Ecoulages


Un jour ou l’autre, il faut se décider à écouler. Écouler, c’est finir le cycle de transformation du jus de raisin en vin. C’est mettre le point après la fin d’une phrase. C’est passer en quelque sorte d’un monde à un autre, puisque après cette étape, aucun retour ne sera possible. La décision n’est pas sans conséquences. Certaines cuves n’auront connu qu’une dizaine de jours de cuvaison. D’autres auront cuvé pendant plus d’un mois. Bien sûr, à la clé, tout dépend du raisin, à l’origine, de son évolution en cuve mais aussi et ce n’est pas négligeable, du désir du vigneron. Qui, à vrai dire, en moi, décide à ce moment-là ? Au risque de paraître schizophrène, je dois composer avec plusieurs « moi » qui poursuivent en réalité des objectifs parfois antagonistes.

Il y a Hervé Bizeul « ex-sommelier », qui cherche à faire des vins simplements bons, destinés à illuminer un repas, quelques années plus tard. À procurer du plaisir, un brin d’ivresse, un souvenir inoubliable, une harmonie mets-vin parfaite.

Il y a aussi Hervé Bizeul « commerçant», qui gère une entreprise, doit payer son personnel, ses charges, ses lourds remboursements d’emprunt et qui doit donc faire un vin qui corresponde aux désirs de ses clients, professionnels comme particuliers, deux catégories aux goût parfois fort différents…

Il y a bien sûr, « l’Égo » d’Hervé Bizeul, qui le pousse à vouloir faire le meilleur vin du monde. Oh, il lutte, mais, au fond de lui, la passion reste forte. Elle est un tel moteur, une telle énergie, une telle impulsion qu’il faut, tout en luttant contre elle, la respecter et l’entretenir.

Enfin, il y sans doute un peu de l’Hervé Bizeul « enfant », celui qui se sent mal le dimanche soir, sans doute par conditionnement pavlovien des veilles de classe, qui voudrait toujours avoir des bons points, des images, des premiers prix et qui donc voudrait, encore, avoir des bonnes notes lors des dégustations comparatives ou dans la presse. C’est idiot, je sais, mais c’est comme ça.

Ajoutez qu’il paraît qu’il y aurait aussi un « goût américain », pour qui les vins ne sont jamais assez concentrés ; qu’il faudrait, paraît-il, faire un vin qui plaise aux « grands commençants », (aux jeunes, aux femmes) ; sans oublier ceux qui voudraient du sans soufre ou de la fraîcheur ou de la minéralité : ceux qui veulent de la couleur, ceux qui n’en veulent pas ; Ceux qui ne jurent que par le boisé pour la complexité, d’autres qui ne jurent que par la cuve, par le fruit,…

Ouuuhh là là, j’arrête là. Je vais continuer à faire du vin comme je l’aime, ce sera plus simple, en me fiant à mon instinct. De toute façon, je ne sais pas faire autrement. :))

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