Défonçage


Je me suis longtemps posé la question « faut-il ou non toucher aux sols avant plantation ». Pour beaucoup, dont une « sommité » en la matière passée un jour à Vingrau, il n’en était pas question. A l’entendre, c’était même un « crime » pour le sol. Les divers horizons ont parait-il une façon particulière d’interagir entre eux, selon leur profondeur; bouleverser ce gâteau à plusieurs couches risquait à son avis de « modifier l’expression du terroir » ou « d’empêcher les micro-organismes de revitaliser la terre et d’augmenter la minéralité des vins ». Bon, bien que je n’ai jamais vraiment compris ce que tout ce que cela pouvait bien vouloir dire, j’ai essayé, en novice crédule et trop sûr de lui, de planter sans rien toucher ou presque. Triste résultat. Les sols sont peut-être respectés, mais les jeunes plants buttent sur la terre trop compacte, sur des cailloux calcaires impossibles à franchir, s’épuisent peu à peu et végètent. Du coup, on est obligé de tenter de fissurer un peu la roche à postériori, à la dynamite. Respectueux, sans aucun doute. Mais ni très malin ni surtout vraiment efficace.

Mes voisins, les 3V*, me l’avaient pourtant déconseillé. « Ici, il faut que la vigne s’enraçine, mon ami. Si elle ne plonge pas profond, dès les premières années, elle ne part pas bien. Et un enfant qui ne grandit pas bien, et bien ça devient rarement un adulte en pleine forme. Bon, il y a bien le Marcel, tout rachitique au départ et qu’il fallait voir jouer au rugby vingt plus tard. Mais le Marcel, c’était le Marcel, comme dirait l’exception qui confirme la règle ». « Attention aux cailloux, aux racines mortes, aux plaques de roche mère; une vigne qui va pas bien profond et pas bien haut, elle ne va jamais bien loin dans le temps. Si tu plantes pour vingt ans, c’est pas bien grave. Mais si tu veux des vignes centenaires, c’est pas la méthode qui convient ». « Ah, tu aurais aimé ça, toi : dans le temps, on défonçait les sols avec une charue tirée par quatre cheveaux, il fallait voir cela… ».

Bon, bien sûr, les 3V avaient raisons et l’expert mondialement réputé tort! Rien ne remplace l’expérience et le bon sens, le fameux savoir-faire, le tour de main de l’artisan, qui fait parfois le contraire de ce que lui dit le savant, mais obtient un résultat hors pair. Avoir plus de « minéralité », c’est sans doute bien. Mais quand il n’y a pas de raisins, il n’y a pas de minéralité. Alors, déjà qu’avec la minéralité j’ai du mal, avec la « non-minéralité », je vous raconte pas ;-)). Enfin, à sa décharge, l’expert, il avait sans doute raison ailleurs, mais pas ici. Trop sec. Trop caillouteux. Trop pauvre.

Alors, maintenant, on défonce. Une fois après l’arrachage, pour enlever toutes les racines qui manquent et qui maintiennent en vie les nématodes responsables du court-noué. Et même à la plantation, après plusieurs années de semis de céréales diverses et surtout variées. La terre est alors remuée sur plus de 70 cm (pas plus, c’est inutile, au cheval, on allait pas plus loin…), les cailoux fissurés et la vigne peut plonger vite et bien afin de chercher l’humidité. Depuis qu’on le fait, jamais on a eu d’aussi belles plantations et d’aussi bons vins sur les jeunes vignes, d’ailleurs.

La technique est simple : une charrue, un tracteur puissant, un sillon. Au bout du rang, le tracteur tourne et la charrue bascule, afin que l’autre soc se remette dans le bon axe et rejette toujours la terre dans le même sens. Au bord du sillon, toute l’équipe tire les racines et met à jour les gros cailloux, avant qu’ils ne retourne dans les profondeurs. On brulera les premieres, on sortira les seconds par la suite, à la main, avec une bennette acrôchée au tracteur. Ca ressemble à ça :

Dans le temps, c’était un moment d’entraide important et immuable. Selon la difficulté du terrain, le nombre de cailloux ou de racines, un homme ne pouvait et ne peut toujours guère travailler que quelques mètres. Il fallait donc être nombreux, car la charrue, en revenant, enterre tout ce qui n’a pas été mis à jour. Tous les amis venaient alors « donner la main », à charge de revanche. Et même les ennemis, parfois, car il s’agissait de la survie de tous. Allez, l’entraide, on en reparlera bien un jour, même si elle est pas au beau fixe en ce moment dans le mode en général et dans l’agricole en particulier.

Ah, au fait, c’est crevant… Heureusement, pour une fois, ce jour là, il faisait beau ;-))

  • les 3 V, ce sont les « Vieux du Village de Vingrau », pour ceusses qui n’auraient pas vu les épisodes précédents ;-))

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