Vendanges 2022 – Jour 31 – Voir la limite


Vous savez, cette fameuse limite, au delà de laquelle votre ticket n’est plus valable… Non, pas celle là, oups pas celle si bien décrite par Romain Gary… La limite qui vous dit, par de petits signes, qu’il est temps d’arrêter, vraiment. De finir les vendanges, même si, peut-être, une vigne aurait encore, qui sait, un potentiel a exprimer.

J’oublie mes clés, je pars pour faire quelque chose et j’oublie en chemin ce que je dois faire. J’ai une super idée pour un sujet de Blog, je me dis qu’il faut que je la note pour ne pas l’oublier et bien sûr j’oublie. De le noter, et l’idée. Je dors mal, fais des rêves peu agréables où je suis perdu, dans un pays inconnu, ne retrouvant pas la gare, le train. Je suis seul, bloqué, affolé, coupable. L’autre nuit, des vampires se sont invités. Pourtant, bientôt deux mois que je n’ai pas regardé une série, un film, ne suis allé au cinéma.

Dernier jour de vendanges, il n’a toujours pas plu et, moi aussi, je m’assèche. Je ne me souviens pas avoir écrit plus d’une vingtaine de billets de vendanges, les années précédentes, me voilà à 31, sans compter les J-qq chose. Comment voulez vous que je tienne ? Comment voulez vous, déjà, que j’ai tenu la distance.

On rentre les dernières grappes, des Mouvèdre qu’honnêtement, oui, nous aurions pu attendre un peu, encore, voire même une dizaine de jours.

Mais la pluie arrive. Non, elle arrivait. La météo est farceuse, elle nous aura annoncé, à une semaine, à dix jours, des orages puis, au fur et à mesure que le moment approchait, les prévisions changeaient. Pluies certaines à 100 %, puis 70 %, puis 30 % puis, finalement, peut-être, des averses. Un gars sur Instagram, Facebook ou tiktok, je ne sais plus, m’apprend que le pourcentage, ce n’est pas la certitude de pluie mais la possibilité qu’il pleuve sur XX % de la zone évoquée. Ah, okkkk. Faudra que je vérifie, un jour.

Le jour se lève, on attaque.

12° le matin, toujours 29° l’après-midi, il vaut mieux vendanger le matin, mais avec une petite laine. 12°, c’est parfait. Ca illustre parfaitement, finalement, toute ma philosophie de vendanges : aider juste la nature à faire chaque année ce qu’elle fait dans une grande année. A 12 ° dans la cuve, la macération pré-fermentaire est naturelle et, finalement, un automne froid précoce qui suivrait un épisode Méditérannée, et bien, dans l’histoire, c’est peut-être simplement ce qui a permis un grand millésime.

Je m’émerveille toujours et plus que jamais de cette viticulture «en clairière», que nous pratiquons sans même l’avoir pensée. Je souris en pensant à tous ces donneurs de leçons qui plantent un arbre ou une haie (on voit toujours la plantation, jamais la haie adulte…) au milieu de leur dizaines d’hectares sans un arbre, eux même parfois au milieu de centaines d’hectares sans un arbre. J’ai vu une vidéo des vendanges chez Opus One; limite, ça m’a traumatisé… Que je suis heureux entouré de ces milliers d’hectares de nature sauvage

Une soudure inox d’un robinet de benne a lâché. Heureusement, il n’y avait qu’une dizaine de hottes dedans. Me voilà à genoux, dans la terre imbibée de jus de raisin, pantalon crotté, à tenter de transférer les raisins d’une benne à l’autre. Ma philosophie de comptoir me sauve : finalement devant ces raisins qui donnent un sens à ma vie, m’apportent estime et reconnaissance, me donnent la liberté (financière) de garder ma parole libre, je la leur dois bien, franchement, cette génuflexion, humble, devant ce raisin noir et luisant.

Hier on a fini les Carignan, au Mas Llianssou, mais, le soir, je n’ai pas eu le courage d’écrire. Une photo, parfois, suffit à créer un lien. C’est un endroit magique.

En rentrant, chaque soir, je me lave d’abord longuement les mains, puis le visage, au savon de Marseille. Avant même de prendre ma douche. Le savon, simple, nu, ça nettoie pas pareil. J’ai l’impression d’enlever quelque chose, d’être vraiment propre. Peut-être une sorte de croyance, une superstition, je ne sais pas, où le besoin de me reconnecter à ces générations qui m’ont précédé, qui, le soir, n’avaient pour se laver qu’une bassine en métal émaillé, remplie de l’eau de la fontaine fraîche, en face de ma maison.

On ne se lavait guère plus qu’une fois par semaine, en allant à la rivière. Il y a longtemps ? Non, hier. L’affirmation de Pasteur, Koch et Eberth, que «nous buvons 90 % de nos maladies», c’est vers 1880. Les filtres pour traiter l’eau, c’est début 20ème. La découverte du traitement au Chlore par Buneau-Varilla, un homme étonnant, reste le seul point positif de Verdun et de ses montagnes de morts. L’eau courante et le tout à l’égout, à Vingrau, c’est au milieu des années 50, à peine. Pourquoi je raconte ça ? cest bien que j’arrête.

Encore quelques années, et je m’habillerai comme un paysan des Corbières. Bon, je prendrai une habilleuse, hein, les matières seront choisies. Des bretelles, du velours côtelé, des chemises en coton grossier. Je m’assiérai sur mon banc, un peu sourd, quasi aveugle, on m’apportera les raisins parcelle par parcelle, comme on le faisait dit-on à Dom Pérignon. «Ah, je vois que vous avez cueilli le Mas Llianssou… Vous avez bien fait, il était temps. Mettez la peut-être dans la 3, ou la 5. La 5, plutôt, oui…». Ce billet est tolalzmtn décousu, cette homme délire…

Avant hier, c’était les derniers Grenache et, là aussi, je n’ai pas trouvé le courage le soir ni le temps dans la journée. Si vous saviez tout, de mes journées… Mais bon, ils étaient si beaux que je leur dois au moins une image, comme on me donnait, petit, une image contre dix «bon point». Ah, les conditionnements de l’enfance, on en guérit jamais, parait-il.

Anyway, voilà, tout est en cave, à l’abri. Un peu tôt pour tirer un bilan mais il y aura de sacrés vins, c’est évident.

Voici venu le temps de la séparation. Vous le savez, je déteste le ghosting, je ne suis pas de ceux qui, une relation amoureuse terminée, alors que l’on s’est juré de rester amis dans ces derniers jours où le soulagement de l’un répond au désespoir de l’autre, le tout dans des étreintes inoubliables que l’on sait être les dernières, on efface de son téléphone et de sa vie à la fois l’être aimé et les serments. Larusso l’a fort bien dit, Juliette Armanet encore mieux…

Donc, séparation du rythme quotidien, pas de ce blog, bien sûr. Je donnerai des nouvelles de la cave, des vins et, qui sait, vu la demande, je finirai bien par la trouver, cette recette des vendanges…

Ah, nouvelle tradition, nous finirons en musique par la musique qui ouvrira les vendanges 2023. Si Dieu me prête vie et, surtout, me redonne l’envie. N’oubliez pas d’allumer un cierge, la prochaine fois que vous rentrerez dans une église…

8 commentaires

  • Valérie Baudais Baconnet
    24/09/2022 at 8:44 am

    Encore une très belle traversée des vendanges qui s’achève, toujours trop tôt pour le lecteur bien sûr, mais sur un post sur vrai et si nécessaire, rendez vous pris pour les vendanges 2023. Bien à vous

  • William
    24/09/2022 at 9:27 am

    Asta la vista Le Clos
    Merci pour tout
    On attend la recette quand même …
    Mais on a les images de cet environnement si « nature » … et les images on les garde … comme celles de la communion …
    Tiens … au fait j’oublierai pas le cierge …
    Amitiés

  • Michel Smith
    24/09/2022 at 12:52 pm

    Tiens, voilà une série qui te plaira :
    https://www.arte.tv/fr/videos/RC-022862/les-papillons-noirs/
    Et j’allume un robusto pour que tes cuves reposent en paix tout en restant tumultueuses, mais conformes à tes souhaits.
    Hâte de les goûter !

  • Cyril
    24/09/2022 at 1:06 pm

    merci pour le voyage et bravo..parce que la mission est achevée (non sans brio) , même si d’autres suivent.
    PS
    jamais un donneur de leçons ne saurait être aussi irrationnel et poétique !

  • FREDERIC LOISON
    24/09/2022 at 4:30 pm

    Immense MERCI Hervé pour ces magnifiques billets 2022. A bientôt. « Thé show must go on »…

  • Serres
    24/09/2022 at 8:05 pm

    Deja la fin !! Ca passe trop vite !
    Que de belles photos !
    Vite a la cave
    Merci pour ces partages

  • Philippe
    25/09/2022 at 11:31 pm

    Oui c’est passe tres vite! Une petite paulee en novembre?

  • Patrice Ruchaud
    28/09/2022 at 5:54 pm

    Merci pour ce superbe blog que j’ai suivi depuis le premier jour. A bientôt à l’hôtel Bristol!!!

Répondre à Valérie Baudais Baconnet Annuler la réponse

ABONNEMENT

Recevez les billets du blog dès leur publication. Et rien d'autre.

Archives