Un peu de mémoire


Où commence l’intime ? Jeudi, réunion avec quelques vignerons amis, autour de notre distributeur dans le Roussillon, le grand, l’immense, l’unique Olivier Reynal ;-)). Au programme, un bilan, des idées, puis un déjeuner amical, autour de bonnes bouteilles et de rires.

Discussion sur tout et sur rien, potins, nouvelles, état des travaux. Pas de nouveautés ni de mystères : quand des vignerons se rencontrent, ils se racontent des histoires de vignerons ;-)).

L’ami Henri l’Héritier me demande des nouvelles du blog, curieusement vide depuis quelques jours. Nous enchaînons sur les blogs en général, ceux du vin en particulier et finissons sur la notion d’intimité. Un blog est il un journal intime ? Parfois. Le mien dévoile t’il mon intimité. Je n’en ai ni l’impression, ni la volonté, mais il est certain qu’à travers 18 mois de billets, une part de moi-même, très personnelle, transparait sans doute. C’est bien, non ? On dira que c’est un journal intime professsionnel, si vous le voulez bien.

Et si vous le voulez toujours, on va le faire aujourd’hui un peu plus intime que d’habitude.

Le 11 novembre, je pense en effet beaucoup à mon Grand-Père. Je l’ai peu connu, pas assez à mon goût, et ne garde de lui que des souvenirs d’enfance. Sa carrure, impressionnante. Sa moustache. Sa bonhommie. Sa disponibilité à m’emmener, enfant, cueillir une fraise toute chaude au soleil de l’été ou chercher un brin de muguet dans le coin le plus sombre de son jardin qu’il aimait tant.

Léon Lile était militaire de carrière. Descendu de ses Hautes-Pyrrénées natales, il avait été commis épicier avant de s’engager dans l’armée et d’en sortir, des années plus tard, Lieutenant-Colonel, après toute une carrière dans l’infanterie coloniale et l’infanterie de marine.

Lontgemps après sa disparition, paisible et à un âge avancé, je suis tombé sur sa Légion d’Honneur, qui était revenue à ma mère. Dans la boîte, un extrait de son livret militaire.

Je vous le livre in-extenso :

 »Ordre Général de la IVe armée n° 246 du trente avril 1915. A fait preuve à l’attaque des tranchées allemandes au nord de Beauséjour d’une magnifique bravoure en pénétrant le premier dans la tranchée ennemie sous un feu extrêmement violent et en abattant les défenseurs à coup de revolver.

En marge, annotation de sa main : Champagne

Ordre Général du 1er Corps d’Armée Colonial n° 397 du 26 novembre 1915. Excellent chef de section. A lutté avec énergie contre l’ennemie retranché en 2ème ligne, le forçant à la retraite après un violent combat à la grenade et au corps à corps

En marge, annotation de sa main : Massiges

Ordre Général de la 6ème brigade n° 783 du 14 avril 1917. Officier d’élite ; au front depuis le début de la campagne. A, pendant les attaques de 1917, brillamment accompli la mission qui lui était dévolue ; en dernier lieu, a participé à la conquête d’une position occupée par l’ennemie et nécessaire à l’observation de notre artillerie ; s’était déjà particulièrement distingué aux attaques des 9 novembre, 12 février 1916 et 1er juillet 1916.

En marge, annotation de sa main : Somme

Ordre Général de la 54ème R.I.C. n° 106 du 18 août 1918. Lors d’un coup de main bulgare, a pris sous un bombardement d’une extrême violence les dispositions les plus judicieuses pour arrêter l’ennemi et l’empêcher de franchir les réseaux de point d’appui. A donné à tous ses subordonnés par son attitude un superbe exemple de calme et de bravoure, ce qui a permis à sa troupe bien en mains d’infliger un complet insuccès à l’ennemi qui a subi des pertes sérieuses.

En marge, annotation de sa main : Orient, bouches du Vartar ( ?)

Ordre Général de la l’I.D. 17 n° 12 du 6 novembre 1918. Officier d’une grande bravoure qui s’est distingué déjà à plusieurs affaires. Entraîneur d’hommes. A l’attaque du 15 septembre 1918 a manœuvré sa compagnie sous le feu des mitrailleuses et des canons lourds ennemis avec un calme parfait. A atteint tous les objectifs qui lui étaient fixés.

En marge, annotation de sa main : Orient, attaque de sept 1918 (suite illisible) »

En cette journée du 11 novembre, je pense très intensément à cet homme, toujours gai, toujours serviable, toujours attentif. Comment a t’il pu se remettre de tout cela, lui qui dirigeait une compagnie de tirailleurs sénégalais, ceux que l’on envoyait toujours devant, toujours en première ligne ? Quelle force de caractère ? Quelle chance aussi, d’avoir réussi à passer à travers tout cela…

Souvent, lorsque j’ai envie de me plaindre d’une broutille ou d’un petite contrariété, je pense à lui, à son sourire, à sa joie de vivre et d’avoir survécu. Et tout d’un coup, je me dis que je ne connais pas ma chance. Et j’arrête de me plaindre.

J’avais noté, il y a bien longtemps, une phrase des « Mémoires d’Hadrien » de Marguerite Yourcenar, un livre que j’avais adoré à l’époque. Tiens, il faudra que je le relise, un de ces jours. Il était écrit :

« La mémoire de la plupart des hommes est un cimetière abandonné, où gisent sans honneurs des morts qu’ils ont cessé de chérir ».

Léon, pas de risque que je t’oublie. Et où que tu sois, si tu me lis, respect et reconnaissance !

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