Rencontres


Court voyage en Suisse. Diner avec notre importateur. Dégustation professionnelle. Rencontres chaleureuses avec deux ou trois clients enthousiastes, qui sont en train de devenir des amis… En discutant avec eux, je me disais pas plus tard qu’hier que le vin, décidément, était un extraordinaire «briseur de barrières sociales».

Cela fait longtemps que je pense cela. En 1981, à peine sortie de l’adolescence j’avais remporté, grâce à une chance incroyable ce jour là, le titre si désiré de «meilleur jeune sommelier de France», dont le premier prix était un voyage aux USA. Encore élève à l’école hôtelière de Nice, issu d’un milieu modeste, je travaillais tous les week-end dans des auberges de la Côte d’Azur, comme «extra», et quelques soirs de la semaine dans un petit hôtel deux étoiles NN du centre ville, comme veilleur de nuit. Grâce à cela, j’avais pu quitter l’internat et louer un minuscule studio dans une rue du port de commerce, pas très reluisant certes, mais conforme à l’adage qui veut «qu’on est bien mieux dans un petit chez soi que dans un grand chez les autres». (Non, désolé, ce n’est pas ma grand mère qui disait cela, pour une fois ;-))

Immaginez alors ma stupéfaction en arrivant à Los Angeles, dans une suite du Beverly Wilshire (décoré d’une banderole de bienvenue et de drapeaux français, s’il vous plait !), après un transfert de l’aéroport en méga limousine avec antenne TV sur le toit… Puis ce fut cocktails sur cocktails, San-Francisco, New-York, où baladé de palace en palace par une attachée de presse qui ressemblait furieusement à Farah Fawcett, la star de l‘époque, un autre monde s’ouvrait à mes yeux de gosse. Hélas, (ou plutôt heureusement, me sermona ma mère ;-)) la fenêtre sur ce monde de luxe et de paillettes se referma bien vite, 7 jours plus tard, exactement, lorsque, tirant ma grosse valise sur le port de Nice après un trajet mouvementé en bus, je réintégrais le monde réel où les limousines et les porteurs sont plutôt rares ;-))

Bon, je m’égarre, comme d’habitude. Qu‘est ce que je voulais vous raconter… Ah, j‘y suis. Lors de ce périple innoubliable, j’étais accompagné par Gilbert Letort, président à l’époque de l’Association des Sommeliers de France. Un grand bonhomme. Un personnage. Un sommelier de l’ancien temps, comme on en fait plus. Très impressionnant, il portait sur son habit de sommelier, bien calé sur son gros ventre rebondi que tendait son gilet noir, un gigantesque taste-vin en argent, pendu à une énorme chaine aux maillons brillants. Un bon kilogramme, sans aucun doute… Cheveux blancs, souriant mais réservé, l’on voyait bien que le vin était pour lui certes un plaisir, mais un plaisir sérieux, un monde exclusif dont, à l’évidence, il était le seul à détenir les clés. Sommelier au Plaza, parlant anglais avec un délicieux accent à la Maurice Chevalier, c‘était un «Monsieur» que bien peu de monde, à l’époque, aurait eu l’arrogance de contredire. Quand il vous disait de boire du Bordeaux, vous buviez du Bordeaux. Quand il vous disait «Bourgogne», vous vous mettiez au Bourgogne. Les autres vins, à l’époque, il n’y en avait qu’une ou deux poignées sur la carte du Plaza… Mais c’est une autre histoire ;-))

Pourtant, pendant tout le voyage, ce monsieur si calme me sembla connaître tout le monde. Tous les puissants de la terre semblant heureux de le voir, chacun se battant pour l’inviter chez lui, qui pour montrer sa cave, qui pour avoir un conseil d’achat, qui pour partager avec lui quelques bouteilles dans je ne sais quel ranch du Texas, villa de Beverly Hills ou demeure somptueuse du Connecticut… Homme d’affaires, avocats, artistes, ambassadeurs, tous semblaient avoir dîné au Plaza, et avec eux, il parlait de vin, une langue que tous semblaient comprendre et apprécier, un sabir qui semblait posséder le magique pouvoir de rapprocher les êtres humains. «Do you speak Wine ? », semblait-il dire. Et tout le monde lui répondait «Yes !» avec enthousiame..

Depuis, je ne me suis jamais lassé de constater l’immense capacité du vin à rapprocher des hommes et des femmes qui, sans doute, ne se seraient jamais adressés la parole ou jamais rencontrés.

Aujourd’hui vigneron, cette fantastique opportunité de rencontrer des gens est toujours, pour moi, quelque chose de merveileux. Grâce au vin, à mon vin en l’occurence aujourd’hui, à chaque voyage, je fais la connaissance de nouveaux passionnés, des gens brillants et curieux (dans les deux sens du terme ;-)) que, sans cela, je n’aurais jamais rencontré. Un seul mot,un peu banal, me vient ce matin à l‘esprit : Super ! Ce sera le mot de la fin ;-))

P.S. : si j’ai le temps, dans la semaine, je chercherai dans mes vieilles photos pour voir si je n’en trouve pas une du cher Gilbert, trop tôt disparu. Une pensée pour toi, Gilbert, où que tu sois…

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