Fonctionnaire un jour, fonctionnaire toujours…


Je reçois ce matin un recommandé de l’Onivins.

Le responsable du dossier, Monsieur Laurent Hanon, à qui je ne dis pas merci, m’informe que je dois rembourser les sommes versées par l’U.E. au titre des subventions européennes destinées au renouvellement du vignoble. Bon, 4 500 euros, j’aurais préféré m’en servir pour remettre en état un hectare ou deux de landes abandonnées ou remonter quelques mètres de murets, mais je ne vais pas en mourir. Surtout que depuis trois ans, ma situation financière s’est améliorée. A refaire, je n’aurais rien demandé bien que j’y avais droit. Mais c’est pour le principe que je me suis battu pour ce dossier et je trouve sa conclusion particulièrement édifiante sur ce qui se passe en France aujourd’hui dans le vin. Je vous raconte.

Il y a deux ans, excédé de ne pouvoir trouver des clones de qualité, j’ai planté trois parcelles, de grenache, de carignan et de cabernet-franc avec des sélections massales. Que n’ai-je fait ! Chercher plus de qualité, plus de diversité, bref, vouloir sortir du rang, ne plus être « mouton », vouloir faire des grands vins dans le Roussillon, voici qui, aujourd’hui, est impensable. Aucune tête ne doit dépasser, l’admistration veille.

Dans son premier courrier m’informant de ma faute (ne pas planter des clones, quels qu’ils soient, même le plus nul et le plus productif), l’inspecteur de l’ONIVINs m’informait le non respect d’un réglement européen.

Je me suis à l’époque tapé la lecture de tout ce fameux réglement européen, disponible sur internet, et j’ai tenté de défendre mon dossier. Voilà ce que je lui écrivais à l’époque. C’est un peu long, mais intéressant :


Monsieur A. Gouzon Onivins 22, rue de Claret 34700 MONTPELLIER

Monsieur l’Inspecteur, J’ai bien reçu votre courrier A.R. du 22 courant et je vous en remercie. J’ai pris connaissance de vos conclusions à la première lecture de mon dossier et je souhaitais vous faire part de quelques remarques, qui, je l’espère, vous permettront de revoir vos conclusions.

En effet, en préambule, je me permets de vous rappeller que l’article 17 de l’arrêté du 19 mars 2004 auquel vous faites référence vous permet «d’accorder des dérogations aux exploitants plantants en matériel standard».

Nous pensons être dans le cas où une telle dérogation pourrait nous être appliquée.

Nous souhaitions en effet planter du matériel certifié pour les cépages Cabernet-Franc, Carignan et Grenache. Hors, notre exploitation ne plante, vue la recherche de l’excellence dans laquelle elle est engagée, que des plants qualitatifs de niveau A dans la classification ENTAV/INRA, sur des portes-greffes très qualitatifs (3309, 101/14, 44.53 pour l’essentiel). Toutes nos plantations des années précédentes en témoignent. Hors, pour des raisons que je déplore et contrairement à des cépages comme la Syrah ou le Merlot, ne sont disponibles sur le marché en plants certifiés (source : catalogue ONIVINS ISBN 2-9509682-0-1) :

– que 1 variété (274) sur 11 classées B et C pour le cépage Carignan

– aucune variété classée A sur 4 classées B et C pour le cépage Cabernet-Franc

– que 2 variétés (136, 362) contre 7 classées B et C pour le cépage Grenache. A noter que la variété 362 est très récente et donc peu multipliée.

Vu le faible choix des clones disponibles, notre pépinièriste ainsi que les autres pépiniéristes interrogés n’ont pu nous fournir de plants classés A sur les portes-greffe souhaités. Je vous serais d’ailleurs reconnaissant si vos services pouvaient m’indiquer un pépinièriste ayant en multiplication de tels clones sur de tels portes-greffe.

Nous avons donc décidé de planter en plants standard et avont sélectionné pour cela les plus saines et les plus faiblements productives de nos vignes. Sur le Grenache et le Carignan cela nous semble le seul moyen de produire dans l’avenir de grands vins, typiques des terroirs du Roussillon et conformes à l’esprit même des AO.C que nous approuvons et défendons. Les deux contrôleurs qui ont examiné les parcelles vous auront d’ailleurs sans doute signalé l’état exceptionnel des plantations en cause, toutes plantées sur des densités biens supérieures aux demandes de l’INAO.

En ce qui concerne l’état sanitaire, ils vous auront sans doute signalé l’absence totale de viroses et la parfaite vigueur des plants, ce qui n’est pas le cas, malheureusement sur d’autres parcelles plantées en plants certifiés que nous observons, y compris sur nos propriétés, issus de pépinières peu recommandables et que nous savons par ailleurs être très surveillées à l’heure actuelle par vos services. Pour information et dans l’esprit de la Loi, les plants de Cabernets-Francs proviennent de la collection personnelle du Château l’Église-Clinet, l’un de plus grands Pomerol de la planète, et sont le résultat de plus de 15 ans de travail et de sélection de la part de monsieur Durantou. Ils ont tous passés avec succès le test Elisa.

Tous ces efforts n’ayant pour but que de produire, à des rendements ridicules, de très grands vins, fierté de leur région, exportés avec succès dans le monde entier, créateurs d’emplois (7 personnes sur 23 ha en production cette année) et sculpteurs de paysages.

N’est ce pas l’esprit même du réglement CE 1493/1999 que votre courrier m’a permit de découvrir et dont la lecture a été pour moi pleine d’enseignements ? Non sans surprise, j’ai été stupéfait de voir que dans son préambule comme dans de nombreux articles, trop longs à citer ici, il défendait «une politique destinée à assurer la stabilisation des marchés, l’assurrance d’un niveau de vie équitable, une politique de qualité, une adaptation à l’évolution de la concurrence, l’encouragement du secteur à être plus compétitif, l’expérimentation viticole, etc.». Ce réglement vous donne de plus «un large pouvoir d’appréciation». Nous espérons que ces arguments vous inciteront à user de ce pouvoir d’appréciation afin que,dans l’esprit de la loi, vous encouragiez le Languedoc-Roussillon à affirmer ses différences, imcompatibles avec des planations en clone C sur SO4.

En espérant que ce courrier vous permettra de ré-examiner votre décision, je vous prie de croire, Monsieur l’Inspecteur, bla, bla, bla.


Je vous passe le détail des textes, mais ils sont parfaitement explicite : chaque pays a d’abord une large marge d’appréciation; il est très précisément indiqué que, en cas de manque de matériel certifié ou dans des cas particuliers, une dérogation est possible.

A la suite de ce courrier, le sieur Gouzon me répondit qu’il avait trouvé, « en faisant travailler ses services », 1 ou 2 pépiniéristes en France qui dupliquaient des clones classés A et que je n’avais qu’à me débrouiller pour m’en procurer chez eux. Qu’il fallait prévoir à l’avance. Et que donc, je pouvais m’assoir sur ma prime. Depuis 8 ans que je cultive de la vigne, il y a eu pratiquement un plan de restructuration chaque année, toujours différent. Moi, je dois prévoir à 3 ans. L’Etat, lui, peut changer d’orientation chaque année. C’est comme ça.

J’ai essayé d’argumenter au niveau national, mais sans même, à ce niveau, recevoir de réponse. De toute façon, c’est monsieur Gouzon qui décide. Et on ne peut le déjuger. Fin du débat ou tribunal administratif.

Il ne s’agit pas ici de critiquer la Loi. Mais bien de constater que certains fonctionnaires, aujourd’hui, qui devraient, s’il l’on y pense, être au service des entreprises, considèrent en réalité les vignerons comme des ennemis. Monsieur Gouzon, Monsieur Hanon, vous aviez la possibilité, le réglement européen et français vous en donnait pour une fois le pouvoir et le droit, de faire un autre choix. Mais non, vous préférez rendre cette prime à l’Europe et, de ce fait, de plus, dans certains cas, avoir une amende… Mais la consigne, c’est la consigne.

A deux pas de nous, en Italie, en Espagne, des amis vignerons me donnent des exemples ou les fonctionnaires font tout pour aider leur vignerons à progresser, à réussir, à dominer le marché mondial du vin et… à obtenir les primes que l’Europe leur propose. L’U.E. y finance des centaines de caves ultra-moderne, des milliers d’hectares. Ici, nous sommes des parias, des fabricants d’alcool honteux. Prendre une responsabilité ? Un risque ? Chez certains fonctionnaires ? Vous n’y pensez pas… Pourtant, en réalité, je n’emploie pas 7 personnes aujourd’hui, mais bien 7 personnes + 2 ou 3 fonctionnaires, payés grâce aux taxes et impôts sur mon travail, sur mon talent, sur la valeur ajoutée que je crée et aux devises que je fais rentrer en exportant 65 % de mes vins. Ces même fonctionnaires, au lieu de m’aider à créer plus de valeur, s’acharnent à me mettre des bâtons dans les roues, à me freiner, à me restreindre.

Je ne voudrais pas généraliser. Autour de moi, depuis le début, j’ai rencontré parfois des fonctionnaires exceptionnels, aux douanes, à l’Inao, à la Safer, dans les comités et syndicats, au conseil général, qui, individuellement, ne comptent pas leurs heures ni ne fuient leurs responsabiltés.

Mais ce cas, je pense méritait d’être conté.

P.S. : pendant ce temps, notre matériel végétal unique s’enfuit aux U.S.A, en Australie ou en Afrique du Sud. Pendant ce temps, on plante la même vigne, les même clones, dans toute la France, niant ainsi la formidable diversité du vivant. Et la plupart des primes de restructuration serviront cette année à planter des clones B ou pire, C, ultra-productifs, beaucoup encore sur SO4, le pire des porte-greffe mais le plus vigoureux. Sans que personne ne trouve rien à redire. Ne nous plaignons alors pas, dans 10 ans, des vins médiocres que nous produirons à coup sûr, sans pouvoir les vendre. Triste époque. Mais qui se souviendra du nom de M. Gouzon, depuis lontemps à la retraite, responsable mais pas coupable…

Bon, c’était long, technique, mais j’espère intéressant. Bonne journée à tous.

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