Vendanges 2023 – Jour J-1 – Se mettre en chemin

Je l’avoue, je n’ai jamais lu Péguy. Bon, je n’ai jamais non plus discuté de son œuvre avec quiconque. Je connais son engagement politique et religieux, son combat lors de l’affaire Dreyfus et j’aime cette citation de lui : « Il n’y a qu’un aventurier au monde, et cela se voit très notamment dans le monde moderne : c’est le père de famille ».

Ça fait un peu « Travail, Famille, Patrie », j’en conviens . Mais c’est une pensée forte et, même si je vais me faire étriller, il en reste.

Il est mort une balle dans le front juste avant la bataille de la Marne, où Léon, mon grand-père était aussi. Lui a survécu , à celle-là et à bien d’autres. Léon, merci. Sans ton courage, à la tête de tes tirailleurs sénégalais, qu’on ne laissait pas à l’arrière lors des batailles et DEVANT lesquels tu montais pistolet à la main, pas de blog parce que pas d’Hervé Bizeul.

Péguy m’accompagnait vendredi, en grimpant à l’assaut de mon coteau de pinot que nous allons commencer à cueillir lundi.

Yes, ça sent le départ ! Bien sûr, c’est par le Pinot Noir qu’on va commencer. C’est le cépage le plus précoce, l’année est chaude. On va en faire une partie.

Fier devant la beauté de la parcelle, excité par l’enjeu , je racontais à Serge la parabole dite « de la cathédrale ». Bon, je sais, elle n’est pas de Péguy mais serait bien plus ancienne. On s’en fout , elle est belle. Je vous résume :

« Se rendant à Chartres, Charles Péguy aperçoit sur le bord de la route un homme qui casse des cailloux à grands coups de maillet. Les gestes de l’homme, dépenaillé, sont empreints de rage, sa mine est sombre. Intrigué, Péguy s’arrête et demande :
– « Que faites vous, Monsieur ? »
– « Vous voyez bien », lui répond l’homme, « je casse des pierres ». Désespéré, le pauvre homme ajoute d’un ton amer : « J’ai mal au dos, j’ai soif, j’ai faim. Mais je n’ai trouvé que ce travail pénible et stupide ».
Un peu plus loin sur le chemin, notre voyageur aperçoit un autre homme qui casse lui aussi des cailloux. Mais son attitude semble un peu différente. Son visage est plus serein, et ses gestes plus harmonieux.
– « Que faites vous, Monsieur ? », questionne une nouvelle fois Péguy.
– « Je suis casseur de pierre. C’est un travail dur, vous savez, mais il me permet de nourrir ma femme et mes enfants. »
Reprenant son souffle, il esquisse un léger sourire et ajoute : « Et puis allons bon, je suis au grand air, il y a sans doute des situations pire que la mienne ».
Plus loin, notre homme, rencontre un troisième casseur de pierre. Son attitude est totalement différente. Il affiche un franc sourire et il abat sa masse, avec enthousiasme, sur le tas de pierre. Pareille ardeur est belle à voir !
« Que faites-vous ? » demande Péguy
« Moi, répond l’homme, je bâtis une cathédrale ! »

En substance, bien sûr, lundi, nous serions des bâtisseurs de cathédrale et non de vulgaire casseurs de cailloux, transportés par ce vin, 100 Phrases pour Éventail, qui connut la gloire dès sont premier millésime. Nous irions la fleur au fusil, toute l’équipe consciente de participer à une « œuvre ».

Patatras. Me voilà, alors que je cherchais l’histoire, face à une intelligence supérieure, celle de Philippe Silberzahn. Quelle claque… Je pense souvent que si j’avais l’occasion de refaire ma vie, je changerais une chose et une seule : je prendrais plus de temps pour trouver des maîtres et j’apprendrais avec eux. On apprend trop souvent avec les clercs, comme me l’a fait remarquer un jour l’ami R.F., et là, je suis tombé sur un maître.

Je vous laisse lire sa formidable analyse, qui, de plus, est bien plus proche de ce que je crois réellement, ce qu’est ma philosophie profonde : aucun terroir n’est plus noble qu’un autre, aucun vin ne devrait l’être, aucun raisin ne devrait être ostracisé.

Nous avons mis le même amour dans chaque geste, Modeste fait ma fierté tout autant que mes vins chers et il m’apporte autant de joie. Le sens vient du travail lui-même, ni du raisin, ni du caillou , l’amour, le soin, l’attention que le vigneron y met. Cette année Bruno et Céline auront mis trois mois d’amour presque exclusif sur cette parcelle, sans ego, sans prétention. Pied après pied, geste après geste. Ils auront puisé en eux le courage, surmonté la fatigue. D’autres, sur d’autres parcelles ont mis le même amour, le même cœur, la même fatigue, la même lassitude et se sont dépassés, physiquement et mentalement. A nous de transformer l’essai en cave.

Enfin, la Cathédrale… Même si j’en suis amateur et en ai visité de nombreuses, dire qu’elle serait « supérieure » à toute autre construction humaine est, il est vrai « une vision héritée de l’ancien régime, un régime d’ordre et de castes, de nobles et d’ignobles ». Evitons de reproduire certaines hiérarchies, continuons à admirer l’énergie qui les a inspirées.

Bon, tout est dans ce texte, ICI.

Inutile d’en rajouter, parfois, il faut juste être humble devant une plus grande intelligence et un plus grand talent que le sien.

Le pinot noir est mûr. Enfin je crois. Et je vais, comme Victor Hugo, écouter mon intuition.

Allons vendanger.

Ce que j’écoute, au quotidien, au jour le jour mais pas tous les jours…

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La citation du jour, mais pas tous les jours…

« C’est parce que l’intuition est surhumaine qu’il faut la croire ; c’est parce qu’elle est mystérieuse qu’il faut l’écouter ; c’est parce qu’elle semble obscure qu’elle est lumineuse. » Victor Hugo