Vendanges 2023 – J-7 – Frémir


Bon, débarrassons-nous tout de suite de ça : oui, présenter ce billet comme un billet de pré-vendanges est une forme de facilité. Les vendanges sont encore loin, la véraison se termine à peine sur certains cépages. Voilà donc un billet «préliminaire», ou même moins; comme un regard, un œil qui frise pour tester l’humeur de l’autre. Peut-on s’étirer le cerveau comme on s’étire un membre ? Sentir l’envie, si elle est toujours là ?

Le désir. Ah, le désir… Sexuel, de soleil, de nourriture, d’amour, de tendresse. Ce désir qui nous motive tous, nous anime et nous transporte. Le désir de faire du vin, le désir d’écrire, dans un format, le blog, qui n’existe plus ou à peine. Ah, pour ceux qui ne savent pas, Skyblog ferme ses portes le 21 août. Au plus fort du modèle, il hébergeait… 20 millions de blog.

Acceptons que la folie des blogs n’ait été qu’un feu de paille… Telle est la voie, comme dit notre ami le Mandalorian. Tiens, voici le mantra de ce blog de vendanges 2023. Je viens de le décider, hop, comme ça. Ça démarre fort.

Me voilà chaque année à nouveau titillé par ce désir de coucher sur ce blog mes aventures de l’année, mes angoisses de vigneron, mes rêves de « vins justes », populaires et jouissifs comme ceux de « jus plus ambitieux » , riches en choix autant qu’en sacrifices, qui garderont peut-être le souvenir de moi lorsque je serai poussière. Enfin, ça se sont mes amis qui le disent. Mes ennemis, qui, la plupart du temps ne m’ont ni jamais bu, lui ou vu, parlent « d’ego boursouflé » qui se pense « détenir la vérité ». Bon, eux ne font…rien, bien sûr donc, laissons-les se mettre la rate au court-bouillon tous seuls. Mon ami François Mauss évacuait d’un grand rire les « jaloux, hargneux et autres vindicatifs ». Tentons de l’imiter.

Je ne sais toujours pas pourquoi je continue à écrire. Un SMS de mon prof d’économie de l’école hôtelière fait remonter à la surface un souvenir perdu : la pyramide de Maslow ! Dans un de ses cours, il y a, il y a… non… 45 ans ! Il commençait sa carrière, me semblait si « adulte » pourtant. Me lit-il, au fait ?J’aimais ses cours d’économie, de gestion, du genre pratique, applicables à la vie réelle. Vite, une recherche, la voilà…

Physiologiques ? Non. Sécurité ? A deux semaines du démarrage, je commence à avoir des fringales impossibles à refréner. Je me gratte, tout d’un coup, la fosse cubitale (je vous laisse chercher, hein…) et le front, au-dessus de l’oeil droit. Ah, un pli de l’oreille tout d’un coup, droite. Puis la tempe. Tout mon corps somatise devant ce millésime qui s’annonce affreusement complexe. Vous avouer tout cela me soulage-t’il ? Que nenni… Appartenance ? Je ne sais toujours ni qui vous êtes à me lire, ni combien vous êtes. Estime ? De moi ? Parce que j’écris ? Ce blog m’attire au moins autant d’ennemis que d’amis, il est là, sort de moi parce qu’il le doit, en fait, je ne me suis jamais senti meilleur à la fin de la saison. Accomplissement ? Vous pouvez répéter la question ? Bon, Maslow, pour ce blog, ça ne fonctionne pas vraiment. J’écris parce que je DOIS le faire, comme un crabe doit muer, une chenille éclore. Le format quotidien m’oblige, l’idée que certains d’entres vous l’attendent, chaque matin, me fait sourire. J’avoue.

En ce début de mois d’août, je pourrais faire ma pleureuse, n’en doutez pas. Comme je le disais dans un post Instagram, certains vignerons sont comme les enfants, « ils apprennent à pleurer avant même d’avoir mal »… Je crois que tout le monde le sait, le Roussillon a soif alors qu’ailleurs on se noie sous des trombes d’eau dans un climat tropical humide où le mildiou est ravageur. Chez nous, le calibre des grains tend vers le petit pois, extra-fin s’il vous plait, avec un gros pépin à l’intérieur, tandis qu’à l’ouest beaucoup de vignes ont des grappes de plus de 200 g et qui n’ont pas fini de grossir. Au milieu, en Savoie ou dans le Jura, la grêle a tout dévasté. Drôle d’année.

Au final, nous serons ex-aequo : une demi-vendange. A peu près partout, sauf en Loire et en Bourgogne, apparement et bien sûr en Champagne qui va faire un « beau millésime » soit plus de 15 tonnes/ha de rendement autorisé. Bon, chez moi, les 2 tonnes/ha seraient un miracle, pour vous donner une idée. Ne nous moquons pas, on doit aux Champenois le peu de positif dans la balance du commerce extérieur entre bien d’autres choses positives. Mais bon, les vendanges sont encore loin et le dérèglement en marche. On ne vend pas un poisson qui est encore à la mer, comme on dit au Maroc…

Certains jours, je regrette de ne plus être journaliste, de vous raconter certaines choses que je vois, que j’apprends, que je sais et donc, désormais, le journalisme vinicole de terrain ayant disparu, dont on ne parlera plus. Grâce à Bourdieu, je sais que « l’endroit d’où on dit les choses est aussi important que les choses que l’on dit ». Me voilà en partie bâillonné, volontairement. C’est la vie, Lily.

En ce début d’été, et c’est historiquement une première ici, mes vignes souffrent au point que certaines sont à l’agonie, beaucoup de pieds ne survivront pas, voire des parcelles entières. Ca, c’est dit.

Est-ce une raison pour me lamenter publiquement ? Lancer une cagnotte ? Chercher une épaule compatissante ? Annoncer avant même la récolte que les vins seront rares et les prix en augmentation ? je ne crois pas. Ça me titille, bien sûr. Se lamenter, se faire plaindre, c’est si facile, presque naturel. Mon pauvre Hervé, quel malheur. Un billet sur Instagram et tout le monde, sincère, va se fendre d’un message… puis vaquer à ses occupations. Les billets où l’incendie léchait mes parcelles fut le plus vu et le plus commenté.

Ne comptez pas sur moi, c’est décidé. On va se la jouer à la Roberto Benigni et vous assurer que la vie est belle…

Je vais tenter (j’ai bien dit tenter…) de voir tout le bon qu’il y a dans cette situation, me rappeler sans cesse que le pire n’est jamais certain et que la plupart des vins légendaires, ceux des millésimes dont on parle toujours cent ans après, ont, pour la majorité d’entre-eux, été faits dans des millésimes catastrophe de canicule et de sécheresse. Alors, ne regardons qu’une chose : faire le plus grand vin de ma carrière est peut-être à ma portée. Même si ce pourrait être le dernier. Que m’importe alors les considérations économiques ? Je dois me focaliser là-dessus et seulement là dessus et, pour le reste, accepter.

Et chanter, vous entrainer, tenter d’être léger et po-si-tif, même si, bien sûr, il y aura de mauvais jours. La musique va m’aider, comme toujours. Au tombant de ma vie, je me dis que la musique aura été la meilleure chose qu’il me soit arrivée, qu’elle m’aura soutenu plus que tout autre être humain, que tout animal, me galvanisant dans ma joie, m’attirant au fond dans mes périodes de désespoir pour que, tapant du pied, je remonte vigoureusement et retrouve le sourire. A écouter Chopin joué par mon fils, le regret de n’avoir eu la « fibre musicale », le don de l’apprendre et d’en jouer, pour pouvoir la « percevoir » m’assaille, souvent. Lui la perçoit – différemment – aussi différemment sans doute que je perçois le vin, jouant Chopin, certes, mais me faisant découvrir Baby Keem, Knucks ou Tyler, The Creator…

Il y aura donc dans ce blog de vendanges un peu de tout, des photos de raisins et de paysages, de cuves et de barriques, d’hommes et de femmes en train de se dépasser, de grandes espérances et des moments de désespoir, de la philosophie bon marché et une playlist capharnaüm. Le tout plein de gaieté.

Partant pour une nouvelle saison ?

Ce que j’écoute, au quotidien, au jour le jour mais pas tous les jours…

La citation du jour, mais pas tous les jours…

Ne demande point que les choses arrivent comme tu les désires, mais désire qu’elles arrivent comme elles arrivent, et tu prospéreras toujours. Epictète.

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8 commentaires

  • SAMMARCELLI
    08/08/2023 at 9:48 am

    Bonjour Hervé , je me réjouis de ton blog . Peut être te souviens tu d’il y a très longtemps avec G. Colin , j’adore tes vins et ton humour , bon courage , amicalement. Maïté SAMMARCELLI .

    • Hervé Bizeul
      08/08/2023 at 10:07 am

      Gérard est toujours dans mon cœur et son départ m’a beaucoup affecté. Il n’était pas parfait, comme nous tous, mais brillant et unique. Heureux de renouer ce contact ! Amitiés, Hervé

    • Dworkin
      08/08/2023 at 4:52 pm

      Maïté, quel plaisir de vous lire!
      J’avais retrouvé Gérard en Chine dès 2010 et ai suivi ses périples !
      J’espère que vous allez très bien.
      Vous pouvez me trouver sur LikedIn
      Hervé, je te lis toujours avec un immense plaisir.
      Continue ta prose et surtout Bonnes Vendanges!
      Marc

  • Levavasseur
    08/08/2023 at 11:42 am

    Ahhhh je l’attendais ce billet, quel plaisir de vous lire…cette tenue de ne pas vous lamenter et de rester positif… certainement des qualités qui ont inspiré votre lignée pour persévérer dans l’apprentissage de la musique…un peu de Chopin dans les vignes???
    Bon millésime dans l’attente de votre prochain billet

  • Vincent ML
    08/08/2023 at 12:42 pm

    Quel plaisir de vous retrouver. Courage et au plaisir!

  • Roger Nesti
    08/08/2023 at 3:51 pm

    Bonjour Hervé. Ravi de voir que cette année encore ton blog accompagnera la saison des vendanges que suis depuis mon petit paradis de la côte bleue. Au plaisir de t’y recevoir à nouveau autour d’une bonne bouteille.

  • Frédéric Loison
    08/08/2023 at 5:32 pm

    Ouf … « les billets le retour » ! J’avais craint un instant un renoncement. GRAND MERCI HERVE et bon courage pour ce millesime hors norme dont nous allons suivre la gestation. Amitiés.

  • Jacques TACHET
    09/08/2023 at 8:45 pm

    Bonsoir Hervé , quel plaisir de vous lire à nouveau un verre de Modeste à la main . Vous êtes dans les starting-blocks alors que je suis devant l’océan breton par une très belle soirée d’été ( enfin !)
    Soyez quiet pour cette nouvelle récolte , ça va bien se passer !!!!
    Amicalement

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