Mon mur, notre mur, votre mur


Vous ai-je dit que nous avions beaucoup de murs ? Je ne sais pas combien, en fait, mais au bas mot plusieurs milliers de mètres linéraires, sur souvent plus de deux mètres de hauteur.

Ce ne sont pas des murs qui séparent, qui enferment. Peut-être devrais-je les appeler « murettes ». Pour moi, ils évoquent d’avange un avatar masculin. Alors, je vais dire « muret », si vous le voulez bien.

Ils sont tous en pierres sèches, c’est-à-dire sans liant, sans ciment, sans béton. Ils ne sont pas décoratifs par destination, mais le sont devenus au fur et à mesure que les bulldozers les ont fait disparaître, au fil des démembrements et autres « schémas directeurs ».

Ils ont un usage agricole très précis. Soit ils retiennent la terre, afin de pouvoir cultiver une pente qui devient ainsi un peu plus humaine. Soit ils servent simplement de « réservoir » aux milliers de tonnes de pierre que des générations de vignerons ont sortis des parcelles les plus ingrates, afin de pouvoir en tirer leur subsistance.

Avant la plantation, une charrue défonceuse, tirée par quatre puissants chevaux, libérait de leur gangue de terre des milliers de pierres de toutes tailles et de toutes formes, faisant immanquablement penser à la récolte de pomme de terre. Une grande planche, de bois ou de métal, passait sur la parcelle, tirée par un autre cheval. Toute la famille, derrière, jetait sur la planche, en fonction de son âge, de sa taille, de sa force, les pierres que chacun pouvait porter. À la barre à mine, les hommes dégageaient ensuite les plus grosses, souvent des « pépites » de 300 ou 400 kilos. Parfois, une plaque de roche-mère obligeait à laisser la terre vierge, créant au milieu de la vigne ce ce que l’on appelle poétiquement une « lune ». Plus tard, la dynamite rendit bien des services…

Une fois au pied du mur (là où on voit… le pied du mur, comme dit l’humoriste ;-)), les plus habiles utilisaient les plus grosses et les plus plates pour monter les parois, les choisissant à l’œil, les palpant de la main, les tournant et les retournant sur leurs sœurs afin de leur choisir une place qu’elles ne devraient plus quitter pour les siècles des siècles. Puis, derrière ou au milieu, on essayait d’empiler le maximum de cailloux. Un mètre carré, sur une petite murette de 60 à 80 cm de profondeur, c’était déjà plus d’une tonne de cailloux déplacée et réorganisée… Quand on voit qu’au clos des Fées, on en a des centaines de mètres, certaines faisant trois mètres de haut et trois mètres d’épaisseur, on se dit que la volonté et le courage des vignerons d’avant, cela devait être quelque chose.

Chaque année, chaque labour ayant libéré de nouvelles pierres, il fallait augmenter la hauteur des murs. Au bout d’un certain temps, bien sûr, ce n’était plus les mêmes mains, la vigne ayant changée de maître, au gré des ventes ou des successions. Sur les murets, on peut alors lire ou sentir, si l’on est attentif, les différentes « époques » de construction. Des vies y sont racontées, des « caractères » inscrits. L’un était plus adroit, l’autre plus patient. L’autre, encore, voulait montrer sa force en installant en haut de la murette des cailloux d’un poids qui force le respect. À Vingrau, l’on construisait en posant les pierres horizontalement. Certains étrangers, peut-être et donc formés ailleurs à d’autres techniques, ou quelques créatifs talentueux, choisissaient de changer de méthode et de les serrer l’une contre l’autre, mais verticalement.

En se promenant entre les vallées, si la pierre conditionne bien sûr beaucoup l’apparence finale du muret, on peut repérer, en étant attentif, les tours de main et les techniques des uns et des autres. « Là, ce mur, là, celui-ci, c’est le même qui l’a construit, j’en suis sûr… » Quand ? En combien de temps ? Dans l’urgence ou en prenant son temps ? Dans la fierté de construire un « monument » qui lui survivrait ou dans l’urgence du quotidien ? Personne, jusqu’à présent, n’a pu me le dire. Le mur, s’il me parle, ne s’embarrasse pas de ce genre de détails. Parfois au bord de l’écroulement, ailleurs, au contraire, radieux, imposant, impérial, il se contente, si l’on prend le temps de lui donner un peu d’attention, de dégager de l’émotion. Toujours. Au point que je l’avoue, parfois, il m’est arrivé d’acheter une petite lande que je ne planterai jamais, juste parce que son muret était unique.

Bon, je voulais vous parler de la réparation des murs, et puis voilà, j’ai encore dérivé. Et bien cela me fera quelque chose à écrire demain…

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