Le Goût des autres


Je viens de raccompagner à l’aéroport ma vieille amie Manuelle. Bientôt 25 ans que nous nous connaissons. Je tenais alors le rayon vin du KaDeWe, à Berlin, peut-être la plus belle épicerie du monde. Malgré mon allemand plus qu’hésitant, ma passion pour le vin et mon énergie de jeune homme me permettaient apparemment de surmonter la barrière de la langue. Elle visitait Berlin en vue de l’organisation d’un congrès. Elle ne buvait pas ou très peu de vin, en boit toujours très peu aujourd’hui (un échec cuisant pour moi, inutile d’en rajouter…). Vous dire pourquoi nous sommes devenus amis, vite et pour longtemps, reste un mystère.

Donc, après plusieurs repas en famille à goûter toutes les cuvées du Clos des Fées à tour de rôle, voilà que pour le dernier déjeuner, nous attaquons une bouteille de blanc 2004. Coup de foudre. Elle adore, au point d’en boire plusieurs verres, avec un plaisir non dissimulé, alors qu’il faut bien le dire, elle n’avait qu’humecté poliment ces lèvres lors de nos précédentes tentatives en rouge. Il faut vous dire que ce grenache blanc pur affiche fièrement 6 à 7 grammes de sucre résiduel… Non que je l’ai voulu, mais cela s’est fait comme ça. Je l’aimais tel quel, alors j’ai décidé de l’assumer.

Pourtant que n’avons-nous entendu, Claudine et moi, sur ce blanc de la part des professionnels… « Pas académique, pas conforme, hors norme, étrange, difficile à servir, à classer, à cataloguer, pour le moins inhabituel ». Seul Michel Bettane, pourtant peu fanatique de ce genre de vin, se fendit au dernier salon des grands vins d’un : « je n’aime pas vraiment, mais dans dix ans, ce sera un grand vin ». Ouf.

Pas grave, ai-je envie de dire. CHAQUE dégustation au domaine, même un peu « forcée » pour ceux qui ne veulent pas goûter de blanc au départ, déclenche l’enthousiasme et, 8 fois sur 10, l’achat de quelques bouteilles.

« Où veut-il encore en venir, êtes vous en train de penser »? Et bien au fait que, de plus en plus, je m’interroge quand je mesure le décalage entre le goût et les avis de certains journalistes, cavistes, ou sommeliers et le goût de « monsieur tout le monde ». Parfois – souvent-, ça colle. Mais parfois, je pense, ça ne colle pas du tout.

Un excellent sujet de réflexion pour commencer la semaine.

P.S. : alors que je viens d’écrire ces lignes, dégustation avec un nouveau client, monsieur T., qui, me dit-il, lit mon blog avec beaucoup d’amusement. Merci et merci de votre visite, monsieur T.

Il est accompagné de son fils et de sa fille, tous deux adolescents. Après un moment de timidité, tout le monde goûte.

On me dit ou je lis que les jeunes et les femmes aiment les vins légers et fruités. Pourtant, la fille de monsieur T. a un vrai coup de foudre, une vraie émotion pour le Clos des Fées 2003, notre vin le plus concentré et le plus boisé…

Je crois que ce que tout le monde veut , ce sont des bons vins, qu’ils soient légers et fruités ou denses et soyeux. Et qu’il n’y a pas de règles. Et que c’est très bien comme ça.

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