Vendanges 2022 – Jour 24 – Se poiler


Dernières Syrah de l’année.

J’ai l’impression que cette vendange ne finira jamais que, comme dans le «jour de la Marmotte», mes journées s’enchaînent comme si j’étais pris dans une boucle temporelle, obligé d’écrire, aussi, bien sûr… J’essaie de m’amender, comme le pauvre Bill Murray, de m’améliorer (ce blog y contribue…), et, sans doute, lorsque j’aurai enfin atteint un niveau de sollicitude et d’empathie suffisant envers le monde, la boucle se rompra et je partirai, main dans la main de… de qui déjà ? D’une grande année, ce serait déjà ça. Je souris en écrivant, amusé par l’idée de toutes ces femmes, anonymes, fascinées par mes billets, suffocant de l’attente, chaque matin, de mon billet du jour et qui n’osent se déclarer, néanmoins prêtes à lever la main en cas de vente aux enchères . Ah, quel film…

Dernière Syrah, à Génégals, au cœur du Clos des Fées, ainsi nommé parce que ses murets de pierres sèches m’ont toujours fasciné; à l’époque, je me suis dit que si quelques fées avaient échappé au délire chimique des années 70 (bon, ici moins pire qu’ailleurs, vu le climat, avouons-le) et bien, c’était là qu’elles se cachaient pour danser, à la pleine lune. Du coup, je protège, j’entretiens. Des près, des murs, des bois, tout un meso-climat qui, j’imagine, améliore les vignes, les raisins, le vin. Sinon, tant pis, c’est beau…

Une Syrah est à trier. Un peu de brûlure du soleil, un vrai sujet cette année. Quatre personnes passent en avant, enlèvent tout ce qu’il faut. Et, surtout, chez moi, ne jettent pas. D’abord parce que j’aime tous mes raisins, sans mépris, sans jugement, sans condamnation pour leurs faiblesses, leur mauvaise position sur la souche, leur retard ou leur fragilité. Ils n’y sont pour rien. On les récolte, on les isole. Ils finiront dans une grande cuve de grenache de la Chique, récolté hier, quelques comportes, seulement. Surtout, dès que l’on jette, le travail dérive, le tri est moins actif, moins précis. Là, on sélectionne. Donc, on s’applique. On sait que le travail a du sens. C’est important.

Syrah magnifique, à mon sens bien assez mûre. L’année est particulière et même si on ne le voit ni à l’analyse, ni au goût , ni à la vue, la charge d’U.V.A., B, et de toutes les lettres de l’alphabet possible, reçue cette année est co-lo-ssa-le. Faire comme s’il ne s’était rien passé serait stupide : la sécheresse, la canicule, tout ça est intégré désormais dans l’ADN du raisin et passera dans celui du vin. Le paradigme des seventies, où les grands terroirs étaient caillouteux, plein sud, secs, ensoleillés et chauds, est mort avec le changement climatique. La notion de grand terroir va changer et l’on va désormais chercher un peu de fond, de terre, des expositions nord, des hydratations profondes, du calcaire et de l’argile, plus que jamais, mais ça, ça ne changera jamais. J’ai la vague idée de faire un billet un jour sur le calcaire, mais bon, c’est du boulot.

Je vole une photo étrange, pleine… d’orange. Qui est ce Roumain ? J’aime le côté totalement absurde de ce contraste coloré.

Les grains sont délicieux, on a envie d’en manger, c’est le meilleur signe que je connaisse.Les raisins sont lourds, sucrés mais pas trop, frais, parfumés, je me fais violence pour ne pas « faire ma grive » et m’en empiffrer. Ah, oui, on vendange en benne, extra plate, alu, super amortie. Aucun regret des cagettes ni des comportes. Vous avez, ces comportes que tout le monde vous montre, pour faire genre. La comporte rouge (et grise), c’est le Louboutin du vigneron. Quand on en a, faut que ça se sache. Le vin est-il meilleur ? Tout dépend du raisin qu’on transporte à l’intérieur…

Direction l’égrappoir. Le nouvel égrappoir SOCMA est un avion de chasse. Moins de bruit, réglages faciles, efficacité redoutable. Égrappage parfait.

Je suis toujours, aussi, amusé quand les grands domaines montrent leurs tables de tries, entourés de quatre femmes qui semblent larguées, essayant d’enlever un truc par ci, un truc par là. Bien sûr, en cas d’année pleine de pourriture, de maladies, de vers de grappes, admettons. Mais cette année ? Franchement ? Je retire, deux trois minutes, quelques brins de rafles, qui se sont détachés de leur grappes-mère et je les mets, pour vous, en perspective avec ce que l’égrappoir a enlevé.

Peut-on sincèrement penser que sur une cuve de 70 hl, un (petit) seau de rafle, bien mûre en plus, va dénaturer le vin ? Que vous, dix ans après, en ouvrant un Clos des Fées, vous allez dire : – Ah, mince, je le sens , voila, pftt, pftt, je l’ai sur la langue, c’est foutu. Latour 59, vous vous souvenez ? Et pourtant, pourtant, il devait y en avoir, de la rafle, dans les vins de cette époque…

En fait, tout ça ne vient que du délire de consultants caressant dans le sens du poil les ego démesurés de néo-vignerons milliardaires qui ne veulent pas faire bon mais «plus-grand-que-le-voisin», c’est à dire un point de plus dans une dégustation d’une revue française ou étrangère. Et tout le monde à la sortie de la table de trie, de se gargariser de «son caviar» ? Son Caviar, bien, pas ses «œufs de lump», hein… Moi, j’ai pas de caviar, j’ai du raisin, mûr, qui a les rafles de l’endroit où il est né.

L’étonnant parallèle entre le poil et la rafle me saisit soudain… Comme la crise des sub-primes a – m’a affirmé un jour Jean-Michel Deiss – entraîné (à son avis que je pourrais volontiers partager) la fin de l’appétit du monde pour les vins aussi confiturés et bedonnants que Dom Balaguère dans les Trois Messes Basses, le rejet de la rafle a peut-être accompagné chez certains (et certaines)… le rejet du poil.

La rafle, c’est bon, ça allège, ça complexifie, ça raffine, ça dérange un peu, oui, surtout jeune. Mais c’est la vie, le naturel, le «juste». Tiens, pour une fois, me voilà OK avec Sandrine Rousseau qui ne doit pas vraiment s’épiler… Moins non plus, d’ailleurs, au cas où vous remporteriez la vente aux enchères…

Ce que j’écoute, au jour le jour, pendant les vendanges. Mais pas tous les jours.

3 commentaires

  • Willliam NICHOLS
    12/09/2022 at 9:13 am

    Retour au réel 2022 après la planante poético-interludique (édifiante) 1959 …
    Plus qu’un blog, c’est une « surprise » partie … très rythmée
    Merci

  • Michel Smith
    12/09/2022 at 12:30 pm

    Merci de penser aux raffles, mais tu ne vas pas nous faire un vin de raffles quand même ?

  • Levavasseur
    14/09/2022 at 9:27 am

    Toujours autant d’humour, c’est frais!!!

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