Garder le cap, relire Zénon, continuer à douter


Alors, voici donc que les vendanges approchent.

En fait, elles ont commencé. A la Chique, où le Cinsault ne gagne rien à attendre et où je m’essaye cette année au rosé. Petite équipe, mais déjà à fond sous un soleil de plomb et pas un souffle d’air. Les vendanges, c’est, franchement, physiquement éprouvant, et on comprend bien des choses sur le métier quand on les fait.

La semaine s’est donc passée à tenter de comprendre comment élaborer un rosé tel que je les aime. N’en ayant jamais fait, ce n’est pas une chose aussi facile qu’il y parait. De plus, la cave est orientée vin rouges, dans sa  conception comme dans son matériel. Les pressoirs sont donc sous-dimensionnés, les groupes de froid aussi. Avec philosophie,  il faut jongler entre ce que nous devrions faire, ce que nous pouvons faire, ce que nous essayons de faire, ce que nous croyons avoir fait et ce que nous faisons en réalité ;)

De la philosophie, il en faut aussi, lorsque, à la veille des vendanges, les guides sortent. Bien noté, mal noté, gentiment allumé, ils ne me sont cette année pas plus favorables que cela. Devrais je m’en plaindre ? Je passerai alors pour un aigri. Devrais les critiquer à mon tour ? Ce serait pire encore. A mon heure, je n’ai pas eu la main légère sur certains de mes confrères… Mais je pense avoir toujours fait la différence entre « un bon vin » et un « vin que j’aime ». C’est là l’essence même de la critique, à mon sens. On peut aimer quelque chose qui n’est pas en soi « bon », on peut aussi reconnaitre des mérites à un vin que l’on « aime » pas.

C’est toujours la règle dans le Bettane-Dessauve où les dégustations sont toujours comparatives, saluons le. Ceux qui n’envoient pas d’échantillons sont signalés dans le guide, et ce n’est que justice. C’est la seule voie pour que de nouveaux domaines obtiennent la reconnaissance qu’ils méritent. Si certains peuvent ou veulent se passer des guides, c’est désormais leur choix. Un guide très riche, qui continue sur Internet, mais je  ne suis pas encore allé voir. On saluera un 4 BD pour un vin du Sud, enfin, bravo à Marlène Soria. Bon, on peut toujours se moquer un peu des deux amis, qui, au final, conseillent souvent aux vignerons du sud de tenter de faire des vins du nord et montent sur l’Olympe ceux du nord qui, en grand millésime méditerranéen, arrivent à faire des vins du sud ;-)

Ce n’est pas la tendance cette année dans le guide de la RVF. Sous la plume d’Olivier Poussier et d’Antoine Gerbelle, qui tiennent désormais solidement la barre, les critères de sélection et de jugement changent brutalement. Clairement, le guide prend une nouvelle voie et le cap est mis sur la « minéralité » (employée à tort et à travers, sur chaque page, voire dans chaque commentaire, sans que personne ne comprenne, toujours, ce que cela peut bien vouloir dire…), tandis que les mots « acide », « fraicheur », « pierreuse », ou encore « clarté », « tonique » « léger », « finesse », « tension » et « élégance » sortent à tous les coins de notes de dégustations… Je résume : ceux qui aiment le raisin mûr, les vins colorés et les textures soyeuses, les vins de garde et le boisé bien maitrisé sont des ringards, qui ne comprennent pas que la « sous-maturité » est la seule voie à prendre désormais pour grimper dans le panthéon du guide vert…

On peut noter aussi que la réduction est désormais le critère absolu de qualité. Ne pas accepter de carafer plusieurs jours à l’avance certains vins en attendant que leur personnalité veuillent bien se dévoiler n’est pas un comportement considéré comme correct pour un buveur (fatalement solitaire, parce à plusieurs, c’est compliqué…). On notera aussi que si chez Parker, être né pour un vin dans le Priorat ou à Chateauneuf donnait 3 points de bonus ;-), ici, c’est les bio et les bio-D qui ont à l’évidence une prime. Ah, vous vous en doutiez, d’une manière tout à fait logique et cohérente, l’oxydation est une qualité dans de nombreux vins blancs que les auteurs montent au pinacle… Un guide d’auteur, ou la recherche du plaisir ne semble plus très importante…

En résumé, la concentration n’est donc plus le critère, bien au contraire, et on remarquera que les vins les plus simples, de soif, ont des notes parfois supérieures à des grands crus de garde… Pourquoi pas, après tout. La citadelle « Parker » est imprenable, tentons d’en construire une ailleurs, sur d’autres plans, avec une autre idée de l’architecture. Et puis, je m’efforce aussi de faire, avec le même plaisir, de « petits vins » et ceux ci sont eux au top de la notation dans le « guide des vins à petits prix ». Pas de quoi se plaindre, donc ?

Un peu, quand même.

Car une chose, sur la critique du Clos des Fées dans le guide vert, m’a interloqué : au delà de mon travail et de mes vins, que l’on peut aimer ou non, au delà même de ma personnalité, qui peut, je l’admets tout à fait déplaire ou déranger, c’est mes clients, que l’on critique et dont on se moque cette année, ce qui me révolte. En les traitant implicitement de « gogo », en qualifiant « d’amateurs », « naïfs » et « fortunés » , les clients qui achètent une bouteille de petite Sibérie sont donc définis : ce sont des c.. Pourtant, tous la goûtent avant de décider de faire ou non un choix… Et rien ne les y oblige donc…

On critique les vignerons, mais on se moque aussi, non sans mépris, et c’est nouveau, de leurs clients. Tout un état d’esprit… Bon, je vous rassure, cela n’est valable que dans le Sud, là où on a pas le « droit » de tenter l’aventure du grand vin. Ailleurs, bien sûr, les choses sont différentes. Un exemple, parmi tant d’autres, parmi les centaines de vins cités, tous deux, trois, dix  fois plus chers que la petite Sibérie : de l’avis des auteurs, par exemple, on est en revanche et sans aucun doute, un « véritable » amateur quand on s’offre un Clos d’Ambonnay, de Krug, sans bien sûr l’avoir goûté, privilège réservé à la presse dans un pince-fesse inoubliable,  » à la « complexité racinaire » (sic) et à « l’éclat frais et tranchant du fruit ». 2 500 euros, départ, 3 400 sur ebay hier. Mais on est en Champagne, alors, là, les amateurs sont forcément raffinés et avertis. Et puis se moquer de LVMH, ça peut faire mal. De Bizeul, c’est moins grave.

A part ça, en 2009, je m’approche quand même, et c’est curieux, comme chaque année, de ma deuxième étoile ;-) : « la deuxième étoile se rapproche à grand pas ». Bon, en 2008, c’était « le domaine est aujourd’hui plus proche de la deuxième étoile que de la première ». Et en 2007, « la deuxième étoile est proche ». C’est une amusante illustration du paradoxe de Zélon, vous savez, l’histoire de la flèche qui parcourt mathématiquement la moitié de la surface qui lui reste à parcourir avant de toucher sa cible, puis encore la  moitié, et ainsi de suite, sans donc, théoriquement l’atteindre jamais puisqu’il lui restera toujours la moitié du reste du parcours à faire ;-).  Gageons que ce billet ne m’en rapprochera pas d’avantage ;-) Bon, j’aime bien Zénon d’Élée. C’est lui qui a répondu, à la question « qu’est ce qu’un philosophe ? », « c’est quelqu’un qui a le mépris de la mort ». Je paraphrase, si vous le voulez bien : qu’est ce qu’un vigneron philosophe ? C’est quelqu’un qui n’a pas peur des journalistes et ne se laisse pas influencer par eux » ;-))). Ah, c’est Zénon d’Élée qui a dit aussi « il y a plusieurs mondes ». Dommage que certains croient toujours qu’il n’y a qu’un seul goût…

Eh oui, chers journalistes, je ne suis désolé de vous décevoir, mais non, je ne suis pas un « élève » de mon ami Gauby. Si vous passiez au domaine, vous le sauriez. J’ai pour lui admiration et respect. Il a ses convictions. J’ai les miennes. Nous restons amis mais je commence les vendanges quand lui les termine et cela nous convient très bien à tous les deux.

Voyez vous, avant de faire du vin, je croyais comme vous que le vigneron faisait ce qu’il voulait. Non, chers critiques, le vigneron, il fait ce qu’il peut, avec ses moyens, avec ses goûts, avec le climat de l’année et surtout avec son terroir, qui, en ce qui me concerne, n’est pas adapté ni aux gros rendements ni aux vins délicats et fruités, ni aux vendanges le 15 août de cépages qui ont toujours ici été vendangés en octobre.

Alors, même si continuer à faire les vins que j’aime me vaut de m’éloigner de toutes les étoiles de tous les guides du monde, ne comptez pas sur moi pour changer.

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