever de soleil ce matin, il se levait derrière un seul nuage et sa lumière rayonnait comme dans une peinture religieuse.

Ce que j’écoute, au jour le jour, pendant les vendanges. Mais pas tous les jours.

4 commentaires

  • Michel Smith
    01/09/2022 at 9:43 am

    Gérard Gauby, Didier Bureau, c’est la journée des potes !
    J’y ajouterais les blancs de La Rectorie, L’Argile en tête qui me semble être un des plus beaux blancs du Sud, grâce au Grenache gris, of course.

    • FREDERIC LOISON
      02/09/2022 at 9:21 pm

      Hervé, le prénom Gérard vient du germain Gerhard. Il est composé des termes « gar » et « hard », qui signifient respectivement « lance » et « fort ». Il a été donné aux garçons dès le VIIe siècle, surtout dans les pays germaniques…. bon ce n’est qu’une mention vs un billet pour GERARD ! De quoi écrire…
      Immense merci pour ce talent d’écrivain et cette fidélité en amitiés.

      • Levavasseur
        03/09/2022 at 6:42 am

        Hummmm le gris… c’est fou ce qu’on peut faire avec…mais pas tout le temps, pas tous les ans!!!

  • Willliam NICHOLS
    01/09/2022 at 12:53 pm

    Bon … va falloir s’y faire … on passe du Conte à la Poésie … limite Cantique …. quoique Dakota à les pommettes trop saillantes pour faire icône ….

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