Réalité (dure)


Week-end à Arles.

Une fois par an, je prends donc la pilule rouge et je plonge dans la vraie vie, loin de la «matrice». C’est un choix difficile. La pratique ne l’est pas moins.

Pourquoi me faire du mal, me direz vous ? Pourquoi ne pas rester paisiblement dans mon cocon d’apprenti grand cru, ne voir que ceux qui me connaissent et qui m’aiment ? Pourquoi aller dans le froid, dans le vaste monde ? Par peur de perdre tout contact avec la réalité, sans doute, comme je l’ai vu chez certains vignerons. Parce que je trouve ça sain, pour un producteur, de se confronter à ses confrères à armes égales. Pour s’étalonner, aussi, pour voir si, comme aux tous débuts, le vin que je fais peut provoquer une émotion, une vraie émotion, celle qui déclenche un choix entre CETTE bouteille ou un autre plaisir dans la vie. Et donc un achat.

Samedi matin, donc, gymmnase à la sortie d’Arles, on a «installé» le stand et nous attendons que des amateurs s’arrêtent… Ce genre de salon n’a pas fini de m’étonner. Pourtant, une majorité de vignerons «font des salons», du plus prestigieux au plus modeste. Tous ceux en tous cas qui ne sont pas nés le cul dans la graisse (dans une AOP prestigieuse) ou une cuillère en argent dans la bouche (dans un château construit – et surtout payé – par les générations précédentes) ou enfin dans une région bénie par le tourisme, où l’on vend tout localement. Des salons organisés par des villes, par des clubs d’amateurs, par des associations autres, comme ici le Lion’s club d’Arles qui se sert des bénéfices pour ses œuvres.

Bien des vignerons français donc, qui passent les nuits de leur week-end sur les routes (quand le Muscadet descend à Arles ou quand le Roussillon monte à Quimper), dans un lieu souvent mal chauffé, à tenter de convaincre que son vin est bon. Puis-je ici leur exprimer mon admiration et mon respect ? Certes, cela forme la jeunesse, au départ. Mais passé un certain âge, arriver à trouver le courage et l’énergie pour faire 10, 20, 30 salons par an, voire plus pour certains, voilà qui bluffe.

Il faut dire que ce type de salon est formidablement formateur… Je pense à mes enfants, pour qui ce serait un merveilleux apprentissage de la vie. Se déplacer, apprécier les risques de la choses, un peu de boulot physique pour décharger les cartons, de l’architecture (hum…) pour le montage et l’organisation du stand, du marketing, de la vente, de la com, il y a tout ce qu’il faut savoir faire pour réussir dans ce métier, et bien sûr le principal, avoir du bon vin à proposer, avant toute chose.

Je repense à un chapitre du libre de Nassim Nicholas Taleb, antifragile, où il décrit le petit commerçant oriental, installé dans son souk, comme le degré le plus élevé d’humanité : à la fois concurrent et confrère, dans un environnement multi-culturel et multi-langues, il doit arriver à choisir, présenter et vendre sa marchandise en étant obligé en même temps de ne pas détruire l’éco-système auquel il participe. Un chapitre d’une grande intelligence. On y est en plein dedans et, si certains rigolent en ce moment même en voyant le ridicule de mon stand, j’y vois pour ma part toute la noblesse de mon métier d’artisan.

Arles 2015Entre deux clients, on discute bien sûr entre vignerons, on traine en regardant les bonnes (et les moins bonnes…) idées de chacun. Chaque région a ses archétypes, du cep de vigne verni pour le Beaujolais aux chapeaux rond des Bretons qui en jouent avec gourmandise. On voit bien qui est plus «commerçant» que l’autre, qui a testé à la dure de bonnes accroches esthétiques, qui est un professionnel du salon, qui semble, à l’opposé, être là par hasard, un peu comme nous, la première fois, il y a trois ans.

Alors, c’est fini, non, puisqu’on est mardi ?  Etait ce un bon salon ? Oui, que voulez vous, je suis optimiste et j’aime voir la bouteille, toujours à moitié pleine, et que certains points, c’était un bon salon, la priorité étant encore et toujours d’être dans le réel. D’abord, magnifique diner le samedi soir à la Maison de Bournissac, avec une vingtaine de fan du Domaine, de ses vins, du blog ou des trois. Christian s’est surpassé et la salade Wakamé et Saint-Jacques, jus et râpé de Bergamote a fait un mariage explosif avec les Sorcières Blanc, le premier millésime que nous commençons à vendre. Et ne parlons pas du Sémillon, le Clos des Fées blanc qui a fait un match de boxe poids lourds avec le gâteau de topinambours, artichaut, fois gras et truffes, crème à la fève de Tonka. J’arrête là, se serait du sadisme. Je suis en forme, malgré la fatigue de la journée et je parle, de tout et de rien, un peu trop sans doute. Mais un beau repas.

Sur le salon, il y a eu de tout. Dans la colonne de gauche, où l’on listera le mauvais, des gens étranges, parfois absents, voire désagréables, dont une femme qui n’aima rien, mais alors rien, exprimant très fort ses déceptions successives au point qu’on eut pu la croire téléguidée par un concurrent souhaitant mon entrée en  dépression. Ou ces «dégustateurs» un peu avinés, croisés par pur hasard sur le parking, parlant fort en poussant leur caddy, se moquant justement des prix de mes vins et bien sûr de celui que vous savez, que je mets pourtant un point d’honneur, bien sûr, à offrir aussi sur ce style de salon. Le bâton pour me faire battre ? Par certains. Mais le croirez vous où pas, nous avons vendu trois bouteilles de petite Sibérie en deux jours, à des clients qui, sans aucun doute, ne l’avaient pas prévu. Et puis aussi, heureusement, des amoureux de vin, nombreux, gais et curieux, contents de goûter des bon, des grands vins qu’ils en achètent ou pas, des buveurs simples, du quotidien, vivant parfois pour la première fois l’émotion d’un vin qui les frappe, comme une giffle. Tous ces bons souvenirs, mettons les donc dans la colonne de droite, là où il y a tout le bon, et qui fut, heureusement, majoritaire.

Bref, deux jours de vraie vie, celle qui fait du bien, qui remet les pieds sur terre, que je conseille à tous les vignerons qui se croient arrivés, au dessus de la mêlée, au dessus du panier… A vingt-deux heures, après la route, épuisé, je pensais en m’endormant aux chevaliers-vignerons qui étaient encore sur la route, et pour de longues heures.

Messieurs, chapeau. Et à l’année prochaine.

 

3 commentaires

  • arelate
    03/03/2015 at 6:22 pm

    Salut Hervé,tes commentaires décrivent bien la diversité d’un Salon du Vin. J’ai trouvé ton stand en net progrès au point de vue déco que lors de la 1ère année ;-). Je te confirme aussi que ce fut un bon Salon avec plus de 3.000 visiteurs, et pour ce qui est du côté physique, on a terminé le démontage et la mise en place du matériel le lundi matin ! On est prêt pour une prochaine édition le 1er week-end de mars 2016. Mais j’aurai le temps d’en discuter avec toi prochainement. Merci pour ton ipmplication à la réussite de notre manifestation. Amitiés. Roger.

  • julien
    07/03/2015 at 2:33 pm

    Bonjour Hervé,
    Pour nous ce fut une « première » en tant qu’exposant, et je trouve effectivement qu’il n’y a pas grand chose de plus formateur, de plus riche en enseignements que de faire gouter un vin à de multiples ‘profils’ de buveurs, directement en face de soi… Et je dis bien buveur, car malgré 17 bouteilles ouvertes pour la degustation, on ne peut pas dire que l’on soit allé souvent vider le crachoir ! Incroyable. Certains ont du avoir du mal à pousser leur caddie en sortant du salon

  • Olivier Borneuf
    09/03/2015 at 12:27 pm

    Bravo ! Rien à dire de plus sinon que cela ferait effectivement du bien à certains de se rapprocher de ceux qui consomment. Merci.

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