Vendanges 2016 – Jour J plus 14 – Se croire ailleurs (2)


Le premier cépage à être vendangé fut notre nouveau bébé Pinot. Parmi les dernières vignes qui le seront, Merlot et Cabernet Franc s’annoncent. Bizarre, hein, cette envie de ne pas faire comme tout le monde, d’espérer changer les choses, la truffe au vent, heureux de chercher de nouvelles pistes, d’ouvrir de nouvelles voies en plantant des cépages qui ne l’avaient jamais été ici.

Je n’imaginais pas, en année chaude, que le Merlot serait si beau. Étrange année, décidément. J’arrive à la fin des vendanges et je ne sais toujours pas pourquoi, à quelques dizaines ou centaines de mètres près, une vigne aura décroché, une autre pas.

On est fin septembre, d’habitude, cette vigne est vendangée. Là, son feuillage est magnifique, vert, sans une feuille de sèche, et, alors qu’on l’a effeuillée et fait tomber les quelques grappes millerandées il y a dix jours, et bien il est parfait, signe que son système hydrique ne s’est pas mis en sécurité. Etonnant. On ne doit pas être beaucoup en France et dans le monde à avoir des Merlot est des Cabernet-Franc en gobelet. Faut y croire. Imaginer qu’on va dépasser 20 hectolitres /hectare est une douce illusion dans ce mode de taille et, maintenant, je comprends pourquoi la Guyot a tout emporté sur son passage : question de gros sous.

Sur un terroir pauvre comme le nôtre, même une dizaine de grappes ne feront que péniblement 600 g de raisins. Et alors ? Aucun travail en vert, rien n’a été jeté, rien n’est né pour rien. Rien ne sera enlevé à la vinification, il n’y aura aucun tri. Respect total de la plante.

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De près, c’est encore plus beau. Les pédoncules commencent à rougir, aucun grain n’est fripé ni passerillé, les rafles commencent à aoûter, aucune maladie, des grappes lâches et des petits grains. J’attends qu’ailleurs on me montre des vignes comme ça, des raisins comme ça.

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Le Cabernet Franc est somptueux. Sur les calcaires de la vallée nord, il a trouvé une place pour s’enraciner, une place qu’il aime est qui le lui rend bien. Protégé de l’ensoleillement direct et donc des grandes chaleurs, il était tellement bien cette année que, carrément, on a décidé de ne rien faire : trois attachages, c’est tout. Même pas les entre-cœurs : la vigne est naturellement équilibrée, ses raisins aussi, le goût merveilleux, le fruité exceptionnel. Bon, la photo est mauvaise, en fait les grappes sont toute petites, en bataille, un peu emmêlées dans les feuilles mais, pour la fraicheur et le fruit, c’est exactement ce qu’il faut chez nous, loin des grappes au garde à vous, en ligne, victime d’une volonté normative que tout le monde a fait sienne aujourd’hui, sans que personne ne se pose plus de questions sur le bien fondé de la chose. Mes cheveux et mes vignes sont en pétard. Grand bien leur fasse et mort aux cons. Je goûte, redoute, me raisonne : les raisins sont si bons que j’ai du mal à m’arrêter d’en manger. Déjà qu’il n’y en a pas beaucoup, si j’en mange, où va t’on ? ! Allez, un dernier, pour la route.

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J’étais le matin au Merlot, le soir au Cabernet Franc, pas le même lumière, pas le même appareil. Fatigué, las, je remonte la vallée nord que j’aime tant, seul, les vendanges à Vingrau sont pratiquement terminées, enfin sur ce qu’il reste de vignes vu qu’on a arraché ici 500 ha en quarante ans. Je serai, comme d’habitude, le dernier à finir. Ayant les vignes les plus tardives, en même temps, c’est un peu logique. Je remonte vers la fin de la route, admirant le dernier trait de lumière qui embrase la falaise.
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A la croisée des deux chemins du haut, une figue, une seule sur tout un arbre, ne paye pas de mine mais me fait pourtant de l’œil. Je la tente, sans espoir, je n’ai jamais vraiment remarqué ce pauvre arbre de bord de route.

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Surprise ! Délicieuse, pas trop sucrée, juste mûre, elle est, par chance, parfaite. Je m’adosse à la voiture pour admirer le Canigou dans les nuages. Mon Dieu que j’aime le Roussillon, cette vie, ces plaisirs simples.

La saison avance, plus que quelques jours, les Syrah de Lesquerde, les derniers Carignan et enfin, la semaine prochaine les derniers Mourvèdre qui ne sont qu’à peine à 13°. L’automne est là, la météo parfaite l’année s’achève. Une grande paix m’envahit.

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