De la raison – Du choix (M.a.J.)


Aïe, ça y est, Bizeul nous assène une nouvelle leçon de philosophie. Non, non, les amis, rassurez vous. Mais s’il est tard, que vous avez un peu de mal à dormir, vous pouvez  toujours aller ICI retrouver l’ami Kant ;-))

Non, en faisant un grand tour des vignes, aujourd’hui, pour contrôles phyto et histoire de commencer à « sentir » l’ambiance du millésime, j’ai eu, pendant de longs moments, des pensées pour les vignerons français hors Sud-Est. Coups de fil hier chez des copains bordelais, visites de vignerons du Lot, nouvelles par mail de la Loire, révélations pudiques sur les forums, ce n’est plus un secret pour les amateurs de vins : l’année est extrêmement difficile au niveau phyto, à cause d’une météo calamiteuse. Oidïum, mildiou, grêle, certains vignobles ne sont pas à la fête… Même ici, comme je le disais hier, il aura fallu être à l’affût, car cette année, la moindre erreur était fatale…

Comme certains le savent,  nous avons choisi, au Clos des Fées, de pratiquer un mode de culture que nous pourrions appeler  « raisonné extrême ». En deux mots, on essaie de cultiver le plus « naturel » possible.  En observant, mesurant, piégeant, on ne traite que lorsque c’est indispensable, au moment où c’est indispensable, aux doses minimum mais recommandées, avec les produits les plus naturels possibles, étendus avec un matériel parfaitement étalonné. Pour autant, lorsque c’est nécessaire et inévitable pour avoir des raisins parfaitement sains, nous ne refusons pas d’appliquer, parfois sur certaines parties de parcelles de certaines cépages et pas ailleurs, un produit de synthèse. Dans ce cas, nous cherchons toujours le plus performant pour l’environnement ou la faune auxiliaire, ce qui veut dire presque en général, le plus cher et le plus récent… Pratiquement chaque année, en dehors des plantations qui sont désherbées et des fossés, nous respectons le cahier des charges « bio ». Certaines années, comme 2007, non. Nous aurons utilisé cette année un peu de pénétrant anti-mildiou (1 passage) sur 20 % des vignes et 1 IBS sur certains carignan. Le résultat fait plaisir à voir et, si tout continue comme cela, se sont de véritables « raisins de bouche » que nous ramasserons. Enfin, ne vendons pas la peau du raisin avant de l’avoir récoltée ;-). Donc, tout va bien, pourvu que ça dure.

En me baladant, donc, je pensais à certains de mes copains en « bio », dans le Nord, et, général, aux vignerons « bio » qui se prennent depuis trois mois des orages tous les trois ou quatre jours, dont les terres sont impratiquables, dont les conditions de travail sont, dans certains cas me dit-on « horribles ».

Vu la fréquence des orages, il est totalement impossible d’être protégé du mildiou avec 6 kg de cuivre hectare/an, ce qui je crois est la norme actuelle (produit dit de contact, donc lessivé à chaque pluie). Cela représente 2 ou 3 traitements au cuivre maximum. Or, dans certaines contrées, il a plu tous les trois ou quatre jours. Donc, mildiou. Et pas qu’un peu.

Au vigneron bio attaqué à ce point par les éléments (et non ceux pour qui qui tout va bien, qui je l’espère, sont nombreux cette année dans de nombreuses régions), il reste quatre choix, s’il est certifié :

– perdre sa récolte presque totalement mais être fier d’avoir respecté le règlement, le « cahier des charges » de son organisme bio. Il risque ainsi la faillite et ses conséquences fréquentes d’éclatement familial, de dépression, voire de suicide. Je n’exagère pas, ça s’est vu. Certains vont au bout de leurs idées. Je pense à eux avec beaucoup de compassion et une certaine forme d’admiration devant un tel courage et des convictions qui dépassent toute raison. Je ne peux aussi m’empêcher de penser à certaines sectes dont les membres refusent la transfusion sanguine pour eux et leurs enfants, même en cas de danger de mort…

– traiter avec un ou plusieurs produits de synthèse, le déclarer et perdre le label bio. Certains le font. Je les trouve honnêtes et, personnellement, c’est ce que je choisirai.

– frauder le règlement mais fondamentalement pas ses convictions en faisant comme si on était pas « certifié » : aller chercher du cuivre « au black » chez le marchand, augmenter les doses de cuivre, en se disant « j’en mettrai moins les autres années » ou « tant pis pour les sols, stérilisés ». C’est moi qui vois, avec mon propre système de jugement et de décision. Je me débrouille avec ma conscience, après tout, c’est pas bien grave. Ce qui est vrai (l’effet négatif du cuivre sur les sols se joue sur des dizaines d’années et pas sur une seule) et montre toutes les limites d’un règlement qui se veut « européen » sans même tenir compte des particularités de chaque région, de chaque cépage, de chaque parcelle et bien sûr de chaque millésime.

– frauder purement et simplement, le règlement et ses convictions et « avoir » le consommateur en allant chercher un gros bidon de pénétrant au black et le passer sans rien dire à personne. Mais ça, bien sûr, personne ne le fait. Omerta.

Cruel dilemne. Pour ma part, je compatis vraiment avec les vignerons bio certifiés et ne voudrait en aucun cas être à leur place. Bien content d’être libre dans mes choix, je finirai la saison de traitement, si tout continue comme ça, avec un cuivre le 15 août, sur les parcelles tardives. Et sans aucun tri à la vendange, si le vent se maintient. Vive le Sud.

P.S. : trouvé mercredi matin sur l’excellent forum LPV un lien avec un article de libé, intéressant. C’est ICI. Et plutôt bien écrit. Le hasard, parfois…

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