Sur la Frontière, ter


Pourquoi ai-je appelé ce billet « sur la Frontière », vous demandez vous sans doute ? Et bien parce que cet été, j’ai eu la visite d’André Ostertag, un des vignerons alsaciens les plus en vue du moment.

Je l’avais rencontré il y a longtemps, à ses débuts. Je me souvenais d’un jeune vigneron enthousiasme, limite rupture, prêt à tout faire péter pour imposer de nouvelles idées et un style très personnel, remonté contre le monde en général et l’INAO en particulier. A l’époque, j’avais « pas encore fait ma malo », comme dit l’une de mes amies, et la rencontre avait été, comment dire, « rugueuse ». J’ai revu un homme toujours aussi passionné et passionnant, plus sûr de ce qui est pour lui vraiment important, dans la vie comme dans la cave, assumant avec intelligence et humanité ses choix et ses vins. (André, si tu me lis, ce n’est pas la peine de rougir :). Des vins très bons, le monde entier le sait, mais aussi très personnels, ce qui, par les temps qui courent, fait d’André ce que j’ai décidé d’appeler un vigneron « bankable ». J’adoooorrrre cette expression, tirée du vocabulaire des stars d’Hollywood, qui veut dire que sur un projet, quel qu’il soit, un homme ou une femme est capable de mobiliser des capitaux parce qu’il fait des vins qui se vendent. Que les gens boivent. Que les clients rachètent. Et qu’il n’y a que lui qui peut le faire. Mais je m’égare. « Et tes gueuletons en Alsace, tu vas nous les raconter, dis ! » :). On y vient, on y vient.

Mais revenons d’abord en été. Il fait chaud, on boit des coups et André me dit un truc du genre « l’Alsace et le Roussillon, même combat ». Je prends l’air idiot, ce qui m’est assez aisé :) Il développe un peu, me parle d’abord similitudes : zone frontière propice aux conflits; va et vient historiques et politiques au court des siècles ; écartèlement permanent entre deux langues et deux cultures, la France d’un côté, la Catalogne et l’Allemagne de l’autre ; diversités géologiques étonnantes. Puis opposition : culture du rance d’un côté, du fermenté de l’autre ; attachement à l’oxydation des vins d’un côté, recherche du fruit à tout prix de l’autre ; vins naturellement sucrés contre vins mutés mais au final, vin doux des deux côtés. Je me dis : « mais oui, mais c’est bien sûr ! ». Et c’est comme ça que j’ai eu l’envie de retourner en Alsace. Pour le jumelage Strasbourg-Perpignan ou Riquewihr-Vingrau, il faudra attendre un peu. Mais je lance l’idée. « Si tu es un vigneron alsacien, si tu t’intéresses au sud du sud, si cette idée farfelue te semble limpide, alors, tu es le bienvenu en Roussillon ».

En Alsace, j’ai plus visité les manèges des marchés de Noël, pour faire plaisir à mon fils, que de vignerons, dont beaucoup, tant mieux pour eux, étaient en vacances.

J’ai bu beaucoup de grands vins. Dont un Gewurztraminer SGN 92 de Faller d’anthologie (Yvan, si tu me lis, merci!). Et un Grasberg 2001 de Deiss dont j’ai tapé le fond de la bouteille pour récupérer les dernières gouttes le soir de Noël. J’ai compris alors que l’expression « le petit Jésus en culotte de velours » peut aussi s’appliquer à un vin blanc et, franchement, c’était divin.

J’ai découvert que Josmeyer avait une côte d’enfer auprès des sommeliers qui n’ont pas arrêté de me faire goûter son Riesling grand cru Henst : jeune comme vieux, c’est tout simplement un grand vin blanc, sec et formidablement distingué.

J’ai – enfin – compris, grâce à mes vieux amis les Rolly-Gassmann, ce que voulait dire le terme « vin de gastronomie » ou « vin de grande gastronomie », terme que l’on m’assenait régulièrement et que je faisais, poliment, semblant de comprendre (1).

Un soir, j’ai goûté un vin magique, qui m’a marqué et qui sans doute influencera dorénavant ma façon de faire des vins blancs, mais, si vous le voulez bien, il fera l’objet d’un autre billet, un jour prochain.

Je me suis gavé de choucroute brûlante avec les doigts, de bûche au grand-marnier et de pain d’épice chez Christine Ferber, incarnation sur terre de la gentillesse, de la finesse et de la gourmandise.

J’ai mangé – beaucoup – de foie gras, le meilleur « chez Yvonne », comme quoi, il y a des réputations méritées.

J’ai goûté plusieurs Pinot Noir exceptionnels, mesurant de fait les progrès phénoménaux réalisés par les producteurs sur ce cépage en 15 ans.

J’ai bu aussi pas mal de vins « au pichet » ou « au verre » dans des Weinstub anonymes et n’ai pu en finir aucun d’entre eux. No comment.

J’ai découvert un couple de jeunes producteurs, intelligents, sensibles, passionnés et talentueux, qui m’ont fait regretter de ne plus être journaliste car j’aurais aimé parler de leur travail et de leurs vins, délicieux et à des prix angéliques.

J’ai été accueilli partout, hôtel, restaurants, du plus simple au plus prestigieux, par des gens charmants, hospitaliers, ayant vraiment envie de se défoncer pour leurs clients. Qu’ils en soient ici remerciés, bien que je ne pense pas qu’ils me lisent.

Ainsi se termine le récit, plutôt décousu, de notre voyage en Alsace. Qui n’était pas vraiment à but culturel, je pense que c’est assez clair :).

(1) Ah bon, oh lecteur, tu ne savais pas non plus ? En Alsace, un vin de gastronomie, c’est un vin presque ou totalement sec, qui peut donc plus facilement se marier avec un plat ou un repas. À opposer à la mode actuelle qui veut que la majorité des vins aient entre 10 et 40 g de sucre résiduel.

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