Vendanges 2023 – Jour J+1 – Se déconstruire


Lever du soleil, extérieur jour. Je traine depuis une heure dans les vignes. J’étais là avant l’équipe, resserrée de vendangeur.se.s. Elle attend.

Comme me l’a expliqué un jour mon ami Jean-Michel, apôtre inspiré d’une biodynamie qui réfléchit, prendre son temps pour écouter ses vignes est important. Je crois pas à ce que je pense être une pseudo-science ésotérique, mais j’accepte que certains aient besoin de cette croyance, de cette foi, pour retrouver, simplement, les gestes vignerons. Comme je l’ai fait un jour avec lui (merci Ami, si tu me lis) je me concentre sur l’air qui me frôle, le sens du vent, les courants chauds et froids qui me traversent lorsque je passe à l’ombre d’un arbre ou quand je m’approche du ravin, à la végétation luxuriante. Au fond coule, parfois, un ruisseau. Mais les feuilles travaillent, exhalent de l’oxygène et re-larguent de la vapeur d’eau. Immédiatement, la différence de température et d’humidité me saisit. Entre les parties ombragées, fraiches et ensoleillées, chaudes, l’air circule. Encore faut-il prendre le temps de le percevoir.

J’avance, lentement, tous les sens en éveil, regardant la couleur des feuilles, leur tenue, leur vigueur; je les frôle du dos de ma main, en frotte certaines. Bien sûr, je leur dis, en pensée, que je les aime. Mais ça, je le fais tout le temps. Je leur dis merci de tenir ainsi l’épreuve, je salue leur résistance et leur courage. Bravo, aussi, de continuer à tenter d’emmener à terme leurs enfants, ces raisins dont j’examine la forme, le nombre, m’approchant au plus près d’eux, m’aidant souvent du zoom de mon iPhone pour voir leur peau, leur pruine, leur brûlure, parfois : il suffit d’un rayon un peu plus fort, un peu plus long et voilà, le raisin tombe au champ d’honneur. Chaque rafle, chaque pédoncule aussi. Mais, comme me l’a un jour fait remarquer Jean-Michel, j’écoute aussi les chants d’oiseaux et puis, aussi, autre chose de plus mystérieux, qu’il y a dans certains endroits et d’autres pas.

Je ne le fais pas sur toutes les vignes, humainement c’est impossible. Mais on est toujours sur le Pinot noir. Je doute, bien sûr. Je goûte les grains, examine les pépins, déchire les peaux avec l’ongle pour mesurer l’extractibilité des anthocyanes, goûte les jus, tente de mesurer sucre et acidité avec mon palais, la meilleure des machines, examine la pulpe autour du pépin, petites graines marron croquantes et grillées déjà bien aoûtées.

Et puis, là, tout d’un coup, je comprends.

Je vois mes chaînes et m’en libère.

Je me déconstruis, tout seul : plus jamais je ne subirai la dictature et les diktats de la maturité phénolique.

Un grain de pinot noir vient de me donner une leçon de vie. Je sais que je ne serai plus jamais le même. Ce que mon père, Maurice, qui détestait son prénom et se fit appeler Michel, apellait « une apparition de comportement ». Ceux qui me lisent et qui ont travaillé sur leurs trauma me comprendront. Ceux qui ont approché le Zen Soto aussi. On ouvre les yeux, tout d’un coup – l’esprit en fait – et l’on se rend compte que l’on faisait quelque chose sans en être conscient.

La cause ? Souvent un travail sur soi, lent et douloureux. Un évènement mineur, parfois. Une rencontre. Un livre ou une phrase, dans une voiture (pour toi, C.) et voilà, il y a un avant et un après.

Le Koan zen est le résumé de tout cela. L’histoire du Zen dit que, parfois, il permet l’illumination, l’éveil, le Satori, mot dont ma traduction préférée, la littérale est « compréhension ».

Un de mes préférés dit « l’homme regarde la fleur, la fleur sourit.».

Ce matin, c’est un raisin qui m’a souri.

Oh, je ne renie aucun de mes vins ni n’arrêterai de prendre en compte cette formidable avancée de l’oenologie. Le Clos des Fées 2018, goûté, savouré, partagé récemment, lui doit tout pour sa texture et sa richesse crémeuse, à cette satanée maturité phénolique.

Mais dans le pinot noir, elle n’a aucun rôle à jouer, en tous cas dans la recherche que nous menons Jean-Yves et moi-même, dans notre quête de ces Pinot Noir du début du siècle, ceux qui bouleversaient les amateurs et traversaient le temps, le tout alors que l’égrappoir n’avait pas été inventé et que le soufre était rare. Dans ce vin là, seul compte la recherche du moment de maturité parfait du raisin, celui où l’acidité est idéale pour qu’il reste une boisson charmante qui éclaire vos yeux et plisse d’un sourire le coin de vos lèvres. Les tanins, il y en a alors bien assez. Plus ? Mais pourquoi donc ? Cela viendrait dominer le fruit. La bouche doit avoir envie de la deuxième gorgée, le nez ne doit jamais être rassasié d’arômes et de fruit.

La stratégie de vendange pour ce millésime 2023 devient alors claire comme l’eau de cette source qui, m’ont dit les vieux du village, coulait au pied de la parcelle et que je rêve de retrouver : un côté seulement de la vigne doit être vendangé pour 100 phrases, le levant. Le couchant sera parfait pour Aimer, Rêver, Prier, se Taire.

La vie est parfaite. J’échange longuement avec Serge et Sylvère. On est en phase.

En avant.

Je mesure ma chance, ma liberté et appelle Jean-Yves, qui arrive demain : devant cette parcelle, nous sommes libres. Libre d’en faire ou de ne pas en faire, sans pression historique ni économique ni médiatique. Libre de n’en vinifier que le cœur, le haut ou le bas, ou de tout prendre. Libre surtout de ne pas avoir autour de nous d’autres vignerons ou un collectif envahissant qui nous dicterait un « ban des vendanges » moyenâgeux. Libres de chercher, de créer. Il me tarde de partager tout cela avec lui. Je ne suis pas que Vigneron, lui non plus. C’est ça qui est bien. Vivement demain.

Ce que j’écoute, au quotidien, au jour le jour mais pas tous les jours… Tiens, un peu de Scarlatti. Racha Arodaky, une autre âme libre, enfin je crois. En tout cas légère comme je le fus ce jour là. Une personne que j’aimerais un jour rencontrer.

La citation du jour, mais pas tous les jours…

«Une journée, une vie. » Koan Zen

6 commentaires

  • Levavasseur
    21/08/2023 at 11:31 am

    Peut être faut il encore plus d’arbres (feuillus) dans ce paysage caillouteux pour faire reveni la pluie et que coule le ruisseau…et même si, nous ne serons plus là pour le voir!!! Belles vinif pour ces pinot noir…

    • Hervé Bizeul
      21/08/2023 at 12:04 pm

      Le « paysage caillouteux », c’est du carbonate de calcium pur. La plus importante carrière en Europe. Planter sur la roche mère, comment vous dire… Trois hectares de vignes entourées de milliers d’hectares d’arbres sauvages et de garrigues, difficile de faire mieux. Enfin, le ruisseau ne coule plus parce qu’il n’a pas plus chez nous, pratiquement (150 mm par an) depuis deux ans. En climat pire que le Sahel, cela explique cela. Mais le ravin est rempli sur 30 m de hauteur de végétation et joue son rôle. Mais si planter trois arbres dans une parcelle, comme l’assurent ces bateleur de l’agro foresterie, nouvelle lubie, soyez certains que nous le ferons.

      • Stephany
        21/08/2023 at 1:40 pm

        Magnifique billet Hervé
        Merci

      • Marie-Caroline Malbec
        21/08/2023 at 2:04 pm

        Méditer ou parler à sa vigne, même énergie…
        Pas étonnant que tes vins soient aussi puissants que voluptueux quand on lit ces lignes. La complexité sans complexes, sinon rien… ce devrait être une de tes maximes, elle t’irait bien…

  • Pascal
    22/08/2023 at 3:20 pm

    Amateur de vin, ayant suivi des cours d’œnologie dans un club d’amateurs éclairés, amateur de belles histoires, j’admire votre billet, où l’on sent le sang de la vigne couler dans vos pensées, pleine de la minéralité du terroir. Merci pour ce moment hors du temps

  • Fabien Leduc
    22/08/2023 at 7:17 pm

    Mais ! Quelle intelligence, à la hauteur de la frustration de ne pas, nous en dire plus (trop?) sur quel cheminement de pensée ce raisin vous à conduit ? quel a été cet élément déclencheur permis par ce raisin du plus grand cépage du monde …de par sa grande modestie ?

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