Vendanges 2020 – Veiller avec un frère


J’ai toujours vu les vendanges comme un combat. Une sorte de campagne napoléonienne, mais sans les morts, la douleur et le deuil. Un combat pour, pas un combat contre. Un combat joyeux. Un combat gourmand, celui que mène l’intendance, dont on perçoit l’importance sans jamais ou si rarement l’évoquer. Le combat de l’ordre contre le chaos.

Le soir, alors que mes forces se sont comme écoulées de moi, qu’elles se sont consumées comme le fait la cire d’une bougie, je me couche, frissonnant, m’enroulant dans ma couette, propre, enfin, pour me régénérer, dormir. Souvent, mes dernières forces me font ouvrir un des mes livres de chevet. Hier, c’était, le Manuel du Guerrier de la lumière, de Paolo Coelho. Étrange comme ce livre est arrivé tard dans ma vie, à un moment où j’étais prêt à l’accueillir. Merci A. C’est souvent le cas des livres qui comptent. Je l’offre, de temps en temps.

C’est désormais un peu mon Yi-King à moi. Mon recueil de Koan, ces petits contes Zen qui mènent parfois, dit-on, à l’illumination. On l’ouvre au hasard, une page vous aide à réaliser, à prendre conscience de quelque chose que vous saviez déjà. Et la même page, à d’autres moments de vie, pour d’autres que vous, peut ouvrir d’autres champs de conscience.

Hier, ce fut cette page : « Le guerrier de la lumière doit toujours garder à l’esprit les cinq règles du combat écrites par Tchouang-tseu il y a plus de deux mille ans :

  • La foi : avant d’entreprendre une bataille, il faut croire au motif de la lutte.
  • Le compagnon : choisis tes alliés et apprends à combattre à leurs côtés, car personne ne gagne une guerre tout seul.
  • Le temps : une bataille en hiver est différente d’une bataille en été ; un bon guerrier choisit le moment d’entreprendre le combat.
  • L’espace : on ne lutte pas pareillement dans un défilé et dans une plaine. Considère l’espace qui t’entoure et la meilleure manière de t’y mouvoir.
  • La stratégie : le meilleur guerrier est celui qui planifie son combat. »

Je ne peux vous donner meilleure définition des vendanges, de ce qui en fait le succès ou l’échec. La semaine est consacrée à la Chique, j’ai encore un peu de temps libre avant l’entrée dans le «dur». Je crois, non sans avoir conscience de ma naïveté et d’une bonne dose d’arrogance, avoir, cette année, suivi, enfin, les cinq règles de Tchouang-tseu, l’apôtre du si difficile – à comprendre comme à appliquer – «vouloir sans vouloir».

J’organise, en attendant, mes pensées dans un grand «schéma centré» mental, plein de couleurs, de formes, de flèches, de liens et je passe du temps, puisque j’en ai encore, au chevet de mes cuves de pinot, non pas near mais bel et bien close, regardant, fasciné, les grains éclater, le jus fermenter, plongeant ma main dans cette matrice chaude et pétillante, dans la vie même. Je ferme les yeux, le gaz carbonique éclate sur ma peau, comme le ferait un essaim de gara-rufa. Plonger son bras, jusqu’au coude, dans une petite cuve en fermentation fait partie des cents choses qu’il faut avoir fait dans sa vie. C’est d’une sensualité folle. Pour ne pas dire autre chose.

Journée intense mais délicieuse, illuminée par la visite d’un autre guerrier de la lumière. Nous avons parlé tapis, dont il est passionné, moi pas autant, mais je reste fasciné par la similitude de certaines trames de vin et de trames de tapis. Matières (soie, laine, coton), nombre de nœuds et de polyphénols, dessin et dessein, nous avons beaucoup parlé, surtout, de cette intention humaine qui seule permet la naissance du grand vin, celui qui possède ce supplément d’âme qui fait que vous pensez à lui comme – potentiellement – étant celui que contiendrait votre verre du condamné. Son vin à lui, il est sur ma short-short list, celle des bouteilles qui m’accompagneront, qui sait, un jour, en Suisse, lors d’un départ choisi et assisté, donc joyeux. Son passage fut un cadeau. Je sais qu’il me lit et rougit, car l’humilité est sa vertu première. Merci pour ces moments, mon ami.

Ce que j’écoute, au jour le jour, pendant les vendanges. Mais pas tous les jours.

Un commentaire

  • jacques rambaud
    06/09/2020 at 10:59 am

    Parmi les belles choses de la fin d’été, il y a ce blog des vendanges, multiple et foisonnant, les pieds dans la terre t le nz dans les étoiles. Merci pour tout ça, et la musique (parfois surprenante) et les vins!

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