Poètes et troubabours, où êtes vous donc cachés ?


M’isolant un instant au milieu de la foule, j’étais pensif, dimanche, à Bordeaux, sur l’avenir de notre métier.

Le lieu, la Bourse, est propice à la révêrie. Quel endroit majestueux, quelle harmonie. Bon, c’était un peu busy, mais j’ai une grande capacité à m’isoler du monde quand il le faut.

Je me mis à penser à la Bordeaux d’alors, au port embouteillé, à cet âge d’or du commerce maritime – triangulaire, ne l’oublions, pas, ce qui vient bien sûr noircir quelque peu le tableau – qui permit à la ville de faire de tels bâtiments dans une si incroyable époque de prospérité. L’un de mes préférés reste l’actuel CAPC, ancienne bourse aux épices, où je n’eu pas le temps d’aller. Je reviendrai. L’art contemporain est chez moi totalement instinctif, si limitant à une attirance ou une répulsion, très basique. Samedi, au fait, à Bordeaux, devant le grand théâtre, ce fut un choc émotionnel très fort pour la statue monumentale de Jaume Plensa, « Sanna », fascinante par son mystère et sa beauté. Je l’avoue sans honte, si j’avais eu dans la poche un billet de 500 000, je l’eusse immédiatement achetée pour la mettre dans mon jardin, là, devant ma fenêtre. Las… Qu’il me serait doux que cet homme aime un jour mon vin et que nous discutions… Des choses bien plus étranges sont arrivées un jour et le paradoxe du petit monde m’a toujours enchanté… Le petit monde ? Allo ? La théorie de Milgran ? Karinthy, 1929 ? J’en avais déjà parlé en 2006, dans un post mémorable où l’on parlait de Ducruet, de son beau père et des couilles du pape. Ce blog ne s’endort pas et j’ai peur, désormais, de choquer toutes les jolies étudiantes en Master qui me lisent désormais…

Bref, sur le salon, je pensais donc à mes motivations à faire ce métier. Je me souvenais de la question, que je posai, naïvement, un jour, à un Tycoon du vin d’un certain âge, dont j’admire l’œuvre et jalouse l’énergie, lors d’une dégustation improbable où il était venu, sur ce qui le motivait pour, à son âge, s’investir autant, toujours, dans le moindre détail. Son petit œil d’aigle me visa et il me dit, avec une conviction qui résonne encore à mon oreille : « l’ambition, Monsieur, l’ambition ». Voilà une chose que les Fées n’ont pas jetée sur mon berceau. Mais de leur baguette, sans doute m’ont elle donné autre chose comme moteur : l’émotion.

De retour à Vingrau, pensif sur l’utilité d’un tel salon pour le domaine (sur le plan économique, il n’y en a aucune, soyons franc), je débrifais avec mes collaborateurs mes rencontres potentiellement monétisables. Elles ont été bien rares. Mais sur le plan émotionnel, bien sûr, c’est autre chose. Il eu ce vieux Monsieur, à la barbe si blanche, dont le visage fut illuminé par la dégustation du Muscat, se posant tant de questions auxquelles je refusais, aussi gentiment que possible, de répondre. Il y eu ce couple, elle très brune, lui très grand, goûtant ensemble le breuvage et pensant, c’était évident, à s’embrasser peu après. il y eu ce couple, vignerons amateurs du moins me l’on t’il dit, faisant du liquoreux, surpris par l’équilibre improbable ce vin avec lequel nous eûmes une longue conversation sur le vin, au point que nous aurions pu, tous les trois, à un moment, nous prendre par la main, former un cercle et quelque part communier. Tant d’autres, qui me restent en mémoire. Il y aussi mes jeux de mots grivois, mes mauvaises blagues, des câlins (oui, pourquoi ne pas faire un hug à un vigneron si l’émotion est là ?), des œillades complices qui disaient : je sens ton émotion, je vois le plaisir que mon vin te procure; et moi je n’ai nulle honte à éclairer mon visage du plaisir que j’ai, ici et maintenant. De la poésie. Du bonheur. Enfin j’espère. Sauf avec les jeunes chinoises, qui pullulaient, et à qui l’on avait jamais expliqué, c’est certain, qu’une bouteille pouvait vous remuer comme rarement un homme ou une femme ne le fera jamais. Et deux japonaises bourrées, mais bon, c’est anecdotique.

J’aime de plus en plus ne… plus parler technique. Arrêtez s’il vous, plait, Madame, Monsieur, de me tourmenter en me posant la sempiternelle question : quels cépages ? Mon Dieu, quelle importance. 33,8 % de Syrah et 22,2 % de Grenache, que cela change t’il à l’affaire ? Derrière mon stand j’eu un moment l’envie de me lancer dans une tirade à la Cyrano. N’avez décidément rien de mieux, comme question ? En voici quelques unes : ces tannins, si soyeux, comment est ce possible ? Ce vin en vieilissant me séduira t’il encore ? Et ce fruit, d’où vient-il, du raisin, du sous sol ? Mûr, si sensuel, à la fois fort et frais, comme est ce possible ? Je n’ai qu’une chose à vous dire : puis je en avoir encore ! Cette finale, interminable, pourquoi ne l’a t’on pas toujours ? Laissez vous les vins au repos, lorsqu’il fait froid dehors ? Et ce fruit, ce fruit rond, pur et sphérique, comme diable faites vous ? Et pourquoi pas, au lieu de mots, un sourire, juste un regard, un éclat, un merci, un geste, sur un bras ?

Tout dans le vin est pour moi émotion, poésie, plaisir et partage. Où sont donc passés les poètes du vin qui chantaient, tel Pierre Poupon, Louis Orizet et tant d’autres, la joie de faire, l’énergie de la feuille, le croquant du raisin, la douceur du soleil, le temps de l’amitié et celui du partage ? Et nos troubadours, où sont ils, où chantent ils désormais, la beauté de leurs belles, le grain de leurs peaux, la douceur de leur voix, chantant joyeusement la beauté mêlée de l’humain et du vin ? Dites moi, par pitié, qu’ils n’ont pas disparu, que l’on va continuer de parler de la senteur du sol fraîchement labouré, du champs des oiseaux au lever du soleil, de l’odeur de la pluie et des feuilles mouillées, de la force du vin, de sa douceur aussi, de la couleur et du brillant du jus rouge et vivant, de la treille, du figuier, de la passion de faire du vin, de celui de le boire, de la côte de bœuf qu’on va choisir pour lui, de la joie à cuisiner pour tous ceux que l’on aime, ne voulant, oh jamais, que ce repas s’achève.

Las de parler sans cesse de notes et de prix, de technique, de pressoir et puis d’œnologie, j’ai envie, ce Noël, d’un peu de poésie.

Pas vous ?

 

Un commentaire

  • Violette
    10/01/2015 at 5:24 pm

    Monsieur,
    Je viens de lire votre post sur votre venue à Bordeaux lors du Grand Tasting. Permettez moi de vous dire que, même si les fées n’ont pas jetée l’ambition sur votre berceau comme vous semblez le penser, elles ne vous ont pas raté sur l’humour ! Mais aussi sur la générosité. Je garde en mémoire cette très belle dégustation, du Clos des Fées et de la Petite Sibérie que vous avez bien voulu nous faire découvrir, et qui reste gravée dans ma mémoire et mon palais comme autant d’étoiles dans le ciel 😉 Je vous en remercie du fond du cœur. Quelles belles découvertes !!! Et là, à la lecture de vos posts, je m’interroge… Est-ce à vous que j’ai dit, accompagnée de mes 2 amis, que vous vous enflammiez ? Si tel est le cas je m’en excuse, et je suis sur que vous aurez compris que cela était de l’humour, le même que, semble-t-il, vous pratiquez 😉 Au plaisir de vous recroiser à Bordeaux, Bien cordialement, Violette

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