Mon vin, ma bataille…


Je m’étonne toujours du récit paradisiaque que font certains vignerons de leurs vendanges. Tout ne semble que calme et sérénité, organisation parfaite, déroulement pépère et, si quelques interrogations persistent, on a l’impression que tout est orchestré à la perfection, que rien ne se passe mal, que rien n’est grave, que tout se passe « à l’ancienne », dans la convivialité et la bonne humeur. Ça donne des trucs du genre : « Aujourd’hui, nous rentrons ceci ou cela. R.A.S. »; « Sous un soleil radieux, cueillette de tel ou tel cépage, de telle ou telle parcelle »; « Début des fermentations, tout se déroule au poil »… J’ai parfois l’impression qu’il n’y a pas « d’enjeu » ni de pression…

Le Roussillon ne doit décidément pas être un endroit comme les autres ou alors c’est le Clos des Fées, ou c’est moi qui prend les choses trop au sérieux. Ici, les vendanges me font irrésistiblement penser, chaque année, à… un combat. Une succession de « batailles » qu’il faut « gagner » l’une après l’autre. A vrai dire, je l’avoue, il ne se passe pas une année sans qu’à un moment, dans ma voiture, je ne me dise que les vendanges, en tout cas ici, doivent être, sans bien sûr que cela puisse être comparable, ce qui s’approche le plus d’une… guerre. Bon, on enlève bien sûr l’adversaire, les morts et les blessés, la haine et tout le tintoin. Mais on garde tout le reste. La fatigue. Le vent. Le trop froid. Le trop chaud. La météo incertaine. Le travail en équipes qui, souvent, ressemblent à de petits « commandos ». L’importance de la stratégie, qui doit s’adapter au jour le jour à l’avancée des maturités et/ou aux possibilités de la cave, parfois en respectant une stratégie de départ, parfois en la bouleversant totalement, dans l’espoir de tirer le meilleur du millésime. L’intendance, avec les véhicules qui n’arrivent pas, tombent en panne, ne démarrent pas, crèvent et tout pareil pour les pompes, les égrappoirs ou les groupes de froid… Les douleurs d’un corps, plus vraiment jeune, sur lequel on « tire » sans assez réfléchir, et dont les vertèbres qui ne sont plus, mais alors plus d’accord, pour qu’on les traite comme ça. L’obligation de compter sur les autres, à tout moment, avec la certitude que la moindre défaillance de l’un des membres de l’équipe va gripper toute la machine, à la vigne ou à la cave. Le découragement, parfois, devant l’ampleur et la complexité de la tâche. Le doute, devant les décisions prises et leurs conséquences. L’incertitude devant celles qui restent à prendre. Les blessures, inévitables, même si elles ne sont (croisons les doigts…) jamais bien graves. Et la fatigue, encore, qui s’empile, comme les couches d’un lourd millefeuille, qui vous obscurcit l’esprit, pervertit votre jugement. Et le soir, l’émerveillement d’une douche chaude… On pense à Louis XiV, qui, tout Roi Soleil qu’il était, n’a jamais connu le plaisir d’une douche chaude à volonté… Le luxe, à quoi ça tient…

Je pense souvent à tous ceux, et j’ai l’impression qu’ils sont de plus en plus nombreux, qui rêvent de s’installer par ici et de faire du vin. C’est un peu comme le « miracle de la naissance ». Si on vous disait la vérité sur comment l’arrivée d’un enfant va bouleverser votre vie, votre quotidien, votre couple et vos nuits, je ne suis pas sûr que tout le monde se lancerait dans l’aventure. Mais chut… :-))))

Bon, je sais, cette pression, c’est un peu moi qui la mets, avec ma satanée philosophie de perfectionniste. Quelle idée, aussi, de vouloir faire de grands vins quand on n’a pas un beau château avec les vignes autour, bien rangées en carrés ou en rectangles, des bâtiments partout, de la place à en revendre et cent ans d’archives pour vous montrer la voie ;-). Quand on prend son garage de 160 m2, où l’on ne pourra bientôt plus rentrer un seau de raisin, pour un « chai », on ne s’étonne pas d’avoir de la pression. Quand on s’évertue à mélanger deux cagettes de telle parcelle avec dix d’une autre, dans un assemblage improbable qui, pourtant, aura, qui sait, ce « petit quelque chose de plus » qui provoquera l’enthousiasme et fera briller les yeux, on ne se plaint pas que c’est compliqué, surtout lorsque lesdites parcelles sont à 30 kilomètres à vol d’oiseau… Après tout, on les a choisies, achetées, remontées et on les adore. Alors, camembert… ;-)) Tout ça toujours avec l’idée que si je rate un millésime, je peux commencer à chercher un job de sommelier : (« Sommelier, plus vraiment jeune mais assez réputé dans les années 80, beaucoup d’expérience dans de nombreux domaines dont à la fois « enrichissante » et « ruineuse » dans la viticulture, cherche job, pas trop physique car problèmes de dos. Pourrait en revanche tenir le blog du restaurant ;-))

Bon, le week-end a permis de récupérer après une semaine de pure folie mais aussi de joie et d’excitation absolues, genre « Up and Down ». Mercredi, 6 ° le matin, 10 l’après midi, avec 100 km/h de tramontane. A Opoul-Périllos, à 400 m d’altitude, les vendangeurs ont été d’un courage qui leur vaudrait une citation à l’ordre du domaine ;-). Jeudi, grand soleil, limite trop chaud et journée très compliquée, avec je ne sais combien de déplacements pour vendanger des parcelles minuscules un peu partout sur Vingrau, Tautavel, Opoul… Premières neiges sur le Canigou, ce que je n’avais encore jamais vu en septembre. Vendredi, journée totalement déjantée, terminée à 23 heures par un grand nettoyage de la cave par une équipe qui titubait, aux mouvements mécaniques, semblant sortir directement d’un film de zombies (le grand zombi, c’était bibi ;-)… L’essentiel est fait, les raisins magnifiques, les premiers jus éblouissants. On va essayer de finir avant la pluie de mercredi. Etrange comme c’est dur de se remettre à vendanger lorsqu’on est les derniers, lorsque tout le monde a fini et vous regarde avec curiosité. Et toujours la question qui mine : ai-je pris cette année encore les bonnes décisions ?

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