Vendanges 2023 – Jour J-5 – Lutter


De l’extérieur, de l’autre côté du miroir, lorsque l’on n’est pas vigneron, ni maraîcher, céréalier, éleveur ou arboriculteur, on a du mal à imaginer combien les éléments sont contre vous, la plupart du temps.

Le climat, bien sûr. Les maladies. Les ravageurs, gros et petits. Tout le monde, en fait, veut récupérer son territoire, prospérer. Le vin, ils s’en foutent. Avant, j’étais comme tant d’autres. Je vivais dans un pays de bisounours, pensant que la nature était bonne (l’homme aussi, mais dans ma prime jeunesse…) et que travailler avec elle était la seule solution. Moi plus qu’un autre, en vrai (comme disent les jeûnes, je m’y mets doucement…). J’ai lu, enfant, «les trois solutions», d’Harry Harrison. Plusieurs fois, en fait. Oh, ce n’est pas un chef d’œuvre de la science-fiction, mais ado, ça m’a transporté dans un monde où l’homme n’est pas le bienvenu, où il lutte sans pitié contre la nature pour, au final, se rendre compte qu’elle ne l’attaque que parce qu’elle se sent attaquée, la planète ayant « une conscience ». Je vous spoile, mais ce livre n’a jamais été réédité, donc, introuvable.

C’est un des premiers, je pense, vrai roman écologique. Il y a bien un Franck Herbert, je crois, où des filles font des choses avec de grandes fleurs et leur pistil fort introspectif, mais j’ai oublié le nom. Pas la scène… Bon, j’étais ado, je vous le rappelle et on fantasmait sur ce qu’on pouvait. C’étais doux, innocent.

Bon, en fait, notre planète n’a pas de conscience mais cela. Empêche en rien au fait que tout le monde se ligue contre vous pour que vous lachiez l’affaire et laissez la nature reprendre ses droits.

Elle gagne ici, soit dit en passant, puisque le vignoble est passé de 72 000 hectares en 1935 (sans doute 80 000 avant le phylloxéra, que l’on avait particulièrement bien géré et qui a fait la fortune du département) à… 19 000 aujourd’hui. On va vers les 15 000 ha et à peine 350 000 hl cette année. On en produisait plus de 4 millions avant guerre, à la belle époque des Vins Doux. Nature, tu gagnes…

On le dit peu, mais l’essentiel du travail de vigneron consiste à comprendre, à modéliser ce que pourrait être un millésime « parfait ». Puis à tenter de faire en sorte d’aider la nature les autres années.

Parfois, en une vie, on en expérimente un ou deux, de ces millésimes où tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, en blanc comme en rouge. On ne lutte pas, tout se produit au moment où cela doit se produire, le débourrement, la fleur, l’eau quand il faut mais pas trop, le soleil quand il faut mais pas trop. Pas de maladie que l’on ne maitrise. Du beau temps pour les vendanges avec des nuits fraîches, le froid vite après, des fermentations rapides, des malo en suivant. Au final, des vins de légende dans une année, en plus, généreuse.

Connaitrai-je un jour cette année là ? Peut-être a t’elle eu lieu, ici ? Mais pays de serfs, vassal de Fonfroide, village perdu au fond d’une vallée encaissée, Vingrau fut toujours et reste un pays de pauvres, où l’on ne cherche pas à graver dans l’histoire sa misère, fut-elle simple et finalement joyeuse, m’ont toujours dit les vieux avec qui j’aime tant échanger. Pas de livre ici qui raconte les « millésimes du siècle », comme en Bourgogne ou à Bordeaux.

Ce millésime « parfait », je l’ai dans la tête, très précisément. Peu à peu, j’ai reconstitué le puzzle car j’ai tout vécu, je pense, ou presque, en 25 vendanges, mais… séparément, une année, puis l’autre. Cela me suffit pour finalement définir mon travail : essayer simplement, année après année, de corriger, avec douceur, en intervenant peu, en proposant plus qu’en imposant ce que ne me donne pas ou ne fait pas bien la nature cette année là. Bon, j’avoue, parfois, je tape du pied et je monte le ton, me montrant un peu plus « autoritaire » avec mes vignes ou mes vins. Mais c’est rare et ni l’un, ni l’autre, ne m’en veulent car c’est pour leur bien.

Cette année, comment vous dire. En faisant le tour des parcelles, avec Serge, j’ai grimacé…

Année sèche, donc, dès qu’on laboure, même léger, la poussière se colle sur les feuilles et deux semaines après, l’araignée rouge nous envahit. Il faut un compte file avec éclairage incorporé (à nos âges…) pour voir les bébêtes.

A l’autre bout du zoo, les sangliers sont déchainés. Ils sont des milliers (je n’exagère pas…) à se balader dans le département. La nuit, une lunette thermique aidant, vous n’en croiriez pas vos yeux : 10, 20, 50 parfois, là, taches rouges qui s’animent et boulottent déjà le muscat, précoce. Toutes nos vignes sont clôturées électriquement ou en fixe et il faut une personne à temps plein tout l’été pour changer les batteries et vérifier les entrées… Mais vu le climat, on tiendra pas.

Dans le moyen au niveau taille, les blaireaux semblent se sentir bien dans nos vignes. Ils passent sous les câbles électriques et tentent de s’installer dans la nuit.

Les lapins nous ont bouffé toute une partie de plantation. Pourtant grillagée. Une famille a dû s’installer et il va falloir les déloger. Comme si Serge n’avait que ça à faire la nuit. Comme tout le monde le sait, bien sûr, les crottes de femelle sont légèrement ovales, pointues à l’extrémité. Là, c’est un mec… Pas pour longtemps, civet au programme !

Les perdrix sont elles aussi à l’œuvre et commencent à grignoter les raisins au fur et à mesure qu’ils sont mûrs.

Voici donc, en moi, trois êtres qui s’affrontent, tel des anges de feu au combat : celui qui veut croire que la nature est bonne, douce, aimante et maternelle, que tout est connecté; celui qui voudrait ne jamais utiliser un intrant, un fusil ou un piège, danser avec les lapins et les faons comme dans un vieux Disney; celui qui doit faire le sale boulot, en essayant d’en faire le moins possible, de toucher ce qui empêche sans déranger le reste. Parfois dur à concilier, comme le disait si bien Saint Thomas d’Aquin (voir plus bas)

A propos de STA, l’art de la relique est passée de mode, on peut le regretter quand on sait que sa main est à Salerne, son crâne à Priverno et l’une de ses côtes dans la basilique d’Aquino.

Il y aurait sans doute un amusant travail de plasticien à faire, après ma mort.

C.F., si tu me lis… Dans du pourpre, du velours, du fil d’or et du bois précieux.

Des fausses côtes, hein. Je préfère préciser, les nouveaux lecteurs n’étant pas familiers avec mon humour parfois surréaliste.

Pourquoi attendre, d’ailleurs ? « Bizeul vend ses côtes… ah bon, Il est mort ? Même pas…» Je vois déjà les réactions.

Bon, minuit, je retourne chasser les méchants animaux. Je vous ai épargné les chevreuils , manger du cuisseau de Bambi n’est plus trop en vogue.

Ce que j’écoute, au quotidien, au jour le jour mais pas tous les jours…

La citation du jour, mais pas tous les jours…

Dans la vie, il y a trois choses importantes : ce que tu désires, ce en quoi tu crois, ce que tu dois faire. Elles ne s’accordent pas toujours.

Saint-Thomas d’Aquin.

2 commentaires

  • David
    15/08/2023 at 9:00 pm

    Un civet accompagné d’un vieille vignes

  • Damien
    18/08/2023 at 5:58 pm

    Le chevreuil c’est très bon tout de même! Bonne chasse

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