L’année des diplotaxis


La vie revient.

Le bois que l’on croyait mort bourgeonne.

En ville, un vague marronnier, un platane au sud, font penser au changement de saison, moins que le passage à l’heure d’été. On passe le bac. Non que je veuille, comme certains, tirer sur l’ambulance (si l’avoir de justesse n’est pas sorcier, décrocher une mention demande quand même un vrai travail), les connaissances ont bien changé et rares seront les bacheliers de l’année qui sauront que la date de l’équinoxe de printemps est variable, entre le 19 et le 21 mars, et non fixe. Moment où l’axe de l’équateur et le plan exact de la terre coïncident. Quand à «tuer la caille ou le perdreau et manger la tomme de chèvre» comme le chantait Jean Ferrat.

En attendant, la montagne est belle et le printemps météorologique, lui, est fixe et commence le 1er mars. C’est celui que regarde le vigneron. Chaleur, lumière, la vie revient et en voilà les causes. Pourtant, chaque année, à cette époque, je m’émerveille devant ces plantes et ces fleurs qui lentement sortent du sol, ces bourgeons qui percent, ces branches qui semblaient mortes. Qui envoie le message ? Qui leur donne leur force ? La force vitale, l’énergie de la vie ?

Après des mois et des mois de sécheresse (nous passons lentement mais sûrement d’un climat méditerranéen à un climat du Magreb voire sahélien…) il est enfin tombé 35 mn à Vingrau. Béni soit l’univers. La vigne n’avait même pas d’eau pour « pleurer ». Nous sommes désormais en première ligne, dans la première tranchée, face au dérèglement climatique. Inutile d’espérer irriguer, l’eau sera désormais réservée à l’homme et aux cultures vivrières, pas au vin, dont on peut se passer.

On parle désormais d’un climat où, potentiellement, la vigne peut mourir. Cette année, déjà, sur les Grenaches en particulier, beaucoup de bras morts, voire de pieds. Le choix du porte greffe devient un sujet essentiel. Je regrette parfois un peu mes plantations sur 3309, porte greffe certes fort qualitatif mais peu résistant à une telle sécheresse. Sur les dernières plantations qu’il me reste à faire, je reviendrai sans doute au R110. Les anciens, on ne les écoute jamais assez. J’espérais tenter le Riparia Gloire, un jour, mais voilà, c’est mort.

Dans mes vignes sur calcaire, dans toutes les vignes, c’est l’invasion du diplotaxis «fausse roquette». Fleur blanche, pimpante, elle aime les vignes, les vergers, les friches autrefois cultivées, le climat méditerranéen, le calcaire et l’argile. Normal qu’il se plaise à Vingrau. Mais pourquoi cette année est il passé de quelques taches à l’invasion ?

Quand j’ai commencé à cultiver, des vignes achetées et désherbées depuis des décennies j’écoutais les « sachants » anti-chimie qui me promettaient des sols morts pour des dizaines d’années. Tu parles… en deux ans, l’invasion des millions de graines présentes dans le sol et en dormance faisaient plaisir à voir. Dans chaque centimètre cube de terre, des milliers de graines qui, une année, décident, en fonction de mystérieux messages , de pousser et fleurir toutes ensemble, faisant des vignes des champs de jaune, de rouge ou de blanc. Pourquoi ? Qui donne le signal ? L’humidité de l’air, le passé, le présent, le futur, qui sait ?

Tout cela est mystérieux et m’émerveille. Patiemment, attendant leur grand soir, les diplotaxis ont mis des années, des dizaines années voire des centaines puisque que la plante est barochore et que ses graines ne se diffusent que par gravité. Et en 2023, à l’attaque, on occupe le terrain ! Fascinant.

Bon, je sais, en ville, voir la pluie tomber sur des poubelles brûlées , ça doit avoir son charme. Pas le même. Mais son charme…

La fleur blanche est partout, l’odeur merveilleuse, les abeilles à la fête car elle est mellifère. A défaut de comprendre, savourons la vie. Ah, au fait, les feuilles ressemblent à la roquette, c’est fort, mais assez bon, dans une salade, une quiche ou un pesto.

6 commentaires

  • Roger
    30/03/2023 at 9:13 am

    Bonjour Hervé,
    toujours un plaisir de vous lire

  • PIERRE
    30/03/2023 at 11:31 am

    Chouette ! Des nouvelles du Clos des Fées !

  • Pujol
    30/03/2023 at 2:15 pm

    Bonjour MR Bizeul
    Vous aviez disparu de mon radar, j,ai ce matin redécouvert avec beaucoup de plaisir votre littérature avec tous ses mots justes et pertinents continuez de nous éclairer ,bravo

  • Frédéric Loison
    30/03/2023 at 9:09 pm

    Merci Hervé… ça y est 2023 c’est parti !

  • Levavasseur
    31/03/2023 at 4:44 pm
  • Manuel da Motta Veiga
    31/03/2023 at 8:31 pm

    Ami Hervé, bonjour!
    Tu me manques.
    Au moins j’ai déjà le plaisir de lire tes textes, comme celui-ci, sublime et amusant.
    Bises amicales à toi et aux enfants.
    Manuel

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