Vendanges 2022 – Jour 22 – Pister


Voilà, la Chique est terminée. Ce ne sera pas l’année du siècle en volume mais des vignes de 50 ans, en gobelets, mal plantées, avec des manquants, sur des cailloux roulés brûlants , une année de canicule, il aurait fallut un miracle pour…

La possibilité d’une pluie est passée et, désormais, la météo qui se trompe rarement nous confirme qu’il ne pleuvra pas en septembre. Les nuages sont là, noirs et menaçants, mais de pluie, non.

Les problèmes ne font que commencer : impossible de labourer, l’argile est comme du béton, donc impossible de semer, donc, donc, donc. S’adapter, toujours s’adapter. Au marché, à l’économie, à la météo de l’année, à celle du monde, à l’inflation, à la guerre en Ukraine, à la hausse de l’énergie, aux goûts des jeunes générations, être vigneron, c’est s’adapter. Et aimer ça. On marche dans les vignes. Heureusement, le matin, des entrées maritimes et des rosées de fou. La vigne ne souffre pas.

Tous les grands raisins sont encore sur pied. Vendanger, ne pas vendanger, telle est l’éternelle question. Nous partons avec Serge au cœur des parcelles. Toujours passionnant d’être avec lui dans la nature.

En le suivant, comme à l’époque où nous n’étions que deux, je ne peux m’empêcher ce matin de me mettre dans la peau du jeune Marcel, dans «la Gloire de mon Père» parcourant la nature avec son cher Lili des Bellons qui lui ouvre la porte d’un autre monde, la Provence et le Garlaban, lui montre les nuages, les herbes sauvages mais comestibles, la manière de piéger. Le pauvre Lili finira, à 20 ans, en 1918, une balle dans le front, «dans des herbes dont il ne connaissait pas le nom», dira Pagnol avec tristesse à l’enterrement de son frère.

Dans les prairies semées, qui ressemblent désormais à une savane africaine avant la grande migration des gnous, à la frontière du Burundi – chose encore à voir, en bonne place sur ma «buckett list», – un vol de passereaux. Enfin pour moi. Pour Serge, c’est un vol de chardonnerets, qu’il reconnait au bout des ailes jaune alors que moi je ne vois rien… Depuis que nous semons, en broyant le plus tard possible, ils se régalent non plus seulement de graines de chardon (d’où leur vient leur nom, dit-on) mais aussi de moutarde, de phacélie, de tout ce qui abonde désormais au milieu du Clos des Fées et fait passer leur population de quelques couples à plusieurs centaines. Dans ces murs, dans ces haies, dans ces bois, dans cette prairie touffue se cachent bien d’autres animaux. Ils ont faim, soif et ne bougent que lorsqu’on est vraiment sur eux.

Là, à côté du bout de terre que l’on mouille chaque jour pour garder de la puissance aux clôtures électriques, ce n’est pas une plume, c’est une plume de perdrix, perdrix qui est venue, passant avec élégance cette nuit sous le fil, boire et s’espezouiller, se nettoyer de ses plumes mortes, en provençal.

Regarder les chênes, ce n’est pas seulement les contempler, c’est remarquer combien ils souffrent, faire la différence entre un champignon qui les ronge et une sécheresse qui les tue, peut-être un peu moins qu’en 2016, finalement. Remarquer aussi qu’il y a bien peu de glands, cette année. En stress, les arbres n’ont plus l’énergie de se reproduire.

On redresse une clôture électrique, dérangée par un blaireau. Je ne suis plus dans Pagnol mais dans Fenimore Cooper – qui berça lui aussi mon enfance – en train de pister derrière Bas-de-Cuir et Œil-de-Faucon, dans la peau de Longue-Carabine… Ici, en bordure de vigne, les merles sont venus manger et boire. Là, un sanglier s’est glissé, sortant du camp militaire vers 23 heures, y retournant avant le lever du jour, dévastant les cultures au passage. Des traces, des crottes. J’apprends. J’observe. Aux aguets.

Sur une autre parcelle, l’être humain, le prédateur ultime, est passé. Il a soigneusement coupé les fils, les a même enroulés autour du fer à béton, pour qu’on ait du mal à le trouver et que la clôture soit inefficace longtemps. Si on ne l’avait pas vu, de fortes chances que la parcelle ait été dévastée dans la nuit. Quelle énergie du mal peut ronger ainsi un être humain, quelle jalousie, quelle malveillance pour venir, ainsi, de nuit, marcher sur les cailloux dans le noir, chercher un coin difficile d’accès, pour ainsi nous nuire ? Le côté obscur est décidément vigoureux, pas seulement dans Starwars. Bref.

Trois perdreaux de l’année passent en trottinant devant nous, pressés de changer de savane. Hop, l’un avait une sauterelle dans le bec. Je n’ai rien vu, bien sûr mais Œil de lynx si, bien sûr.

Nous marchons dans la caillasse, prélevant les raisins, au hasard, pour déterminer le degré avant d’échanger sur nos dégustations respectives des peaux (rouges, bien sûr. Désolé ;-). Là, un mur qu’il faudrait remonter; là, un fossé qu’il faudrait curer. Là des chênes qu’il faudrait tailler. Que de travail, encore, pour rendre cet endroit proche de l’endroit dont j’ai rêvé, il y a 25 ans, lors de mon premier voyage ici…

13°5, on avance mais lentement. Pas sûr qu’on monte encore et c’est très bien comme ça. Une semaine, encore, avant d’arriver à la maturité phénolique. Les dernières Syrah sont magiques et, finalement les dates des vendanges sur Vingrau ne seront pas si éloignées de la moyenne.

Ce que j’écoute, au jour le jour, pendant les vendanges. Je rêve d’eau…

3 commentaires

  • damien
    08/09/2022 at 3:27 pm

    Que d’animations dans les vignes du Clos des fées! Il y a beaucoup de monde qui y passe,mais effectivement le coté obscure doit être puissant pour donné de tel idée… c’est triste.
    Que la force soit avec vous »tous »

  • Éric
    08/09/2022 at 8:39 pm

    Bonsoir ça fait des années que je n’ai pas poster de messages sur ce blog que je lis studieusement avec encore plus de gourmandise et d’émotions au moment des vendanges. J’ai testé la Chique au tout début j’ai halluciné. Je me rappelle lors d’une journée portes ouvertes vos explications sur la Chique les oliviers sauvés du néant, et quand on met tout bout à bout j’ai beaucoup d’amour et d’émotions pour tout ce que vous faites l’opiniâtreté (j’aime pas le mot résilience !) , L’incarnation même de la magie du vigneron et de la vigne comme lien charnel entre la terre et l’homme, un art majeur, poétique mais tellement dur et concret…et puis vous écrivez trop bien vos photos sont belles vous êtes en symbiose avec votre territoire avec vos hommes et femmes et c’est vraiment une inspiration…un petit moment de « role modèle » de ce pourrait être une existence choisie et non pas subie…et et au final on ne relève pas assez comment les vins ne sont pas tant une expression d’un terroir qu’une espérance d’un vigneron.. Sinon déboucher une bouteille c’est gené?
    Eric

    • Éric
      08/09/2022 at 8:41 pm

      Genré voulais je dire.. bien sûr

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