Vendanges 2023 – Jour J+2 – Kiffer


Jean-Yves arrive, Jean-Yves est là.

Un petit dessin vaut mieux parait il qu’un grand discours. Ca marche aussi pour les photos ? Essayons…

Le vigneron est seul. S’il vous dit le contraire, c’est qu’il vous ment ou se ment à lui même.

Isolé au fin fond de la campagne, sauf exception bien loin des villes (et c’est tant mieux), il est hors saison, hors modes, hors événements, seul devant ses choix, même si il partage, écoute sa famille ou ses collaborateurs. Au moment des choix, il est même très seul. Alors, quand il est deux, tout d’un coup, il est heureux.

Oui, j’avoue, je kiffe comme un gamin quand Jean-Yves vient ou quand je monte en Bourgogne et je pense que c’est pareil pour lui. On échange beaucoup mais bien sûr on se voit peu. Beaune-Vingrau, c’est pas facile. Quand on vendra VRAIMENT cher, on s’achètera un petit avion, pour se voir, se balader, porter la bonne parole et la recevoir. Je rigole, je rigole, hein.

Comment vous expliquer… C’est bon comme… quand on allait dormir chez un copain, ado. Comme ce premier concert de Sade, à Paris et ma passion pour ses chansons qui ne meurt jamais. Comme un brugnon bien mûr, là, fin août, ou une tomate cœur de bœuf pleine terre, en gros quartiers, pelée, en salade, juste gros sel et huile d’olive, comme j’en faisais chez Jean-Pierre Coffe, à la campagne, il y a longtemps. Qui se souvient de Jean-Pierre Coffe, mon pauvre… Moi, mon ami, je n’oublie rien.

Tiens, voilà, Sade pour se mettre dans l’ambiance. Mon clip que je l’aime d’amour.

Dernier jour de cueillette pour le pinot. Quelle idée aussi de vouloir faire trois cuvées… C’est mûr, on a déjà cueilli pas mal, faut qu’on se décide sur la façon de terminer. On aurait pu attendre mais voilà, la canicule arrive et elle va être gra-ti-née. Le raisin, c’est comme l’estivant sur la plage : c’est la somme des températures et de la lumière qu’il reçoit le jour qui va décider de sa couleur le soir et de son besoin (urgent) de Biafine ou pas. Mais comment savoir ce qu’il reste en volume sur la parcelle ? Elle pousse, change, n’est pas la même que l’année dernière, on ne l’a planté que depuis dix ans pas depuis mille, alors on apprend. Mais là, on est dans le brouillard, surtout sur les volumes. Bon, la plantation, en Guyot, inutile d’attendre. On est rattrapé par la patrouille sécheresse et, en stress, les carences en oligo-éléments commencent à apparaitre, en particulier le manque de magnésium, caractéristique. On mettra des algues au sol cet hiver.

Tout le monde est content de voir Jean-Yves. Surtout Serge. Les deux plus savants que moi sur la culture fine de la plante, je les regarde papoter. Des histoires de vigneron, ça échange à 200 km/h… Jean-Yves est tout fier, il a repéré à 100 mètres une « jaunisse », un pied de Syrah en train de court-nouer. Du coup, j’ai fait la jolie photo, presque par hasard, mise en avant sous le titre du billet, sur la page de garde du blog.

De quoi peuvent-ils bien parler ? De vigne, de bestioles, de maladies, de géologie, de sangliers, et de renards, de soufre et de cuivre.

Pendant ce temps, je joue à « Trouve Bruno », un nouveau jeu que je viens d’inventer. « Toi aussi sauras tu retrouver Bruno le vendangeur caché sur la photo ? »

Je regarde le sol. Et m…. Un renard.

« Non, maitresse, le renard n’est pas carnivore. » Je l’ai appris de Noé, mon fils, convoqué un jour par la maitresse pour nous expliquer qu’on ne reprenait pas la maitresse devant la classe, même si elle racontait des conneries. Comment vous dire… Oui, mon fils, le renard est bien omnivore et je regrette de ne pas avoir eu « ça », à l’époque, à apporter en classe pour le prouver. Il bouffe pas que des poules, il bouffe aussi des fruits et semble particulièrement apprécier le pinot… Les preuves sont là. Irréfutables…

On partage tous nos impressions sur le millésime, la parcelle, le raisin. Et surtout on pèse les grappes pour tenter de voir combien on doit prévoir de cuves et de quelle taille. On est surpris. Il y a de tout. Désolé pour les photos, mais je ne savais pas qu’on pouvait pas prendre le poids sur l’écran lumineux et je n’avais pas activé le truc, là, le live.

Donc, en résumé, les grappes sur les cinq premiers pieds font quand même plus de 250 g. Soit à peu près la norme apparement en Bourgogne, cette année, même sur les grands crus, tellement il a plu. 8 à 12 grappes par pied à 10 000 pieds/ha, ça va être dur de faire 30 hl/ha… Je dis ça, je dis rien. Mais si on vous dit qu’il y a peu de récolte pour justifier une nouvelle augmentation, ce sera gonflé. Comme les baies. On suivra l’excellente (et honnête…) Claire Naudin sur insta pour en savoir plus sur le sujet : @clairenaudin.

Sur quelques souches, rares, un peu plus vigoureuses, on est autour de 150/160g.

L’essentiel des grappes oscille entre 80 et 120g. Parfait pour un pinot très fin, issu d’une des plus belles sélections massales possibles. Idéal. Tiens, bizarre, j’ai à nouveau le poids. Faut que la surface soit droite et lisse, peut-être ?

Chacun ouvre « calculette » sur son tél, on compte, on calcule, on compare. Et là ça plombe l’ambiance. Ca me fait penser à la vieille blague des galériens, en train de ramer sous un soleil de plomb. «J’ai deux nouvelles», hurle le garde chiourme, entre deux mesures pour marquer la cadence; « la première, double ration de rhum pour tout le monde ». Les cris de joie montent. « La deuxième, le capitaine veut faire du ski nautique ». La récolte est plus généreuse que prévue (le rhum), la journée va être longue, très longue (le ski nautique). Et très chaude.

On est qu’une poignée, on a emmené les cavistes, Léna qui devrait être au bureau, mais on est vraiment pas beaucoup. Les tuniques bleues à Fort Alamo. On aurait dû en couper un peu plus hier, on avait le temps. Mais on voulait attendre Jean-Yves. Accepter ce qui ne peut être changé, donc. Il est 9h, la température monte déjà. La journée va marquer tout le monde au fer rouge. Pas assez de nourriture, pas assez d’eau, puiser au fond de soi pour avancer, jusqu’à la fin, un pied après l’autre alors que tout vous dit d’arrêter. Un exploit. Merci, merci. Merci. Peu de métiers demandent autant de conviction et d’engagement.

Je suis les premières caissette à la cave. Toujours un peu de grappes entières, mais là, il va falloir aussi égrapper le reste, encuver, débourber, isoler nos deux barriques de rosé, nettoyer, après. Entre temps, ramener Jean-Yves au train. Bon, je ne vais pas me lamenter, on est pas les plus à plaindre dans le monde. Mais je n’ai plus l’âge de porter des caisses et je sais que mon corps, demain, va me le faire payer. A 21 h, me voilà à la maison. J’avale un truc. Douche, au lit. Explosé.

Ah, Jean-Yves, au fait ? C’était bien. Cet homme me sidère, ne se prend pour personne, s’amuse, comme moi, capable de mobiliser cet « enfant intérieur », celui qui faisait exprès de sauter de flaque d’eau en flaque d’eau.

Je lui ai montré ma lecture actuelle (bon, pas longtemps, j’avoue, tant je m’écroule le soir), « Le vrai visage du Catharisme », d’Anne Brenon, acheté en visitant le cloitre de Moissac; il m’a laissé « les chasseurs-cueilleurs ou l’origine des inégalités », d’Alain Testart. On est pas « que » vigneron. C’est, qui sait, peut-être pour ça qu’on fait des vins intéressants, nourris de bien d’autre chose que d’azote et de phosphore.

Je ne peux pas tout vous dire, faudrait passer en « off » mais on a mangé du bœuf pour les deux prochains mois, on s’est fendu la gueule en lisant le bon vieux Rudolph et sa chronique de l’Akasha (j’y reviendrai, peut-être), on a bu peu mais bon et on a refait le monde avec au final la certitude que pour le Pinot, il vaut mieux deux jours trop tôt que deux jours trop tard. Comme d’habitude. « En vrai, c’est un mème », dirait mon autre fils, Gaspard. Je suis nul en mémétique, mais une chose est certaine, avec ce dicton qui lui est attribué, Henri Jayer est entré dans l’histoire.

Pas de chanson, y a déjà Sade. Mais une citation, qui m’a laissé pensif dans la somptueuse basilique de Moissac (Merci David pour la visite, vraiment).

Un commentaire

  • Claire Pecqueux
    22/08/2023 at 9:38 pm

    Oui, Sade, moi aussi j’ ai longtemps aime sa voix sensuelle et jazzy…et oui, produire des vins beaux et sensuels comme Sade…c est pas mal du tout…j ai hâte de découvrir un jour le gout du Pinot Noir du Roussillon..espérons que le distributeur d Aurillac le mettra dans ses boutiques …j admire le courage des vendangeurs avec cette atroce chaleur…j espère qu ils commencent à 6h …la plupart des français suffoquent et ne peuvent plus travailler sans climatisation…au moins vous , vous travaillez loin de la pollution c est déjà énorme…Bon Courage a Tous …

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