Vendanges 2022 – Jour 29 – Encaver


La cave. Je ne parle jamais de la cave. Faut dire que je vois la fin des vendanges (et donc de ce blog…) et que si je me mettais à parler de la cave, on finirait à la Toussaint… Je vous aime, mais c’est pas une vie… Tous les soirs, chercher l’inspiration en testant tous les filtres instagram du monde (celui où j’ai une moustache, il m’a fait mourir de rire…) ou chercher des conseils sur TikTok pour, enfin, réussir une relation amoureuse… Bon, ça y est je tiens mon billet du lundi 8

Ouverture vers une séance d’égrappage en vidéo. Désolé pour les abonnés, la vidéo ne suit pas, il faut lire le billet sur le site ICI.

Encaver. Encaveur. J’aime beaucoup ce mot Suisse, qui désigne le vigneron qui vinifie lui même ses propres raisins. Une des choses que j’ai apprises quand je suis passé «de l’autre côté du miroir», c’est que – contrairement à ce que les vignerons serinent à longueur de journée – non, tout «ne se fait pas à la vigne».

La cave, c’est essentiel.

Je ne sais pas pourquoi cette légende urbaine s’est répandue comme une trainée de poudre au fil des ans. Mais bon, elle arrangeait les deux bouts opposés de notre monde :

a – d’un côté, cette croyance « justifie » le fait que «j’ai un terroir » (souvent à X ou XX millions d’euro/ha) et pas toi; et que, donc, toi, petit scarabée, quoi que tu fasses, tu n’attraperas jamais le cailloux dans ma main (cadeau pour les boomers…) et, bien entendu, tu ne pourras jamais faire grand (ni meilleur que moi, surtout). Rien de plus faux, la vérité si je mens… La parfaite illustration des «croyances limitantes» chères à Anthony Robbins. C’est l’homme qui fait le vin, rien d’autre. Et, jusqu’à mon dernier souffle, je préférerai boire le vin d’un grand vigneron exilé sur un terroir indigne que celui d’un couillon assis sur un cru réputé. Ne me demandez pas de noms, hein.

b – de l’autre, chez les « nature », bien sûr, là, et c’est le concept, ce n’est pas l’homme qui fait le vin ni le terroir mais la «nature» qui doit parler. Donc, on se contente (soi-disant, parce que bien sûr, comment vous dire…) de ne rien faire, puisqu’on a de «grands raisins» parce que là aussi, on n’a rien fait. En fait..

Honnêtement, prenez la pilule bleue et regardez la réalité : c’est à la cave que le vin se fait, et pas ailleurs. Bien sûr, le pré-requis, c’est d’avoir de beaux raisins. Mais c’est comme en cuisine : un navet parfait cuisiné par Alain Passard, et bien ça sera bien autre chose qu’un navet cuisiné par moi. Encore que je me défends , en navets… Mais bon, ça reste du glacé à blanc, c’est pas créatif.

La forme de la cuve, simplement, sa taille, sa matière : bois, béton, inoxydable, le froid, le chaud, le système de pompage, le nombre de remontages, de pigeages, la gestion de l’oxygène, le moment où l’on manipule le vin ou on le laisse tranquille, la décision de décuvage, le modèle de pressoir, la gestion des lies, tout compte et j’en oublie. Sans parler de l’oxygène, de sa présence ou de son absence, et bien sûr l’hygiène. Celle du chai, pas du vigneron.

Tenez, mes cuves préférées. Fasciné par les tronconiques de Patrick Lejeune, les fameux «OVNIS» de part leur forme de soucoupes volantes, dans lesquels un petit délestage détendait le chapeau et permettait un pigeage facile, je lui ai demandé de m’en faire avec un 50 cm en vertical, pour qu’elles me servent de garde-vin, à un moment où, dans le garage, je tournais en rond faute de place. Il me fallait des cuves de vinification ET d’élevage. Pas la place pour les deux. Le diamètre, la hauteur, tout cela ce n’est ni lui ni moi qui l’avons vraiment décidé, mais mon garage. Je n’ai jamais fait de meilleurs vins que dans ces cuves. 43 hl. Le rêve. Ah, oui peut-être, en demi-muid ouverts, quand on a démarré en 1998. Je dis pas que je n’y reviendrai pas, un jour…

Puisqu’on est dans les secrets, le vin, la cave, c’est de la physique, pas de la chimie. Arrêtez de vous laisser enfumer par ces listes de produits autorisés. Ils datent d’un autre temps chez les bons vignerons d’aujourd’hui.

Même si l’œnologie a permis en cinquante ans de tout expliquer, de tout comprendre (ou presque…), les avancées, c’est la physique : l’hygiène grâce à l’acier inoxydable, aujourd’hui recuit à chaud pour limiter même les intrants de nettoyage; la démocratisation des groupes froid et chaud (essentiels pour réguler et finir les fermentations), les anneaux autour des cuves pour piloter les températures, souvent par informatique, sondes et électro-vannes; les pompes péristaltiques pour l’hygiène et le respect du vin; les égrappoirs, incroyablement performants; les sauterelles pour monter les raisins en toute intégrité ou les petits «cuvons» pour remplir les cuves par chariots élévateurs ou ascenseurs (chez les TRÈS riches, pour faire genre); les chais gravitaires pour éviter les pompages; les chais à barriques climatisés pour les élevages en gérant l’oxygène dissous, parfois avec des filtres de blog opératoire; la perfection de l’embouteillage…. Et, et, et..

Physique, encore physique, toujours physique.

Allez, je rajoute un peu de chimie, avec les gaz de protection ou la carboglace, abondant. Et voilà pour la chimie. En fait, dans ma cave, j’ai rentré cette année un peu de SO2 en solution et pour mécher mes barriques et un activateur de fermentation, un peu de nourriture bio pour les levures. Voilà. Arrêtez de croire qu’on est des chimistes : je sais plus de la chimie de la cuisine que de la chimie du vin.

Me voilà devant une tâche de vin, à la fin d’un remontage. Pour illustrer le sujet, entre deux délestages importants par jour et cinq minuscules remontages, cette année, cela pourrait tout changer.

En attendant, j’hésite devant cette flaque brillante entre la constellation du cygne vu depuis GN-z11, le miroir de blanche neige, le test de Rorscharch ou le codage prédictif des entrailles d’un animal, comme le pratiquaient les grecs : à ce stade, une chose est sûre , je ferai bon. Grand ? Nous verrons. Mais je commence à y croire. En 1959, savait-ils qu’il feraient du 59 ? Ah, si je pouvais remonter le temps.

Ce que j’écoute, au jour le jour, pendant les vendanges. Décidément, cette vendange m’aura fait découvrir Mac Miller… RIP Men.

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