L’AOC, tu l’aimes ou tu la quittes…


Je sais, je sais, le titre va encore faire jaser. Mais c’est vraiment ce que j’ai pensé, ce matin, en me promenant dans les vignes avec un photographe.

Homme charmant et sans nul doute photographe talentueux, il m’est envoyé par quelqu’un de la Caisse d’Epargne pour faire un article sur… ce blog. Et oui, pour une fois, ce ne sont pas des vins du Clos des Fées, dont on va parler, mais de mes élucubrations, de mes révoltes, de mes passions, de mon travail. Et de mes confitures. Ca, c’est bien ;-)).

Apparemment, pour certains, ce blog, c’est ce qu’il faut faire. Et d’autres artisans devraient s’en inspirer. Comment ne pas être d’accord… Toute passion est pour moi par nature même passionnante et du boulanger au menuisier, bien des artisans doivent avoir des choses à montrer, à expliquer. Bon, c’est une autre histoire et revenons à nos moutons ou plutôt à nos vignes. Au milieu d’une montée, mon regard est attiré par une vigne dans un triste état. Je vous montre. En gros plan.

Et dans les détails.

Pour ceux qui savent, les voilà déjà en train de grimacer. Pour les autres, voilà en réalité les ravages que peut causer l’oïduim lorsque l’on ne fait rien, ou pas assez, ou pas au bon moment, ou pas avec les bons produits (il semble y avoir en plus une brûlure phyto des feuilles…), ou pas avec le bon matériel. Enfin, cette vigne là, en language du cru, on dirait qu’elle est « empéguée », « emplâtrée », ou encore « farcie » d’oïdium. Je dois vous l’avouer, à ce stade, c’est irrécupérable. On a dépassé le stade ultime, et même le plus redoudable des produits de la chimie moderne de peut plus rien pour cette vigne.

Pourtant, cette vigne a « droit » à l’AOC. Parce qu’elle est née là. Parce que dans les vignes aussi, en France, nous appliquons le « droit du sol ». A la plantation, on vérifie ses coordonnées cadastrales puis l’Onivins, les douanes et l’INAO vous autorisent à produire l’AOC à laquelle elle a droit. Et, quoi que son propriétaire en fasse, quelque soit la façon dont il la cultive, quelque soit l’état des raisins à la vendange, la vigne a le « droit » de produire un vin qui, en l’occurrence, portera le même nom que le mien. Simplement parce que la loi, les réglements fondamentaux de l’AOC ne sont pas appliqués ou parce que, plus prosaïquement, les vignes ne sont presque jamais contrôlées. Parce que l’INAO n’a pas de moyens, ni humains, ni matériels. Parce que la Protection des Végétaux a deux contrôleurs pour toutes les cultures du département et que ceux-çi n’ont aucun pouvoir réel. Parce que les vignes ne sont pas suivies, pas contrôlées, pas sanctionnées. Parce qu’en fait, tout le monde s’en fout.

Pourquoi ?

Parce que la plupart des vignerons français n’ont pas, il me faut bien l’avouer ici, non sans tristesse, la « culture de l’AOC ». On la leur a donné. C’est un droit. C’est un avantage acquis. Mais de cet avantage, ils n’en ont pas conscience. Parce que c’est un droit aliéné à la terre, une terre qu’ils « exploitent » le plus souvent sans la chérir ni la protéger. Parce que c’est un « dû », pas une conquête. Parce que ce droit, ils l’ont acquis, la plupart du temps, trop facilement, sans avoir à lutter pour lui ni à s’engager réellement pour sa défense et sa promotion. Sans même qu’on ne leur en explique la valeur, la fragilité, l’importance.

Oh, je sais, me direz vous, c’est chez vous, dans le sud en crise, que le problème se pose. L’AOC, on vous l’a donné trop facilement, vous n’aviez pas la « culture » nécessaire… D’ailleurs, en zone « mixte », les vignes AOC ne sont pas ou guère mieux traitées que les vignes de vin de pays ou de vin de table… Certes. Sans doute, même. Mais que dire de la Bourgogne, qui désherbe allègrement certains grands crus encore plantés de clones indignes ? De la champagne, qui réclame à grand cris une augmentation de ses rendements pour les porter à 14 000 kg/ha ou qui pendant des années a répandu des boues urbaines pour économiser les engrais chimiques ? Du Bordelais, qui vient d’entériner le maintien des vignes larges et les faibles densités, uniquement pour que les gros tracteurs des exploitations mixtes puissent passer ? De la Provence, si fière de son nouveau droit à l’irrigation, où certains crus prestigieux installent en ce moment même, à grands coûts de dizaines de milliers d’euros, des « goutte à goutte » pour distribuer l’eau du canal du midi ? J’arrête. Il y en a d’autres. Partout. Nous, les vignerons, sommes tous « responsables », ne serait ce que parce que nous laissons faire. Mais bien sûr, personne n’est, ni ne sera pour autant « coupable », comme c’est la règle aujourd’hui…

Je sais, de quoi je me mêle? L’AOC, ce n’est pas un sigle de qualité, mais un sigle d’origine. De qui se moque-t’on ? Tout le monde le croit, que c’est un sigle de qualité. Et tous ceux à qui l’on apprend la mauvaise nouvelle, qui comprennent enfin pourquoi, sous le même nom cohabitent des vins merveilleux et des vins infâmes, ceux là disent, crient, supplient : faites de l’AOC un signe de QUALITÉ !

Non, ce serait trop simple. Trop risqué pour les politiques. Trop dangereux de dire simplement à certains : l’AOC, tu l’aimes, tu la respectes, ou tu la quittes…

Je déteste balancer ou critiquer sans tenter d’apporter des solutions. Alors, allons y. Aujourd’hui, plus de 150 millions d’euros sont apportés par les vignerons, simplement avec les droits de circulation, vous savez, la petite Marianne sur la capsule… Pendant ce temps, l’INAO n’arrive pas à boucler ses budgets et les agents s’épuisent à mettre à place des labels où l’on demande à ceux-là même qui produisent des vins indignes de s’auto-sanctionner…

Au lieu de réformer en permanence, et si, simplement, on appliquait la Loi tout en donnant les moyens à ses représentants de faire leur métier ? Un peu de cet argent que les vignerons donnent à l’Etat, pourquoi ne leur revient-il pas, pour les aider à remettre dans le rang quelques brebis galeuses et, par là même, à créer dans le futur plus de richesse grâce à de meilleurs vins ? Et si l’AOC était donnée ou retirée à des HOMMES et non à des morceaux de sol ? Et si l’INAO et l’ONIVINS (ce dernier fusionné réçemment avec les fleurs et les légumes, on croit rêver !) travaillaient main dans la main, au lieu de se tirailler dans tous les sens en permanence ? Et si les fonctionnaires locaux avaient un vrai pouvoir, sans devoir en permanence en référer à Paris, à tel ou tel ministre, qui n’a aucune idée de ce qui se passe sur le terrain ? Et si on leur faisait confiance, à ces représentants de l’Etat, en leur donnant des vraies responsabilités, en les poussant à les assumer, à coût d’objectifs, de carottes et de bâtons ?

Bon, j’avais l’esprit rêveur, ce soir. Je vous ai mis une musique en conséquence. Le bon J.S.Bach, me dit Hervé T, mon « maçon » si particulier, dont j’adorerai, un jour, qu’il écrive un blog, tant il a de choses à dire, l’a écrit, me dit-il, à la fin de sa vie. On « sent » la fatigue, la lassitude, la tristesse, le désespoir de quelqu’un qui sait la fin venir et qui l’accepte, ayant tout donné. C’est un extrait de la Passion selon Saint-Mathieu, et c’est l’irremplacable Kathlenn Ferrier qui chante. Je la dédie à René Renou, cette musique, un homme de bien, parti trop tôt, qui, sur sa tombe, mériterait de voir graver, entre-autres, ces quelques mots : « ci-git un homme qui respectait les AOC, les aimait et a tenté de les sauver ».

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