Une bien étrange dégustation


J’avoue avoir longuement hésité avant de mettre en ligne ce que je vais vous raconter aujourd’hui. Mais bon, il me fallait écrire cette histoire. Et, une fois écrite, la révéler m’a semblé névitable…

Tout a commencé à Paris, il y a trois semaines.

Je déjeunais, d’une manière tout à fait imprévue, dans un restaurant Parisien des plus classiques et des meilleurs, fréquenté par le gratin des affaires, des médias et de la politique. Mon hôte, suite à un remarquable magnum d’Hermitage Chave 98 qui faisait lui même suite à quelques bouteilles qui méritaient que nous mettions notre foie en danger, évoqua en riant son rêve d’enfant de faire un jour une dégustation nu. Oui, nu. Pour voir si cela changeait les choses…

Rassurez-vous, il ne me regarda pas en lançant cette plaisanterie mais fit un grand sourire à la créature raffinée et sensuelle qui lui faisait face ;-). Nous changeâmes rapidement de sujet et le déjeuner, fort bon d’ailleurs, suivit son cours, les conversations aussi, sans que personne ne réagisse davantage à cette proposition quelque peu saugrenue.

Au moment de partir, parmi les derniers car n’ayant rien de spécial à faire avant 18 heures, et alors que je m’en voulais d’avoir oublié de commander des pommes soufflées, un de mes péchés mignons et une des spécialités dudit restaurant, un homme fort élégant, grand, mince, m’aborda au niveau du vestiaire.

– « Excusez mon audace, voulez-vous. J’étais à une table contigüe à la votre, et je n’ai pu m’empêcher d’entendre certains de vos bons mots. Je sais qui vous êtes, j’aime vos vins, et, étant parfois amusé par la spiritualité de votre blog (il insista sur le mot « spiritualité », me faisant bien comprendre les deux sens du mot…), il me semble pouvoir vous faire confiance ».

Il s’approcha légèrement pour me parler à l’oreille.

« L’idée de déguster nu, d’autres l’ont eue bien avant votre ami, voyez-vous. A votre air goguenard, j’ose croire qu’il y a encore quelques facettes occultes du monde du vin qui ne vous ont pas été dévoilées… ».

Tout en me parlant, il s’approcha encore, m’éloignant légèrement de la dame pipi afin qu’elle ne puisse écouter nos paroles. Il glissa alors d’un geste vif une carte de visite dans la poche de ma veste. Le temps de la récupérer et de trouver mes lunettes, il m’avait salué d’un aristocratique signe de tête puis s’était éclipsé dans une imposante voiture qui l’attendait, moteur allumé, devant le perron du restaurant, et qui démarra plus rapidement qu’il me semblait être nécessaire.

Sur la carte, figurait en lettre noire élégamment gravée à l’ancienne, l’étrange mention « Cercle Œnophile Naturiste Internationnal – Section de Libourne », suivit seulement d’un email@hotmail.fr.

Légèrement fatigué par nos libations, je souris, pensant à une plaisanterie.

De retour à Vingrau, je mis cette carte sur le petit tas que je me promets à chaque voyage de rentrer dans mon ordinateur, sans jamais en avoir le temps, et oubliais même d’en parler à Claudine, repris par le quotidien, ayant des choses bien plus importantes à raconter.

Deux semaines plus tard, dimanche matin, préparant à la hâte mon sac en vue de partir à Bordeaux, la carte glissa de sa pile et revint étrangement sous mes yeux, ravivant ma curiosité. Je me dis que je ne risquais pas grand chose à lancer un petit mail d’approche vers cet étrange personnage, pensant bien sûr recevoir en retour une quelconque proposition commerciale. Lui rappelant en quelques lignes notre rencontre, je lui indiquais en quelques phrases que je n’étais cette année que deux jours à Bordeaux et de plus passablement occupé. Je reçu en retour un message bref et précis : « Lundi soir – 18 heures – Devant l’Église de Pomerol – Venez seul ».

Lundi soir, à 17 h 45 précises, je garais ma voiture devant la pittoresque église de Pomerol, étrange monument posé au milieu de nulle part. A 18 heures précises, une voiture sombre passa une première fois devant l’église, me vit, fit un rapide demi-tour puis revint vers moi. L’homme était assis à l’arrière. Il m’invita à le rejoindre.

–  « Ne vous en faites pas, vous serez rentré à 22 heures précises et récupèrerez votre véhicule ici même. En attendant, puis je vous demander de jouer le jeu et de mettre ceci sur votre visage ? » Il me tendis alors un masque de soie qui ressemblait un peu à ceux que l’on vous donne dans les avions pour vous protéger de la lumière. J’étais là, j’avais accepté le jeu, il n’était plus temps de refuser de le jouer.

Nous roulâmes silencieusement pendant 12 à 15 minutes seulement, encore que, sous le coup d’une émotion bien compréhensible, je ne peux garantir l’exactitude de cette mesure de temps.

– « Nous allons déguster ensemble, en compagnie de quelques membres du cercle, si vous le voulez bien, quelques vins du millésime 2007. D’abord habillés. Puis nus. A tout moment, si l’expérience vous déplait, vous pourrez bien sûr l’interrompre et je vous ferais ramener à votre véhicule dans l’heure ».

Ainsi, c’était bien cela, l’expérience nouvelle et étrange à laquelle il me conviait…

Nous arrivâmes dans une allée de gravier et mon mystérieux guide me pria d’enlever mon masque. Nous nous dirigeâmes rapidement vers un petit bâtiment en pierre de taille, sorte de maison de gardien ou de relais de chasse. Nous étions près d’un chais, j’en étais sûr, dans l’enceinte d’un cru important, mais, de l’endroit où je me trouvais, je ne pouvais le reconnaitre, ce qui bien sûr était le but recherché. Il faisait noir, le vent soufflait en courtes rafales. Nous étions en haut d’une côte, mais laquelle ? Saint-Emilion ? Fronsac ? Impossible de me situer.

Nous rentrâmes dans l’élégante demeure. Au bout d’un rapide couloir, il y avait là une vingtaine de casiers que je reconnu vite être des vestiaires individuels. Remarquablement agencés, ils ressemblaient à ceux d’un Spa de luxe, tout de pierre grise et de boiseries au grain précieux.

– « Voulez vous s’il vous plait retirer vos vêtements, revêtir ceci et nous rejoindre dans la pièce d’à côté ? », me dit-il en me tendant une longue robe de toile blanche. Je m’exécutais, alors que mes pensées bouillonnaient. Dans quelle aventure m’étais je encore engagé…

Je poussais la lourde porte de chêne. Devant moi, une imposante table de bois, carrée, massive, au plateau très épais, où reposait sept demi-bouteilles, munies de petites étiquettes élégantes, marquées simplement d’un chiffre romain. A côté, quelques grands verres étincelants et une bizarre petite étiquette où il y avait marqué « Merci Riedel ». Bizerrement, cela me fit trouver la situation de plus en plus étrange… Autour de la table, debout, 6 personnes, discutant, toutes habillées de la même robe que la mienne, mais tous avec sur les yeux des loups de velours noir, sauf bien sûr sur les yeux de mon guide qui s’était lui aussi déshabillé entre temps… Il y avait un barbu, plutôt bon vivant. Un grand, très mince, avec des moustaches. C’est tout ce que je pourrais en dire. Ah, bien sûr, une femme, mais je ne le sus qu’après.

– « J’espère que vous excuserez ces masques. La première fois, c’est l’usage. Un jour, peut-être, vous dévoilerons-nous nos identités, si nous redégustons ensemble. Commençons, voulez-vous. Nous dégustons d’abord habillés ».

Je portais rapidement les sept verres devant mes yeux, mon nez, puis à ma bouche, les intégrant rapidement. Incroyable ! J’étais sûr d’en avoir au moins goûté trois le matin même. Sans hésiter, j’annonçais, crânement, en désignant les verres : « 2, Cheval Blanc; 6, Pétrus; 7, Ausone. Les autres, je ne les ai pas encore dégusté cette année. Ce sont tous des échantillons primeurs du millésime 2007 ». Mon hôte me félicita, d’un imperceptible sourire du coins des lèvres : « Je n’en attendais pas moins de vous. Peut-être demain reconnaitrez vous les autres lors de votre périple en Médoc. Allons maintenant ». Comment savait-il que j’allais à Pauillac le lendemain ? Il ouvrit prestement une porte et m’invita à le suivre à l’extérieur. En le suivant sur un étroit sentier, je me demandais quelle pouvait bien être l’entregent de ces dégustateurs mystérieux : comment avaient-ils pu sortir de propriétés mythiques des vins qui, d’habitude, n’en sortaient jamais, même pas sans doute pour Robert Parker lui-même… Où étais-je tombé…

Au bout de trois ou quatre cents mètres, le sol changeât, devenant plus ferme, et nous atteignîmes une série de grottes. En se baissant légèrement, nous nous retrouvâmes sur une sorte de terrasse, enchainement et dédales d’abris ou de refuges taillés à même le calcaire, à moins que ce ne soit l’entrée d’une ancienne carrière. Retaillée à même la roche mère, une énorme plaque de pierre, soulevée on ne sait comment ni par quels moyens, sans doute surhumains  vu la faible hauteur du plafond, et pourtant parfaitement calée sur deux pieds massifs. Elle était entouré de sept blocs de pierre lisse, que je compris être des sièges. Sur la table, à nouveau, sept demi-bouteille où figurait les mêmes numéros.

« Mettez vous à l’aise », me dit celui qu’il me faut bien appeler mon guide… Chacun enleva rapidement sa robe, ses sandales de cuirs, s’assit sur son rocher, et entama la dégustation.

Une heure plus tard, j’étais revenu à ma voiture.

Je ne souhaite pas en raconter d’avantage, mais sachez  simplement que ces quelques heures ont changé d’une certaine façon ma façon de percevoir le vin.

Vingrau, 1/04/2008

Laisser un commentaire

ABONNEMENT

Recevez les billets du blog dès leur publication. Et rien d'autre.

Archives