Dans la série, « mon beau cépage », le Mourvèdre


Un de mes lecteurs me félicite pour mes « fiches cépages ». Et me demande expressément de me mettre au boulot, parce que ça lui sert drôlement. Cher lecteur, tu y vas fort, je trouve ;-). Un, je ne suis pas responsable de l’incurie de l’information sur le vin sur la toile; deux, comme dit ma femme, je ferais mieux de bosser au lieu d’écrire… Bon, ce dimanche, vasouilleux à cause de cet hiver bizarre qui ne ressemble à rien tellement il fait chaud, je n’ai rien trouvé de mieux ni de plus relaxant de chercher à te satisfaire, oh lecteur… J’ai donc posé sur ce blog deux ou trois choses que je sais du mourvèdre. Vu que c’est un des cépages préférés de Claudine, mon absence a été tolérée ;-). Du coup, j’ai aussi créé une nouvelle rubrique sur le blog, histoire de retrouver facilement les bavardages précédents. Voici donc deux ou trois choses que je sais d’un merveilleux cépage :

LE MOURVEDRE

HISTOIRE

Le Mourvèdre est un cépage typique des bords de la Méditerranée. La tradition veut que pour exprimer toutes ses qualités, il doive regarder la mer. Est ce cela qui explique sa parfaite adaptation au vignoble de Bandol ? Si l’on se penche sur l’histoire, rien n’est moins sûr. Car avant le phylloxera, le Mourvèdre était le cépage principal de l’ancien Conté Provençal. Son règne s’étendait de Nice à Montpellier en incluant quelques vignobles d’altitude aujourd’hui disparus qui couvraient une partie du Var et des Alpes de Haute-Provence. Les Provençaux le considéraient même comme un cépage autochtone tant il faisait partie de leur vie depuis toujours.

On sait aujourd’hui qu’il est sans aucun doute originaire d’Espagne, encore que l’on ignore comment il a gagné, depuis son pays d’origine, une grande partie des rivages de la Méditerranée. Plus précisément, il se serait diffusé à partir de la catalogne sud et son nom dériverait de celui de la ville de Murviedro dans la province de Valencia ou de celui du village de Mataro, près de Barcelone. En Roussillon, autrefois province et capitale du royaume des rois de Majorque, les Catalans le cultivaient de manière intensive en faisant remonter l’origine de sa culture à la colonisation Grecque et Romaine.

Malheureusement, le Mourvèdre disparut pratiquement du paysage viticole français après l’invasion phylloxérique. La société de l’époque exigeait du vin (les temps changen…), quelle qu’en soit la qualité, et il n’était pas question de s’encombrer à l’époque d’un cépage à la production capricieuse et à faibles rendements. Pourtant, le Mourvèdre donne un vin coloré, charpenté dont les tanins assez rudes s’arrondissent après quelques années de garde. Ces qualités ne sont pas nouvelles puisque à la fin du siècle dernier, le négoce était friand de ces vins « qui réunissent toutes les qualités de corps, de couleur, de vinosité et de goût, qui en font le vin parfait d’assemblage ». Et dans les domaines de Provence, à la fin du siècle dernier, les bouteilles, qu’on laissait dormir au fond de la cave en vue du mariage du petit dernier, étaient la plupart du temps, élaborées avec du Mouvèdre pur.

On en cultiverait à l’heure actuelle un peu plus de 7 500 hectares en France. Les plantations sont en progression, ce dont on pourrait en apparence se féliciter, sauf qu’il s’agit bien souvent de terroirs mal adaptés, de porte-greffe sans objectifs qualitatifs et surtout de clones modernes et très productifs.


PRINCIPAUX SYNONYMES

Mataron (Roussillon, Catalogne), Morastell, Monastrell (Espagne). Mourvède, Mourvès, Morvède, Mourvézé (Provence), Mourvégué (Alpes de Hautes-Provence) Bénada, Tinto (Vaucluse), Négré Trinchiera, Estrangle-Chien (Alpes-Maritimes),

« PETITE HISTOIRE »

Le Mourvédon, aujourd’hui disparu, était sans doute une variété très différente de notre Mourvèdre actuel. Certains auteurs pensent que c’était un proche cousin du Pinot Noir, adapté à la culture sous climats chauds. Dommage qu’elle est disparue.

ZONE DE CULTURE ACTUELLE

Le Mourvèdre est mondialement connu comme étant le cépage principal de l’AOC Bandol. Il est encore assez répandu en Provence dans les appellations Cassis, Côtes de Provence, Coteaux d’Aix en Provence, Côteaux des Baux de Provence, Coteaux Varois, Palette, Bellet. On l’associe alors à la Syrah, au Grenache, au Carignan et au Cinsault. Il est en progression, dans une moindre mesure que la Syrah, dans toutes les appellations du Languedoc (Fitou, Corbières, Minervois, Saint-Chinian, Faugères, Coteaux du Languedoc, Costières de Nîmes, etc.) du Roussillon (Côtes du Roussillon, Côtes du Roussillon-Villages, etc.) où il convient à merveille à certains terroirs de schistes en décomposition et aux terroirs de de la côte rocheuse où il est une des clés de voûte de l’AOC Collioure.

Il est encore très cultivé dans le nord-est de l’Espagne où il produit des vins remarquables (et encore très bon marchés, malheureusement bus localement ou exportés presque exclusivement vers les USA…), dont certains VDN d’anthologie, grâce à des sélections massales ancestrales. À la vitesse où l’Espagne arrache ses vieilles vignes, cela ne devrait malheureusement pas durer. Il commence à se répandre en Australie et serait, selon le distingué et bien plus savant que moi Pierre Galet, cultivé en Russie, dans le très ancien vignoble de Crimée. Ami Russe, si tu me lis, merci de confirmer ou d’infirmer ;-)

Évolution des surfaces cultivées en France (en ha) 1958 617 1968 857 1979 3 146 1988 5 608 1994 7 000 2000 A votre bon cœur pour trouver les chiffres à jour…


LES VINS

Le Mourvèdre produit des vins aromatiques, très colorés, puissamment tanniques, dont la structure n’est parfois pas exempte, comment dire, d’une certaine « rudesse ». C’est cette apparente dureté qui fait que certains dégustateurs le considèrent comme un cépage rustique, alors qu’il est capable de produire quelques-uns des vins les plus raffinés du monde, à condition bien sûr d’être égrappé, ce qui est pratiquement la règle aujourd’hui. Encore faut-il pour cela qu’ils aient été récoltés à parfaite, maturité, au risque de produire des vins secs et agressifs. C’est malheureusement encore très (trop…) souvent le cas.

Charmeurs pendant le premier mois qui suit le décuvage, les vins, qui méritent bien le qualificatif de « fantasques », ont une tendance à se refermer, à se durcir pendant toute la première phase d’élevage. Ce caractère est renforcé par un tempérament fortement réducteur qui rend son élevage délicat. Assemblé avec le Grenache, il compense d’ailleurs la tendance à l’oxydation de ce dernier. Une des secrets des grands éleveurs, que je dévoile ici, est d’intervertir les lies des deux cépages, cela suffisant souvent à modifier le cours de l’histoire (avec un petit h, bien sûr ;-))

Le Mourvèdre supporte cependant merveilleusement l’élevage sous bois, en barrique ou en foudre, voire l’exige. Il y acquiert une nouvelle dimension. Après quelques années de bouteille, les vins possèdent alors une distinction et une complexité qu’il est bien difficile, voire impossible, d’imaginer, lors des dégustations primeur. Ce cépage demande donc de nombreuses dégustations de millésimes anciens pour être vraiment compris. Devant un verre de pur Mourvèdre jeune, le dégustateur débutant gagnera alors à fermer sa grande bouche devant des dégustateurs plus expérimentés, sous peine de se voir « renvoyer dans ses buts » sans coup férir (c’est pas que je penses que vous manquez de vocabulaire, c’est pour ceux dont le français n’est pas la langue maternelle et qui sont de plus en plus nombreux à lire ce blog…) et de façon parfaitement justifiée ;-)). Les arômes de cassis, de myrtille, de violette, de réglisse, de thym, de girofle, de cannelle et de poivre sont alors remplacés par des parfums de truffe, de tabac de Virginie, de cuir, de bois de santal et de toutes sortes d’épices orientales. Un nez génial, en résumé…

Pour ma part, ce qui m’a toujours frappé, dans le Mourvèdre, c’est cette incroyable capacité à se transformer au fil des ans en un breuvage totalement différent de qu’il était au départ. Il est en cela semblable à certains êtres humains qui connaissent plusieurs périodes dans leur vie : vers 50 ans, ils ne ressemblent en rien à l’adolescent qu’ils ont été, souvent en bien, parfois en mal… C’était le moment « philosophie de comptoir », digression de choix que seul permet le blog ;-)). Un Mourvèdre jeune, noir comme de l’encre, réduit, ne faisant aucun effort pour plaire, brut de décoffrage, aux tanins qui m’ont si souvent fait pensé à un marron dans sa coque ou à un hérisson roulé en boule, charmeur par son côté rebelle limite voyou, et bien ce même vin, 20 ans plus tard, se transforme – quand tout s’est bien passé –, en une sorte de dessin humoristique du New-Yorker où l’on verrait un homme âgé, raffiné, dans une robe de chambre en soie, fumant la pipe dans un appartement bourgeois décoré avec goût ! Le nez de ces cuvées là fait alors parti des plus grands qu’il m’ait été donné de sentir, la bouche, en revanche, parfaite après 10 ans de bouteille, ne possédant que très rarement après 20 ans, ce « toucher » miraculeux qui caractèrisent les grands vins anciens. On ne peut pas tout avoir, quand même ;-).

Au vigneron, alors, de l’assembler afin d’en tirer toutes les qualités tout en compensant ses faiblesses. Au passage, c’est ce que j’ai choisi de faire ;-)

Bien cultivé et bien vinifié, le Mourvèdre est donc, indiscutablement, un très grand cépage et pourtant l’un des plus méconnu. Sans doute parce qu’il ne se laisse pas apprivoiser facilement. Pour s’épanouir, il lui faut un terroir, un climat et… un homme talentueux et aimant, qui se passionne pour lui et lui pardonne ses frasques. C’est un peu comme Yves Saint-Laurent à qui, lors d’un voyage en Russie il y a bien longtemps, on demandait ce qu’il fallait à la femme Russe pour être aussi élégante qu’un Française : « une petite jupe noire, un petit pull noir et… un homme qui les aime » répondit le couturier avec sagesse. Sacré Yves. Si tu me lis, il y a peu de chance, je le sais, respect et admiration. Bon, revenons à nos moutons. En plaine, en revanche, à rendement élevé (des sélections ont permis d’élever sa production de 25-30 hl/ha jusqu’à 50-70 hl/ha) et sur des terroirs inadaptés, il perd toutes ses qualités et devient, au mieux, raide, dur, et au final quelconque. Dans ce cas, mieux vaut alors abaisser la barre et se contenter d’en tirer rosé, souvent excellent au demeurant.


METS ET VINS

Un vin de Mourvèdre qui se respecte est alcoolisé, coloré, riche en tanins, rude, solide. Il demande plusieurs années de garde en bouteille pour s’épanouir et se bonifier. Jeune, dans les deux ans qui suivent la mise en bouteille, il charmera cependant ceux qui aiment les vins virils et corsés. Il a alors sa place sur des mets puissants, le gibier à poil en particulier. A ce moment de sa vie, il se prête volontiers à un combat avec un cuissot de sanglier, une épaule de chevreuil, un filet de biche. Il aime aussi la viande de bœuf grillée ou rôtie et une côte de bœuf ou un rostbeef ne lui font pas peur. Il adore le canard sauvage, le lièvre, le lapin de garenne mais ne rechigne pas devant un bon magret de canard. Les plats en sauce et le pot-au-feu lui conviennent moins car la dimension liquide de plats ne se marie pas à ses tannins encore sauvages.

À maturité, à partir de 6 à 10 ans de bouteilles, les vins sont en revanche parfaitement adaptés à ce genre d’exercice. Ils aiment alors aussi les pâtés et les terrines, le foie de veau ou de volaille, le gigot d’agneau. Au-delà de 15 ans, les arômes délicats d’épices et de miel appellent des mets plus doux et plus raffinés. Quelques côtes d’agneau, un poulet rôti, une dinde aux marrons, la cuisine indienne, un canard aigre-doux, le Mourvèdre dans son grand âge s’apprécie avec le sucré-salé et les épices ou mieux et plus simple, avec une recette simple qui respecte et magnifie les saveurs du produit.

PRINCIPALES CARACTERISQUES CULTURALES

Cépage de plaine ou de coteaux, voire de flancs de montagne, le Mourvèdre est un plant vigoureux, au port érigé, qui se conduit bien en gobelet sans palissage, bien que celui-ci lui fasse le plus grand bien, surtout dans les régions très ventées. Sa maturité, tardive, le réserve aux climats chauds car il est très exigeant en soleil et en température au moment de la maturation. Il supporte d’ailleurs très bien une relative sécheresse, bien qu’une alimentation hydrique faible mais régulière semble être la clé de son bon développement. C’est peut être pour ces deux raisons qu’on évoque à son sujet le truc de « la tête au soleil et des pieds dans l’eau »… Son débourrement tardif en fait un plant précieux pour les situations gélives (plaines, bas-fonds). Attention malgré tout car ses souches sont sensibles au froid hivernal trop brutal, ce qui fait qu’on est pas prêt d’en cultiver au Québec même si c’est le rêve de certains (ici, clin d’œil aux D.B. ;-)). Il doit être taillé court, l’idéal restant le gobelet à deux yeux par courson. S’il supporte le cordon, la taille Guyot ne lui vaut rien de bon.

Il fait beaucoup de végétation les premières années où un palissage pas très haut ou un échalas lui permettent d’endiguer une végétation souvent vigoureuse. Pendant la phase fructifère, le feuillage, peu nombreux, aux larges feuilles, doit être préservé. La production doit être faible sous peine d’un épuisement rapide des souches. Les grappillons, souvent assez gros, doivent êtres supprimés. En résumé, pour produire un grand vin, le Mourvèdre à mon sens, doit obligatoirement être travaillé en vert. Malgré tout cela, il est extrêmement irrégulier et produit du simple au triple selon les années.

Sensible au mildiou, à l’oïdium, aux acariens, à l’esca, aux cicadelles et à la pourriture acide, il résiste bien à la pourriture grise, grâce à l’épaisseur de la pellicule de ses grains ainsi qu’à l’excoriose.

Son degré de maturité est l’un des plus difficile à appréhender. Même bien mûr, les peaux semblent toujours dures, les anthocyanes difficilement extractibles, les pépins ne changent que rarement de couleur tandis que l’acidité ne semble vouloir jamais descendre. Pourtant, dès l’encuvage, tout change et le Mourvèdre, se révèle souvent sous un jour innatendu. Il reste malgrés tout l’un des cépages les plus difficile à vinifier, du moins pour moi, pour qui vinifier signifie : « comprendre le raisin, lui permettre d’exprimer tout ce qu’il a de mieux en lui sans jamais le contraindre à faire quelque chose qu’il n’est pas destiné à produire »… Pour les autres, je ne sais pas.


DESCRIPTION

Bourgeonnement duveteux, blanchâtre, liséré carminé. Jeunes feuilles pâles, tachées de rose par plaque. Feuille adulte vert mat foncé, de taille moyenne, aussi large que longue, entière avec parfois seulement une dent plus large ou à trois lobes en forme de lyre avec des dents moyenne, anguleuses. Face inférieure garnie d’une forte densité de poils dressés et couchés, d’un blanc grisâtre. Rameaux érigés, châtain clair, mérithalles courts ou moyens, non côtelés, entre-nœuds rouges.

Grappe moyenne, conique, fortement ailée surtout sur les clones actuels ; pédoncules courts, assez forts, colorés sur toute leur longueur ; grains moyens, réguliers, arrondis, noirs, bien pruinés et donc luisants ; pulpe fondante, juteuse, faiblement colorée, bien sucrée à parfaite maturité. Pour ceux qui n’y connaissent pas grand chose, je dirais que ça ressemble un peu au carignan, surtout au niveau des bois…

Cépage dit de troisième époque, donc tardif, il est réputé débourrer 13 jours après le Chasselas et mûrir 4 à cinq semaines après lui.

CLONES

Dix clones sont aujourd’hui agréés ENTAV-INRA. Ils portent les numéros : 233, 234, 244, 247, 249, 369, 448, 449, 450, 450, 520, 245, 248. Six d’entre eux sont multipliés de façon significative. L’un est classé D (valeur inférieure), 2 sont classés C (fertilité et poids des grappes supérieurs) 5 sont classés B (fertilité et poids des grappes moyen), et seulement 2 sont classés A (fertilité et poids grappes inférieurs), ce qui rend la tâche d’un bon viticulteur difficile. Une centaine de souches, en provenance du centre-est de l’Espagne, la zone la plus riche en matériel végétal, seraient en cours d’étude sur des sites expérimentaux et devraient donner naissance à de nouveaux clones plus qualitatifs.

Bon, avant la tradtionnelle gravure tirée de l’ampélographie de Vialat/Vermorel, si vous avez lu tout ça, vous êtes priés de vous exprimer dans la commentaires pour rectifier les conneries, pour donner votre avis, pour apporter des précisions sur n’importe lequel de ces points. Je compte sur tout le monde, et sur certains plus particulièrement… Ils se reconnaitrons ;-))

2 commentaires

  • Leo Saavedra
    02/04/2015 at 12:44 pm

    Moi aussi, je vous felicite pour cette fiche du Mourvèdre. Très complet, très sympa et illustrative!

    J’ai beaucoup d’intérêt pour en savoir plus de ce qui est passé à l’Haut Ampourdan, où au siècle XV le grand Francesc Eiximenis avait écrit, « le monastrell de l’Empordà » en faisant une listes des vins plus importants bus par la noblesse à l’époque. Mais après la phylloxera, ce cépage était presque disparu. J’ai lu souvent que ‘était parce qu’il ne greffait bien avec les portes-greffes jusqu’à la Deuxième Guerre Mondiale, mais aucune source identifie quel était le porte-greffe qui n’avait pas fonctionné, et lequel oui presque 60 ans plus tard. Est-ce que vous savez quelque chose à ce respect?

    Merci bien!

    Leo Saavedra

    • Hervé Bizeul
      02/04/2015 at 2:38 pm

      Désolé, pas d’info sur ce sujet…

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