Vendanges 2018•Jour 2 – Introspection


La vendange a commencé à la Chique.

J’aime vraiment faire ce vin populaire, un peu rustique, aux tannins parfois «calleux», comme des «mains de vieux vigneron habitué à manier l’outil», ainsi que me les a décrits un jour mon voisin Michel. Je ne manque jamais de profiter de ses conseils quand j’achète une vigne. A 90 ans, sa pratique vaut toutes les théories du monde. Il ne s’est jamais trompé.

Le vin sera bon, très bon même cette année encore, mais voilà, il n’a pas «besoin» de moi, comme certains enfants ont parfois moins besoin de vous, parce que vous savez qu’il vont faire leur chemin eux-même. Un peu comme dans Nanny Macphee et son inoubliable «Quand on a besoin de moi et pas envie de moi, je reste. Quand on a envie de moi mais plus besoin de moi, je pars». Ceux qui on de la marmaille me comprendront. Et rigoleront. Pour les autres, restez tristes.

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6 euros et quelques chez Carrefour Market, dans le cadre de la gamme «Reflets de France», vendanges manuelles, vieilles vignes, labour, je crois qu’à ce prix, on ne peut guère faire mieux. Médaille d’or au Concours Général Agricole, au fait, au milieu d’une dizaine de médailles diverses dans les 3 dernières années, histoire de faire taire les grincheux. Et oui, vendu en grande distribution, Monsieur. Quelle horreur, je sais, de faire des vins à la portée de toutes les bourses, dans un vrai programme de partenariat, sans lequel les vignes et les oliviers auraient été arrachés il y a dix ans, «quelle déchéance de bosser avec la GD » comme on me l’a reproché un jour… Passons.

Ah, au fait, ce matin, les sangliers étant partis après nous avoir dévastés les goutte à goutte, comme d’habitude, deux chevreuils passaient au milieu des champs, dérangeant les perdreaux. Je vous disais justement qu’on en voyait plus que de journalistes. En voilà deux. On fera le compte à la fin des vendanges pour savoir qui a gagné… Est-il bon de rappeler que nous cultivons bien sûr des vignes, mais aussi que nous prenons en charge plus de 50 ha de landes, de bois, de terres en repos, de prairies naturelles ou semées, juste pour apporter notre pierre à l’édifice Terre ? Voilà, c’est fait. Comme de dire que ces p….. de chevreuils et autres sangliers nous dévastent tout ? Non, c’est pas OK en ce moment, de dire que ces bestioles, on les aime surtout en civet…

Ils sont là, juste au centre et ne semblent pas plus que cela dérangés par quarante vendangeurs qui s’affairent. Je sais, faut des bons yeux. Mais je n’ai pas un objectif de paparazzi, hein….

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Pendant que les sécateurs cliquettent, je continue, heure après heure, jour après jour, mes longues balades dans les vignes de Vingrau, de Tautavel, d’Opoul, sentant le sol meuble où l’air du au labour a permis de diminuer l’impact de l’été caniculaire. Je touche, frôle, caresse les feuillages, d’un vert magnifique sans une trace de mildiou, tous mes capteurs ouverts, analysant l’humidité de l’air dans un petit vallon ou le vent qui se lève et caresse mon corps.

Vais-je arriver à sentir, ou plutôt «ressentir», si tant est que cela soit possible, «l’esprit» du millésime, seul moyen pour moi de donner du «sens» à ce vin qui va naitre ?

Mais qu’est ce que le « sens », au fait ? J’avais gardé pour la bonne bouche la définition qu’en donne Jacques H. Paget, croisé cet hiver, maitre de l’illusion et habile connaisseur de l’âme humaine :

« Quand on précise qu’une chose doit « avoir du sens », cela veut simplement dire que cette chose, cette idée, cette pensée ou ce projet doit s’inscrire dans le prolongement de ce qui a précédé, le sens de l’histoire de la vie et du monde. C’est-à-dire dans un courant qui va plus loin que ce qui est en s’appuyant sur ce qui a été. C’est là le principe de ce qui fait sens : cela ne va pas à l’encontre de ce qui est ou de ce qui fut, cela n’en est que le prolongement vers le futur. »

En marchant au milieu de mes vieilles vignes parfois centenaires, plantées par des «grands pères virtuels» bienveillants et si durs à la tâche (que je remercie en pensées, souvent), je me disais que c’était là, justement, le cœur de ma quête de sens : aimer un lieu, se lier avec lui pour toujours, le protéger et, je l’espère, le transmettre un jour à un homme qui l’aimera autant que je l’ai aimé.

Les choses sérieuses vont commencer. Elles s’annoncent bien.

Un commentaire

  • Pascal
    15/09/2018 at 8:09 am

    Bonjour Monsieur Bizeul,
    Je réagis à votre passage sur la GD, sans vous reprocher pour autant de leur vendre du vin.
    Habitant Paris, j’ai autour de moi, à portée de panier, des boulangers, bouchers, cavistes, et bien plus.
    Je suis par contre surpris, dès que je vais en vacances dans des régions non urbaines, de ne plus trouver de produits locaux, car il n’y a plus de commerce, en dehors du Carrefour ou du Super U du coin, qui ne vendent hélas pas beaucoup voire pas du tout de produits du coin, ou alors à des tarifs qui ne permettent pas au producteur de survivre, et à la qualité souvent médiocre.
    Dans ces régions, la GD a bien souvent tué la concurrence et la production de qualité locales.
    J’ai trouvé, initiatives récentes, des boutiques, encore trop rares, de producteurs locaux qui se sont organisés pour vendre leur production et celle de leurs voisins, à des prix souvent plus accessibles que dans la GD, et pour une qualité nettement supérieure.
    Il n’est donc pas question de condamner le producteur qui vend à la GD. Je constate juste que (en partie au moins) à cause de la GD, on trouve dans certaines zones rurales des villages morts (toutes les boutiques fermées, abandonnées, c’est triste), et une production agricole industrielle peu qualitative. Au profit du consommateur ? Non, surtout au profit de Monsieur U ou ses confrères.
    Bien cordialement,
    Un lecteur assidu et fidèle 🙂

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