Invité d’honneur (le premier et, je l’espère, pas le dernier)


Dans le Journal du Dimanche d’il y a deux ou trois semaines, il y avait un excellent supplément vin.
Pas seulement parce que l’on parlait de moi en bien, avec une merveilleuse photo du cirque de Vingrau ;-), mais parce que – et enfin ai-je envie de dire, c’était un numéro optimiste, qui nous parlait de tous ces vins français que l’on boit dans le monde entier, en faisant la fête, et qui sont encore « la » référence, pour ceux qui n’ont encore rien bu et n’ont pas honte d’être de joyeux ignorants avides de plaisir, comme pour ceux qui sont revenus de tout, assis sur leurs centaines de caisses de grands crus…

Parce qu’on n’y parlait pas, en se délectant comme le font tant et  tant de journalistes, de la « crise », des vins qui ne se vendent pas plutôt que de ceux qui se vendent; le malheur, c’est tellement plus « vendeur »…

Parce qu’on ne s’auto « flagellait » pas, à la mode bien de chez nous, sur les quelques % de mauvais vins (5 % ? Peut-être même pas…) qui ne trouvent pas de débouchés, mais de l’essentiel de la production française que l’on apprécie plus que jamais dans le monde entier.

Parce qu’on n’avait pas honte de dire que vu notre niveau de vie et surtout de son coût (celui du travail, bien sûr, mais aussi des engrais, des produits phyto,  des cartons, du verre, du transport, etc.), vouloir faire des vins à un euro la bouteille départ chai, c’est aussi impossible que suicidaire.

Et enfin qu’il n’y avait nulle honte à boire des grands vins, très bons, très rares et oui, souvent très chers, mais finalement pas tant que ça, vu que plus personne ne boit plus de 200 bouteilles par an… (comptez bien avant de poster un commentaire outré sur ce blog ;-). Et en tout cas bien moins chers que bien d’autres produits bien plus ridicules, pas « uniques » du tout quand on y réfléchit deux secondes et bien mois difficiles à produire.

Je me permets donc, avec son autorisation bien sûr, de reproduire sur ce blog l’édito de Nicolas de Rouyn, homme que je ne connaissais pas il y a un mois et que j’espère revoir à Vingrau dans les années qui viennent, même pas pour un article, mais pour le plaisir de boire un coup avec lui. Monsieur Nicolas de Rouyn, merci, c’était vraiment un numéro qui donnait le moral aux vignerons et envie aux consommateurs. Dommage que bien des buralistes ne fassent même pas l’effort de glisser le supplément dans le journal, comme je l’ai malheureusement observé… Pour ceux qui ne l’ont pas eu ou vu, en voilà donc au moins l’édito :

« Nos vins !

Les étrangers, c’est dingue. Ils nous ont tout pris. Nos fermettes à restaurer, nos places au soleil, nos femmes. Et nos vins. Nos vins ! C’est pire que les fermettes. Selon les domaines, 50 à 99 % de nos vins passent la frontière. Avant, on voyait revenir des bouteilles marquées de la contre-étiquette d’un importateur new-yorkais, “shipped by…” Il n’avait rien vendu, le bougre, et les bouteilles se retrouvaient sur les rayons des hypers à prix cassé. Le vin, lui, avait traîné des mois dans des containers sur les docks de NYC… Passons.

Aujourd’hui, ils les collectionnent, ils les boivent. Bref, ils se les gardent. Et, nous, les Français, on s’en passe. En plus, c’est à cause de ces gens-là si les prix montent à des altitudes stratosphériques. Très au-delà de nos moyens. Surtout avec nos habitudes de payer le vin à des prix tout petits. L’autre jour, l’un de ces malins qu’on croise dans les dîners me demande si je connais des vins à moins de cinq euros. Non, je ne connais rien de buvable à ce prix-là. Lui, visiblement, il en connaissait. Pas par cœur, mais il savait que ça existait. Moi, odieux : “au Chili, peut-être ?”. Aïe. Le voilà parti dans une diatribe comme quoi les vignerons français se foutent du monde, etc. La litanie des aigris, l’ennui qui engourdit, le dîner qui part en vrille, la maîtresse de maison verte.

Il y a encore des gens pour faire semblant de croire que la France est capable de faire H&M ou Zara. Erreur, les gars. En France, on sait faire Hermès, Dior et Vuitton. Est-ce dommage ? Le débat n’est plus là. Nous, c’est le luxe, pas la grande conso. Nos vins sont les meilleurs du monde et les plus chers (oui je sais, pingus, les vins de Gaja ou de Paul Draper, très bons, très chers aussi). Nous, c’est latour, la-Romanée-Conti, Cheval-bBanc, Ausone, la Turque et la Mouline… On en a combien, des grands vins ? Mille, deux mille ? Et le reste du monde ? Vingt, trente peut-être. On peut décider de ne pas dépenser d’argent pour boire du vin, on peut jouer les fins limiers pour dénicher d’improbables miracles, mais on ne peut pas accabler de reproches les bons du vignoble français. D’ailleurs, ils ne se plaignent plus, ils vont tout droit, ils n’ont pas de stock, ils n’arrachent pas. Ces petites entreprises ne connaissent pas la crise, tout est vendu. À l’étranger, oui, puisque les Français n’arrivent pas à se débarrasser de leur antique culture qui fait du vin un aliment de base quand il est produit de luxe. Tous, de l’empereur Magrez à l’artisan Bizeul, regrettent cet état de chose. Mais ils se battent au quotidien sur des marchés envahis pas des vins étrangers qui ne respectent aucune des règles de ce jeu et qui, eux, sont portés par leurs marchés nationaux. Et, chaque jour, tout seuls, ils gagnent la guerre avec leur excellence pour seule arme. Leurs bouteilles admirables, vous ne voudriez pas, en plus, qu’ils les donnent ? »

Nicolas de Rouyn, in JDD spécial vins, novembre 2007

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