Vendanges 2018 – Jour 6 – Jour Blanc


Allez mes belles, un effort encore, et on vous libère.

Mes vignes centenaires de Grenache Blanc, mon Dieu que je les aime. Je sais, je ne devrais pas le dire, les autres vont être jalouses. Et pas que parce que vous êtes magnifiques. Parce que vous produisez toujours, et que vous êtes LOIN d’être ridicules dans ce domaine. La preuve, quand vous rayonnez comme ça, il faut presque un grand angle pour saisir toute votre puissance solaire.

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Un effeuillage léger suffit, juste la zone des grappes. Bon, une partie de l’investissement, à la base purement qualitatif, sera quand même bassement matériel et récupéré aux vendanges, où l’on aura pas besoin de chercher les grappes. Comme on démarre très tôt, au soleil à peine levé, on en oubliera moins.

C’est le jour où je me suis surpris à passer derrière les vendangeurs avec mon seau pour récupérer les grappes oubliées que je me suis dit que j’étais vraiment devenu un vrai paysan… On m’a souvent raconté qu’à la «grande époque du vin doux» comme on l’appelle ici, époque d’une incroyable prospérité, les «patrons» (bien modestes, car ils n’avaient que quelques hectares) passaient eux aussi derrière les vendangeurs pour récupérer les grains de Muscat d’Alexandrie tombés à terre. Je n’en suis pas là, rassurez vous…

Ils sont si beaux, cette année, mes Grenache blanc que vous comprendrez que je me la ramène un peu. Je suis songeur sur la récolte que le département aurait pu avoir sans l’incurie de certains conseillers, dirigeants et autres donneurs de leçons : sans corps, pas de crime, dit on. Et bien pareil pour le raisin : si tu n’en as plus, comment savoir ce que tu aurais eu si le mildiou n’avait pas tout dévoré ? La réponse est : beaucoup. Et magnifiques. Suis triste pour mes confrères, vraiment. Il ne fallait pas, comme on l’a conseillé à certains, descendre cette année sous 3 kg de cuivre/ha. Et traiter les sols, très tôt, à très faible dose. Merci Joseph Capus…

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On en profite pour marquer les plus belles souches. Impossible d’imaginer, et à fortiori d’accepter, qu’un tel potentiel génétique disparaisse. Je sais qu’un jour ou l’autre je devrais arracher cette vigne mais elle aura une descendance. Avec de belles cordes blanches, on marque avec Serge les ceps les plus forts, aux plus beaux raisins, certaines montantes, d’autres rampantes. Faut que je trouve un autre système, au fait, car la corde se dégrade avec le temps. Si on faisait cela dans les règles de l’art, il faudrait le faire chaque année. Au bout de cinq marques, c’est à dire que la souche a été remarquée cinq fois de suite sur une dizaine d’années, lors de – théoriquement – tous les scénarios climatiques possibles, on la prélève pour la dupliquer. On a ce qu’on appelle ces «colonels» avec leurs cinq galons, comme on me l’a appris un jour à Bandol. On se contentera de «lieutenants» cet hiver, deux galons.

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En voilà un, justement, de fringant «lieutenant». On retrouve avec plaisir, au gré des vignes toutes plus belles les uns que les autres, des ceps que l’on avait déjà sélectionnés il y a six ans. Je fais un gros plan de ces deux cordes côtes à côtes, l’une jeune, l’autre décomposée. Je pense à mes fils. Le temps passe, je vieillis et, bientôt, ma peau ressemblera à ces écorces noueuses. Et, comme me dit mon copain de régiment Jean-Pierre, au lieu d’en avoir deux souples et une raide, j’en aurais deux raides et une souple… Je sais, la fatigue commence à se faire sentir… C’est mon côté «histoires de Toto». C’est pas d’hier…

Hervé qui rit. Hervé qui pense… Qui donc s’occupera de mes vignes quand je ne serai plus là ?

Arrêter de se poser des questions qui n’ont pas de réponses… Qui que ce soit, j’espère qu’il les aimera autant que je les aurait aimées et qu’elles seront heureuses. Je ne sais pas ce qui m’arrive aujourd’hui, je suis amoureux de mes vignes… Au secours, Richard Anthony, sors de ce corps !

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Une journée entière à effeuiller. Le gobelet a fait son effet tout l’été, parasol naturel parfait, il est temps de mettre tout cela «en lumière» afin que les maturités s’harmonisent. A ce stade, les différences sont spectaculaires : il y a bien deux degrés potentiels de différence entre le cœur de la souche et l’extérieur, pile ce qu’on cherche. A la clé, du goût, des arômes ET de la tension, car tout sera pressuré ensemble. Vive le gobelet !

Les Vermentino sont prêts, inutile ici de chercher plus de complexité, c’est leur arômes «agrume», leur faible degré et leur vivacité que l’on recherche. Hop, au pressoir !

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3 commentaires

  • Patrice BONNET
    05/09/2018 at 6:26 am

    Je ne suis pas vigneron, mais j’aimerais bien moi aussi participer à l’effeuillage et à la récolte avec les fées. L’an prochain j’espère…
    En attendant, je file en randonnée dans les vignes autour de Vingrau pour admirer ces pieds de vignes chargés de beaux raisins.
    Merci monsieur Bizeul de nous faire partager votre passion 🙂

  • Alfredo Antonio ROMO
    05/09/2018 at 8:32 pm

    Vos récits de vendange sont toujours un grand plaisir à lire, merci beaucoup de prendre le temps de nous conter « les histoires du clos des fées »!

  • Francis
    06/09/2018 at 6:38 pm

    « On a ce qu’on appelle ces «colonels» avec leurs cinq galons, comme on me l’a appris un jour à Bandol.  »
    Ici, chez nous, un colonel, c’est ce cher Livarot.
    J’habite sur la limite d’un triangle d’or: Camenbert, Livarot, Pont-Lévêque…

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