Pensées du soir


Je repense au billet sur la différence entre les vignerons du Nouveau Monde et les Français ainsi que la réflexion sur le fait qu’aux USA, les vignerons sont avant tout des entrepreneurs AVANT d’être des vignerons.

Cette pensée a fait son chemin. Ce soir, dans ma tête, elle tournicote.

Voyons si on peut la structurer ensemble. En France, inutile de sortir de l’ENA pour voir qu’il y a, en gros et sauf exception bien sûr, trois types d’exploitations viticoles qui fonctionnent bien :

– les « entrepreneurs ». Ils ont su, après la révolution de la mise en bouteille à la propriété et de la vente directe des années 60/70, structurer leurs entreprises. S’ils n’avaient pas la taille critique, ils ont grandi soit en superficie, soit en chiffre d’affaires, pour étaler leurs charges fixes tout en sachant s’arrêter pour rester des entreprises à taille humaine. Ils savent déléguer auprès de collaborateurs passionnés et responsables. Ils vendent du vin dans le monde entier mais ne négligent pas pour autant la France. Ils gèrent, communiquent, garde du temps pour réfléchir au présent et à l’avenir, sans oublier ni le passé, ni leurs racines. Souvent en contact direct avec leur clients, ils aiment réfléchir et s’adapter aux changements de mode de dégustation, aux habitudes et aux goûts des consommateurs. Ce sont souvent de très bons dégustateurs. Ils aiment le vin et leur cave est aussi éclectique que bien remplie. Dans l’idéal, ils prennent garde à ne pas perdre contact avec leurs vignes, où ils ne sont le plus souvent plus autant qu’ils le voudraient. Mais comment faire autrement ? (allez, au lit les Dupéré-Barrera, demain, il faut tailler :))

– les « industriels ». On en manque, tout le monde le dit. Issus du sérail ou passés au négoce depuis la propriété, poussés par une volonté d’entreprendre sans limite, ils ont pris le train de la grande distribution qui, en France ou à l’export, représente souvent l’essentiel de leur ventes. Finalement, ils sont souvent de taille modeste si on les compare à l’importance du marché mondial. Ils sont la plupart du temps spécialisés dans une région, voire une appellation, et gèrent leur entreprise en « bon père de famille », tout en étant souvent sur la route ou autour du monde. Parfois, à force de chance et d’habilleté, ils ont grandi jusqu’à faire plusieurs millions de caisses. Ce sont alors des marques connues dans le monde entier. D’autres, ne les oublions pas, sont aussi, au point de vue de la taille et du mode de fonctionnement, des industriels. Mais ceux là sont nés dans leur village, ne parlent que rarement anglais, n’ont que peu, voire jamais voyagé, ne savent parfois à peine se servir d’un ordinateur, n’ont pas vraiment idée de ce qu’es le World Wide Web et, pourtant, ils gèrent des entités de production de plusieurs dizaines de milliers d’hectolitres : ce sont les présidents de beaucoup de caves coopératives. Oh, pour parler, ce sont de bons orateurs. Mais peu d’entre eux connaissent en profondeur un marché du vin qui s’est mondialisé en quelques années à peine. Il y a en a heureusement de très performants. Ils fonctionnent alors comme des négociants et font parfois partie des plus dynamiques et des plus réputés. Dommage qu’ils soient si rares.

– les « artistes ». Assis sur de petits vignobles, souvent historiquement prestigieux mais aussi récemment mis en lumière, ils peuvent suivre leur instinct ou même se permettre d’avoir une « vision ». Ils travaillent en artisan, parfois seul, délèguent de toute façon peu car ils ont une grande fierté et une toute aussi grande satisfaction à travailler eux même leur vigne. Ils font du vin comme ils le « sentent » ou « comme leur père le faisait » ou comme ils en ont « envie ». Quand ils rencontrent le succès, les média et une clientèle qui les adule, ce sont des stars nationales, voire mondiales, qui peuvent se permettrent de jouer les divas. Ils font alors partie du club très fermé des vignerons « désirés ». Ils n’en sont parfois pas plus heureux pour autant et regrettent alors le temps où ils étaient inconnus. Je peux comprendre. Mais attention au revers de la médaille : quand ils ne vendent pas ou mal leurs vins, ils survivent difficillement, portés par leurs convictions et leur certitude d’avoir « raison », le marché ayant « tort ». Dans le pire des scénarios, ils deviennent malheureusement des vignerons incompris, aigris, jaloux et vivent même parfois, ultime avatar, des drames économiques et humains.

Je récapitule le problème, pour ceuces qui n’auraient pas suivi :

– Il y a trop peu de vigneron « entrepreneurs » en activité en France aujourd’hui, mais ce sont pourtant eux qui traversent le mieux la crise. Ils formeront peut-être leurs enfants, mais les enfants des autres, ceux qui pourraient le devenir, n’ont devant eux aucune filière de formation. Soit on les forme pour cultiver la vigne ou vinifier à travers un enseignement trop juste si on le prend à la lettre, soit on en fait des ingénieurs ou des œnologues avec une sélection par les maths, comme partout. Bien sympa, mais ce ne seront pas, sauf exception, des entrepreneurs.

– Les négociants ayant atteint une taille critique sont trop peu nombreux mais sont efficaces. Les autres n’ont aucune raison (en particulier fiscale) ou possibilité (manque de fonds propres) de se développer. On fait rien pour les motiver.

– Les caves coopératives devraient être des acteurs plus actifs (elles produisent 50 à 60 % des volumes !) mais ne sont la plupart du temps gérées par des hommes pas assez formés au commerce, à la gestion, à la délégation, au management, à la prise de risque, à la prospective… et surtout, surtout, à l’amour du vin. Elles devraient recruter plus largement, des gens brillants et mieux les rémunérer pour mieux les motiver. Mais être dirigé par quelqu’un « qui n’est pas du village », pour beaucoup, c’est impensable…

– Les vignerons-artistes, c’est ce qu’on fait de mieux en France, mais ils ne s’occupent bien souvent que d’eux-même, ce qui est déjà pas mal. On les utilise mal. Ils pourraient tirer toute la locomotive ou transmettre leur « vision », souvent en avance sur le reste du monde. Mais nous sommes en France, et on ne cherche, les hommes comme le système, qu’à les faire rentrer dans le rang, voire à leur mettre des bâtons dans les roues. C’est humain. Mais c’est triste.

Enfin, pour finir, parlons des viticulteurs, ceux qui ne se contentent de produire des raisins. On a sans doute les meilleurs du monde. Ils ont su s’adapter à toutes les contraintes, faire évoluer leur vignoble, sont compétents, très performants, plus productifs que bien d’autres, travaillent dur. Ils aiment leur métier mais n’aiment que celui-là. Ne leurs demandons pas de devenir industriel, négociant ou artiste. Ils ne le peuvent, ni ne le veulent. Pour eux, il faut trouver de nouvelles solutions, alternatives à la cave coopérative, dont les principes ont du mal à évoluer. La boîte à idée a intérêt à se remplir vite, car ils sont au bout du rouleau…

Ouf. J’ai l’impression d’avoir été un peu « professoral », ce soir. Je me demande bien pourquoi j’ai écris ça. J’espère que vous étiez réceptif, sinon, ça a du vous ennuyer… Demain, j’arrête de pontifier. Tiens, je mettrai peut-être une recette de cuisine. Ou une belle photo. Ou une citation amusante :))). On verra demain. Au lit !

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