Vendanges 2022 – Jour J+5 – Aller au bout de sa rangée


L’équipe s’est renforcée, on attaque les Cinsault de la Chique. Pas de vent cette année, cette fichue tramontane qui, certains printemps, ruine la floraison, voire arrache les jeunes grappes. Le vent dominant a changé, ici, et désormais, plus de marin que de tramontane. Depuis une semaine, on le sentait bien avec une sorte de chaleur moite, style «tropical humide», insupportable. Et, sur certaines parcelles et sur certains cépages un mildiou encore actif. Saloperie…

Jour couvert, plafond bas, un orage, qui sait, même quelques gouttes seraient merveilleux. La parcelle fait deux hectares et demie, les rangs 700 m et, je vous assure, sept cents mètres, quand tu vendanges, c’est très, mais alors très long.

Ce n’est pas trop la peine, la terre est toujours basse, le sol de cailloux roulés toujours traitre, les grappes sont grosses, le seau se remplit vite. Ca c’est la bonne nouvelle. La mauvaise, c’est que sur 700 mètres, si tu n’avances pas, si tu as la moindre faiblesse, les voisins te mettent cinq mètres, puis dix, puis vingt et là, ton moral s’effondre. Aller au bout, aller au bout, voilà ton mantra.

Cette année encore, des demandes d’amis, pour leur fille, pour le fils d’un cousin, 16 ans. «Courageuse, en études d’ingénieur, cherche un job d’été, un petit boulot sympa»; «16 ans, brave, un peu paumé, se cherche mais semble intéressé par le vin». Comment répondre sans vexer ? «Le salaire est maigre, même si le contrat vendange a arrangé les choses, les Roumains sont des durs à cuire, habitués aux fruits, aux légumes et puis ils n’ont pas le choix, notre équipe a la peau tannée, le muscle sec, le dos élastique, déjà rodé par les travaux en vert, on est au niveau national, au niveau performance, voire mondial. On bosse à fond, comme si notre vie en dépendait, on commence à couper alors qu’il fait encore nuit, on casse la croûte sur un caillou. C’est tout sauf une sinécure. Le meilleur moment, c’est la douche, le soir». Mais si on survit, si on va au bout, si on se dépasse, alors, on comprend pourquoi on doit à tous ceux qui travaillent de leurs mains, de leur corps, un respect absolu. En général, les jeunes n’acceptent pas. Je voudrais avoir le temps de materner, de forger des vocations, comme on disait dans le temps. Mais je ne l’ait pas.

Le Cinsault est magnifique, cette année, les grains sont ronds, rebondis, juteux, goûteux. On est à 13° degrés potentiel, pas un grain abimé. Je décide de son destin, une vinification courte, quelques jours de macération, pas plus, idéal pour un rosé frais ou pour Modeste, si nous poussons quelques jours de plus.

Je croque par gourmandise un grain volé sur une grappe passerillée dont la rafle a été cisaillée par le vent : elle a entièrement séchée, mais garde un peu de jus, les grains sont délicieux, sucrés, les notes «corinthe» m’envahissent.

les pépins aoûtés craquent sous la dent me ramenant instantanément en enfance, chez mes grands-parents, dans le grand jardin de l’allée des Camélias. J’ai quatre, peut-être cinq ans, mon grand-père détache en cachette de ma mère un raisin sec qu’il prend dans un étui de carton triangulaire; le raisin est vendu encore accroché à sa rafle, desséché, il y a une danseuse de flamenco sur la boîte, tambourin ou castagnette au bout des ses bras levés, souriante. Je souris, ma psyché qui ignore le temps et l’espace me reconnecte à mon âme d’enfant. L’orage gronde. Ah, s’il pouvait pleuvoir…

Au loin, telle sœur Anne, je ne vois que la luzerne qui poudroie et les oliviers, en souffrance, qui ondoient. Derrière l’étang, la mer. Ah, et l’usine d’Omya, ces tueurs de montagne sournois qui grignote mon calcaire…

En descendant, je croise un figuier qui m’attend pour notre rendez-vous annuel. Bien qu’en souffrance, il a décidé de faire le bonheur du cueilleur que je suis, avide d’amandes sèches et de figues craquelées au soleil. Rien à voir avec les fruits irrigués à outrance, la concentration est merveilleuse, les saveurs délicieuses, mais il reste du moelleux. Où prend-il l’eau ? Quel mystère que la nature.

Contre toute attente, je commence à frémir à l’idée du grand vin.

Je me trompe de «média» sur mon auto-radio, me connecte par hasard à mes MP3, un flament rose se présente, Christopher Cross termine de me rendre nostalgique. J’aimerai tant refaire du dériveur…

Ce que j’écoute, au jour le jour, pendant les vendanges. Mais pas tous les jours.

2 commentaires

  • Levavasseur
    18/08/2022 at 12:14 pm

    700 mètres !!! Mais c’est pas que pour la vendange que c’est… déprimant !!! Taille, ébourgeonnage, travaux en vert…
    Débranchez le cerveau, avancez, ne pas levez la tête…

  • Roger SICART
    18/08/2022 at 2:29 pm

    L’important est d’être bien chaussé…

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