La peau des filles du Sichuan


Un titre un peu racoleur, de temps en temps, ça fait du bien… Le billet sera t’il à la hauteur ? Nous verrons.

Choix cornélien pour ma seule soirée à Shanghai : dégustation, avec la plupart des exposants et quelques clients « potentiel », au sommet du monde, avec remise des Awards pour la Chine de B&D China, leur nouvelle filiale dans l’empire du Milieu ? Ou plongée dans la réalité de la ville, à la suite de mon importateur, passionné ?

« Tu aimes manger épicé ? » Voilà un homme qui sait me parler. « Vraiment épicé ? » Banco, j’en suis…

Voiture, lumières, nous voilà dans un lieu assez réputé de Shanghai, où l’on sert parait-il une des meilleures fondues chinoises, Sichuan style. Ah, le Sichuan. J’irai, un jour, je l’ai déjà raconté ici, il y a longtemps, me faire piquer doucement l’intérieur des oreilles, dans un jardin de thé, anesthésié par le poivre fleur, comme me le raconta Gwen à mon premier voyage à SH… On est près du Tibet, la région est froide, humide, presque toujours dans la brume, mais on y mange une cuisine qui me parle, dont une des meilleures se goûte à Bordeaux, au Bonheur du Palais, avec de grands Gewurtztraminer vendanges tardives, glacés, pour calmer l’effet des fruits de l’arbuste, à la fois piquant, irritant et anesthésiant.

Là, c’est fondue chinoise, c’est à dire qu’on trempe des trucs dans un bouillon, et, à voir l’ambiance, je sens que ça va être quelque chose… C’est bondé, rempli de familles joyeuses, on est dans le réel, la vraie vie, celle que j’aime.

La table est mise et nous attend.

Fondue•Tout est pret

Alors, voyons voir. Autour de la marmite, qui commence à fumer, du boeuf, normal, du porc et de l’agneau, un peu plus rare, en tranches fines. D’autres trucs, dont il va falloir se résoudre, j’en ai peur, d’abord à demander le nom, puis à manger, tout en sachant pertinemment qu’il… vaudrait mieux pas savoir le nom.

D’abord, les baguettes, une partie fixe, une partie jetable, en bois. Malin…

Fondue•Baguettes

Le poivre du Sichuan est réputé pour accompagné les abats. Ah.

Donc, ce sera surtout fondue abats où c’est bien connu, the winner takes it  all ;-). On va tâcher de résister, mais je sens bien que sur ce coup là, je vais freiner vite fait…

Fondue•gros plan

 

A gauche de la marmite, une partie non épicée, un bouillon de poulet ou flottent champignons et aromates. A droite, le truc rouge, le chaudron de l’enfer : «tu vas voir, me dit Georges, au début, ça va, après, ça devient piquant. Mais pas comme dans le Sichuan, hein, là bas, ça pique vraiment ». Ah.

Devant chaque convive, un petit bol qu’on remplit d’huile de sésame, puis qu’on sature d’ail pilé, de persil chinois et de ciboulette. Désormais, c’est clair, je tiens LE billet du moins de mars…

Ca commence à bouillir et, à la première bouchée, ne voilà pas que j’ai l’impression qu’on m’a mis un grand coup de latte, mais à L’INTERIEUR de la bouche… On va la jouer collectif, me dit Georges et, après un tchin-tchin général à la bière et à la Chinoise, Maurice commence à plonger tout ce qu’il peut dans le bouillon, moitié dans le poivre en fusion, moitié dans le bouillon. Quand tu es en Chine, c’est bien connu, tu fais comme les Chinois, mais là, l’ambiance tourne doucement à un mélange :

– de la scène de cuisine des Tontons Flingeurs (un truc d’homme, faut le dire..)

– de celle dans le chalet des Bronzés font du ski, surtout au fur et à mesure qu’on annonce les accompagnements typiques. Je pense à vous, bien sûr, alors, je fais des photos. Presque de tout.

Plat de roi, me dit-ton, une sorte de fraise de bœuf, de l’intestin du milieu, on va dire… Pourquoi c’est noir ? Je sais pas. Pourquoi il y a un pétale de rose ? Je veux pas savoir…

Fondue•Intestin

A côté, de l’oesophage de canard… On en prend une délicatement avec ses baguettes, ça déroule tout seul. On dirait un peu un ténia, en fait… Je dis ça, je dis rien, j’ai jamais mangé de ténia, en même temps….

Fondue•Canard tube

Des pieds de canard, mais je cherche la photo… Ah, la voilà. En prime, mon nouvel ami Philippe Lejeune, du Château de Chambert, qui bien que marié avec une Chinoise, n’a pas encore eu le plaisir de plonger des pieds de poulet dans la potion magique et qui s’éclate autant que moi… C’est pas mal le pied de canard, surtout quand on aime le cartilagineux. Y aura t’il aussi des oreilles de porc ? Non, pas de soir. Dommage…

Chambert

Tu aimes les tripes ! Ton paradis est ici. Voici un morceau d’intestin de bœuf, aussi, mais, bien qu’ayant beaucoup écrit sur l’andouillette, voire filmé, j’avoue avoir un peu de mal à situer le morceau en question. Je pense quand même que c’est du colon, pas trop travaillé. De toute façon, trempé dans la sauce dont le piment, en chauffant, s’est totalement extrait, mais qui en plus a réduit et s’est donc concentrée, je ne peux même pas imaginer que ça ait encore du goût. C’est stérilisé par la chaleur et le piment… La texture, en revanche, je la sens bien… Autour de moi, tout le monde commence à transpirer. Manque la liqueur d’ail et on y est…

Fondue•Gros intestin

Bon, il est temps de se concentrer sur la suite. Je vous passe quelques détails, on attaque les légumes, soja germé, champignons divers, salade, un peu de verdure, ça manquait avant les crustacés… Les boules, c’est du soja souflé, frit. C’est sûr que ça manquait un peu de gras et, c’est le moment de recharger son bol en huile de sésame, pour graisser un peu tout ça…

Fondue•Soya pousses

On attaque donc les crevettes. C’est le vert, les crevettes. Le blanc, c’est le calamar… C’est rigolo, on se croirait un peu chez El Bulli, à la grande époque, s’il n’y avait pas le poivre : on déstructure la crevette, on la peint en vert, puis on fait de petites quenelles qu’on poche dans le bouillon, et hop on retrouve bien le goût. Super ludique en fait, mais ça demande une certaine technique. Georges, ayant bien perçu ma nouvelle passion pour la fondue Chinoise à la Sichuanaise, me propose de m’acheter des préparations toute faites, déshydratées, que je vais pouvoir ramener. Un peu d’eau, un feu vif, et à moi les soirée entre amis, à Vingrau.

Fondue•Crevettes

«Tu trouves vraiment ça épicé ? Tu plaisantes» me dit Georges. Maurice me raconte en souriant qu’à Chengdu, quand il fait des foires pour vendre du vin, il ne mange que ça, sans l’option bouillon de poulet, pendant des jours, en plus piquant. Cet homme est un saint… Un intestsaint…

Mais il y a les filles, bien sûr, les filles du titre… Pendant que je vois, effaré, sur les tables alentour, des enfants de 5 ou 6 ans se délecter de fondue à te faire fondre les dents, Georges me vante le charme et la beauté des filles du Sichuan, parait-il parmi les plus belles de Chine, dont la peau, douce et nacrée telle l’albâtre d’un oesophage de canard ou d’un calamar destructuré, doit tout à la consommation presque journalière de poivre de Sichuan…

Je comprends enfin pourquoi Liu Bei, le célèbre roi local, immortalisé dans les Chroniques des Trois Royaumes pouvait, parait il, voir ses propres oreilles… Le poivre du Sichuan permet bien des miracles…

Il ne reste qu’à boire avec gourmandise le bouillon de bœuf qui accompagnait les nouilles, il est temps de rentrer à l’hôtel, je pense. On a tout mangé… Il n’y a plus rien, même pas un petit pied de canard qui traine.

Fondue•Bouillon

Ah, non, Hervé, tu peux pas partir sans goûter le « pâté de sang de porc ». En Roussillon aussi, vous avez la culture du boudin ! Mais tu vois, ici, on fait un peu comme un flan au coco. Mais il n’y a que du sang, hein, et du sel…

Boudin

Bon, je voudrais bien, hein, mais honnêtement, j’ai plus faim…

Il est temps de rentrer. Et surtout de dormir, je suis totalement dans la fondue, euh, le potage. Dans la voiture, je rêvasse, à moitié anesthésié, en priant pour que l’intérieur de moi même ne me trahisse pas dans la nuit, à un scénario de comédie, où rencontrant lors d’un voyage une charmante jeune Sichuanaise, un jeune homme invite peu après ses parents à rencontrer la future belle famille autour d’une bonne fondue, au cœur de la belle province, ambiance campagne et double ration de poivre, parce que grande occasion…

Ah, Shanghai…

P.S. : pardon pour les calembours, c’est la fatigue. Ou le poivre…

2 commentaires

  • Gwen
    10/03/2016 at 11:13 am

    Ca y’est je l’ai lu ! Dommage que je n’ai pas partagé ce moment avec toi ! Ce restaurant a l’air plutôt pas mal, bien que pour les puristes, une vraie fondue du Sichuan doit être dégustée à Chongqing ou à Chengdu ! En revanche, j’ai trouvé à Shanghai récemment, un restaurant du Sichuan authentique (qui me rappelle mes jeunes années à Chengdu !) où il y avait de la viande de yack séchée absolument excellente ! Je pense qu’elle aurait été encore meilleure avec une vieille Syrah !!!

  • David
    23/03/2016 at 7:56 pm

    Ça fa du bien de lire ce billet pour se changer les idées après la barbarie qui nous a frappée de plein fouet hier à Bxl. On est à genoux, on a plié mais on a pas rompu. On ouvre une bonne bouteille et on partage, on se réconforte et on tente d’oublier un instant les images d’horreur qui nous hanteront pour le restant de notre vie.
    La playlist de ce soir, c’est Simple Minds: « Belfast Child » pour pleurer un bon coup et puis « Let There be love » pour se donner de l’espoir.
    N’oubliez pas de dire à ceux qui vous entourent que vous les aimez.

Laisser un commentaire

ABONNEMENT

Recevez les billets du blog dès leur publication. Et rien d'autre.

Archives